(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Dans les temples où l’on pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté, figure, à l’Occident, au-dessus de la porte, surplombant les deux colonnes, la devise latine : Ordo ab chao que l’on traduira par « l’Ordre à partir du chaos » ou bien par « l’Ordre tiré du chaos ».
Longtemps, j’ai pensé qu’il s’agissait « seulement » de découvrir l’ordre sous-jacent à l’apparent désordre des phénomènes – formule résumée du programme initiatique. Le prologue de l’Évangile de Jean, auquel on ouvre la Bible sur l’autel des serments, m’incitait, d’ailleurs, à me pénétrer de l’idée que le Grand Architecte, sur le modèle du Dieu des Écritures, dans les abyssales turbulences des origines, avait percé de Sa Lumière les ténèbres qui recouvraient le monde, afin que la conscience pût s’éveiller et s’extraire de ses obscures plongées.
Plus tard encore, comme si la science venait au secours de ces audacieuses représentations par de savantes démonstrations mathématiques, je revins à la lecture ardue de René Thom, fondateur de la théorie des catastrophes dont l’essence « est de ramener les discontinuités apparentes à la manifestation d’une évolution lente sous-jacente[1] »… et je m’imprégnai, entre autres, de la fameuse métaphore de « l’effet papillon » qu’Edward Lorenz, le célèbre météorologiste américain, avait ainsi formulé, dans le titre d’une conférence donnée en 1972 au 139e congrès de l’Association Américaine pour le progrès des Sciences: « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »
Tout cela tapissait peu à peu mon imaginaire sur la question, sans compter que l’ordre dont il s’agissait se confondait plus ou moins avec l’ordre maçonnique lui-même, par une sorte d’amalgame métonymique qui renvoyait plus encore à l’idéal qu’il porte qu’à l’avatar contemporain d’un Ordre initiatique immémorial et universel. Quelque chose de rémanent, dans mon esprit, surnageait aux accidents voire subconsciemment à la mort et c’était tout bonnement que cet Ordre triomphait, comme si la devise en cause le manifestait de façon définitive. L’ordre s’imposait et dissolvait les fausses impressions de chaos, permettant une subtile compréhension du Tout, la voûte étoilée se riant en quelque sorte du pavé mosaïque où l’humain dansait, avant de projeter ses pas dans l’azur, grâce à la grande résolution du ternaire.
Il est possible que ces dernières lignes paraissent absconses aux lecteurs profanes qui s’attarderaient à la lecture de cette chronique. Qu’ils veuillent bien m’en excuser ! La chute sur Terre, comme celle d’un corps qui n’échappe pas à la force d’attraction gravitationnelle, m’a, depuis quelques années, rendu au principe de réalité. Ce ne sont pas les attentats du 7 octobre 2023 en Israël et du 23 mars 2024 près de Moscou ni les ripostes démesurées qu’ils déchaînent aveuglément, comme bien d’autres événements et menaces qui ne cessent de peser sur le destin des hommes – pour se limiter aux turpitudes que l’on semble consommer sans frein –, ce ne sont pas toutes les misères ni les innombrables horreurs qu’on pourrait égrener chaque jour dans toutes les parties du monde, qui laisseraient entrevoir qu’un ordre radieux finirait par vaincre cet accablement lugubre sous lequel l’actualité s’affaisse indéfiniment.
Pour autant – et toute écrasante que soit la somme de ces réalités continues –, il n’en faut pas moins compter sur les progrès des savoirs et des techniques, quelque risque qu’ils comportent, sur l’intelligence du cœur qui guide l’action de beaucoup au service du bien commun, bref sur l’immense réseau, sinon silencieux, du moins discret, que constituent toutes les œuvres de bonne volonté et, irrésistiblement, sur l’attirance vitale de la plupart des hommes pour la paix, legs commun de leurs sagesses millénaires qu’ils veulent voir luire dans le regard de leurs enfants, eux-mêmes prunelles de leurs yeux – ce sentiment et cet état de concorde conjuguant tout aussi bien la raison et l’intérêt de vivre en harmonie plutôt qu’en conflit avec ses semblables. Dans ce même mouvement, la conscience s’augmente d’un perpétuel hommage aux victimes comme d’une promesse têtue aux générations futures. Y a-t-il, à l’échelle humaine, une réponse plus sereine et plus « fraternelle » à l’incommensurable énigme du cosmos qui se répand sans fin, bredouillant du centre à la surface de toutes choses ?
C’est ainsi que, volens nolens, Ordo ab chao reste non seulement l’inscription d’une volonté, mais l’injonction d’une volonté, au sein d’un état du monde qui ne change guère de nature mais peut-être, faut-il le craindre, de degré. Il devient plus que jamais impossible de céder à l’abattement. Ce n’est pas un « À quoi bon ? » que l’on marmonnerait de guerre lasse, si l’on peut dire, mais des « Debout ! » et « En avant ! » qui sonnent de plus en plus farouchement contre la barbarie des temps. C’est-à-dire contre la haine et en faveur de l’Amour. Car, s’il est une vérité que l’Homme puisse saisir comme seul gage de permanence à sa portée et dont, plus encore, il doive se saisir comme d’une loi primordiale forgeant l’alliance des règnes de la culture et de la nature, c’est que la Vérité est Amour et, parce qu’elle est Amour, la Vérité est nécessairement Espérance.
