De la Bible « centralisatrice » à l’esprit humain sécuritaire
L’Homme a constamment besoin de se positionner dans l’espace et d’être ainsi un « centre ». Avec, autour ou non loin, précisément, un autre « centre » comme point de repère. Ainsi, hier, la pierre levée par lui (dont est parsemée le globe terrestre), les tours de guet au sommet des montagnes, les châteaux « haut perchés, les Temples sur les collines…et la Tour Eiffel aujourd’hui, tout ce que le soleil peut embraser de ses feux, ont été depuis des lustres et sont toujours autant de lieux d’attraction, d’arrivée, des « centres de rassemblement » que des bases de départ.
La Bible, ce « centre » que l’on tient dans la main, n’est pas le Grand Livre de l’humanité, comme le dit encore trop souvent la littérature. Mais, à coup sûr, cet ouvrage – le plus vendu au monde – « concentre », au cours de multiples scènes et d’actions, au pays de Canaan, en Judée, nombre de particularités qui expriment cette notion de centre, caractéristique de la nature de l’homo Sapiens. Et tout ce qui constitue l’HUMAIN. Celui-ci devient alors un fantastique lieu de « mises en présence centrale » les plus variées, des rois vaniteux aux gens de peu, des prêtres en adoration aux prophètes dénonçant l’injustice, des sages les plus éclairés aux révoltés les plus décidés, des femmes dévouées à la cause familiale aux enfants porteurs de lumière et d’espérance……
Au final, autant de photographies émouvantes, des vérités et contradictions mêlées de la condition humaine ! Autant d’époques traversées qui nous montrent que d’évènements tragiques peuvent naître des périodes de bonheur, à sans cesse entretenir. Que de la peur, la colère et la tristesse peuvent surgir la joie d’être, de penser et de faire, pour bien vivre ensemble. En vérité, chaque membre de ce peuple en mouvement est en quête de cette « centralité » individuelle qui constitue son unité.
Alors, pour leur répondre, pour les satisfaire dans leur for intérieur, surgit au fil de ces textes, une figure « centrale », à la fois lointaine et étonnamment proche, vivante et présente : celle du Dieu d’Israël, qui a révélé son nom en apparaissant à Moïse, sur le Mont Sinaï. Ce nom de Yahvé…que le croyant ne doit pas prononcer.
Un centre originel et original : Le Royaume de Salomon
Depuis cette révélation, les innombrables rédacteurs de la Bible, des premiers littérateurs israélites, eux-mêmes formés à la tradition orale – et en désir d’équilibre mental – , jusqu’aux derniers auteurs et témoins de la primitive Eglise chrétienne, tous sont animés d’une même foi : ils ont la certitude que Dieu, le « seigneur » tel qu’ils le nomment, cet invisible créateur de l’Univers et de l’Homme, veut que ce peuple méditerranéen vive et se multiplie, se dépasse dans l’action héroïque et lui soit fidèle. De la sorte, avec cette croyance monolâtre – persuadés que le nombre peut se réduire à l’unité, au « 1 » – conviction qu’ils entretiennent, ces rapporteurs comme tout le peuple d’Israël officialisent le monothéisme, centre même par définition. Ils ne croient effectivement qu’en ce dieu unique, contrairement aux peuples voisins, souvent polythéistes.
Puisque Dieu est vivant, descendu du ciel, il est là, présent, parmi les hommes qui souffrent, qui luttent et qui pleurent, qui rient et qui sont heureux aussi. Puisque ce Dieu est adoré, sanctifié, puisque le peuple a fait « alliance » avec lui sur le mont Sinaï, alors il faut lui consacrer une terre, un espace central. Cette ferveur institue la notion « d’espace sacralisé », qui a fait évoquer le « royaume sacré de Salomon ». Quel est ce royaume ? Après leur temps nomade avec le patriarche Abraham, puis leur sortie d’Egypte avec Moïse, les israélites ont rejoint « la terre promise » de Canaan, autre centre en soi. Là, ils s’y organisent en royautés successives, avec les rois Saul, David puis Salomon.
Sous le règne de ce dernier, le territoire comprendra Israël au nord, avec pour capitale Samarie et Juda au sud, avec Jérusalem. C’est tout ce royaume qui devient sacré, c’est à dire dédié à Dieu. On peut l’inscrire dans 10 cercles concentriques puisque sont sacralisés, de l’extérieur vers ce fameux « centre « : 1. le pays d’Israël tout entier, 2. ses cités fortifiées, 3.la ville de Jérusalem, 4. le mont Moriah sur lequel sont construits le Palais et le Temple, 5. l’enceinte de ce Temple, 6. le parvis des Femmes,7. le parvis des Israélites, 8. le parvis des Prêtres, 9. le Sanctuaire. Et enfin, au centre de l’ensemble : 10. le Saint des Saints, lieu de conservation de l’Arche d’Alliance, abritant les Tables de la Loi.
Une sphère infinie
Cette notion de « centre géographique » et même « théographique » si je puis dire, est donc essentielle au temps du roi Salomon. Elle sera reprise par les bâtisseurs de cathédrales, qui n’ont pas posé celles-ci n’importe où, mais bien au milieu de la cité. Ce n’est bien sûr pas par hasard, si lesdites cathédrales ont le plus souvent deux tours, à l’image des deux colonnes du Temple de Salomon. Et ce n’est pas un hasard non plus, si les anciens tailleurs de pierre, maçons opératifs, ont choisi le Temple de Salomon, construit à Jérusalem en 967 avant Jésus-Christ, comme « symbolique centrale ». Et si, après eux, les maçons « spéculatifs » la perpétuent aujourd’hui, avec la présence de deux colonnes stylisées et « encadrantes » à l’entrée de leur loge, qui symbolisent celle du temple de Salomon !
Le mont Sinaï est en soi un « centre initiatique », le mont Moriah, un autre : deux centres de ralliement autant que des bases de départ, d’ailleurs. Les Constitutions d’Anderson, désignant la franc-maçonnerie comme « centre de l’union » ne disent pas autre chose : rassembler d’abord ce qui est épars, en un point central, et rayonner ensuite. Alors que le Temple de Salomon est la maison de Dieu, la loge maçonnique elle, est la maison des hommes. Au vrai, le point central d’un cercle, d’où ils prennent leur départ vers la cité.
Ce centre est