[1] René Thom, Prédire n’est pas expliquer. Entretiens avec Émile Noël, Paris, éd. Eshel, 1991, p. 62. En édition de poche, depuis 2009, chez Flammarion, dans la collection Champs Sciences, 192 p.
Lorsque vous vous trouvez en mer et devez regagner la côte à la nage sur plusieurs kilomètres parce que votre bateau a chaviré, la vérité du moment est que ce n’est pas l’espérance qui vous sauvera la vie, mais votre courage, sinon vous coulez. Même chose, à une moindre mesure lorsque vous devez présenter une planche en loge et avez le trac. C’est votre confiance en vous, votre résolution, et non l’espoir que çà se passera bien, qui vous aidera à prendre la parole et à délivrer votre exposé à l’assemblée. Dans les deux cas, c’est votre force morale et physique, autre nom du courage, qui vous permettront d’accomplir votre “métier d’homme”. Méfions nous donc de nos “affirmations de salon” qui ne sont que belles paroles devant l’écran sécurisant de notre ordinateur ! Ne l’oublions jamais : c’est ce COURAGE ( et non le seul espoir, encore moins l’espérance) de milliers d’Alliés sur les plages de Normandie, en Provence, et sur le front de l’Est ( dont des milliers sont morts) qui nous permettent d’être en vie et de parler encore français aujourd’hui! . GG
Le langage est ce que l’homme a trouvé de mieux pour communiquer. Mais comme on parle toujours de soi, chacun y va de son stock de mots ( en fonction de son vécu) qui n’ont que des emplois pour décrire la vie! Ainsi l’homo sapiens a inventé l’espérance et l’espoir qui, en tant de que vocables, donnent lieu à toutes les interprétations. Heureusement, la philosophie, expérience des mouvements humains depuis plus 2500 ans, cherche à raisonner davantage qu’à avoir raison. Ecoutons là ici : L’espérance est un sentiment ( et non une vertu!) de confiance en l’avenir (largement entretenue par la religion (qui en a fait une vertu théologale!). Alors que l’espoir porte sur un “objet” bien déterminé, l’espérance ( attente) est plus générale. L’espoir a une détermination immédiate ( terrestre) que l’espérance n’a pas! ( Religieusement parlant, c’est la visée d’un autre monde après la mort). Ce n’est pas pour rien que la philosophie ( définition même de la spiritualité laïque) refuse de voir dans l’espérance une vertu ! Pour nous mettre d’accord, parlonsplutôt de la charité, ( caritas, amour) qui elle est une vertu ( laïque ou théologale car, davantage qu’une pensée, elle est un acte vers autrui ). Alors, maçons que nous sommes, arrêtons d’espérer, c’est à dire d’attendre : Agissons! GG
Les attentats précités sont des faits épouvantables qui indiquent malheureusement une vérité qui n’a pas besoin d’être majusculée pour aboutir au constat que : l’Homme n’aime pas l’Homme! Tant que l’évolution ne dotera pas son cerveau d’un “centre de l’amour” comme il a un “centre de la respiration”, il continuera de nuire à son espèce, par des atrocités, c’est à dire à lui-même! Nous savons que l’espérance, l’espoir, sont des mots venus du vieux français signifiant “attendre”. L’homo Sapiens être fini, mais non achevé, a le choix entre cette attente ( c’est à dire l’inaction) ou par sa volonté ( c’est à dire son intelligence active) de devenir plus Homme pour enfin considérer son sembable, comme un autre Moi. Des ego surmontés naitront ( peut être) des égaux apaisés! Il n’est plus besoin d’espérance quand l’Amour est là. Voilà le travail qui reste à faire à nos successeurs ( et dont la franc-maçonnerie, – figée sur le passé et ignorant le futur- ne parle jamais) : Passer du projet à la conquête! Alors la Vérité méritera sa majuscule en devenant, non plus espérance, mais réalité. GG
L’,Espérance est loin d’être inactive : bien au contraire : c’est un moteur qui permet à l’Homme , par le biais de sa conscience, de s’extraire de sa bestialité . Par ailleurs, il faut faire une différence, je pense, entre “ESPERANCE” et “espoir” : il ne sont pas, à mon sens, au même niveau.
Merci de vos marques d’intérêt, Mes Très Chers Frères, Jean-Jacques et Gilbert.
À la lumière de vos commentaires, je me permets de compléter mon propos de quelques réflexions dont je conviens volontiers qu’elles sont très subjectives.
Entre l’espoir et l’espérance, je soulignerai, à titre personnel, la différence suivante :
• L’espoir a quelque chose de rapproché, de tendanciellement concret, il est quasiment en germe dans les réalités, il laisse entrevoir des perspectives assez précises qui permettent d’envisager l’avenir avec une relative confiance.
• L’espérance est une disposition de l’âme, une vertu spirituelle, elle place les attentes à un niveau qui se raffine en s’élevant. C’est pourquoi l’espérance garde une nature plus intime, une dimension plus métaphysique.
En ce sens, on peut dire que l’espoir relève plus ou moins de la raison – et ce qu’il vise peut advenir –, tandis que l’espérance est plutôt de l’ordre d’un sentiment qui se perpétue indéfiniment – et ce qu’il vise est une étoile dans le ciel de la conscience. En cela, l’espoir est un but, l’espérance, un idéal.
Pas mal, pas mal !!! : on a envie de se fondre dans ce texte….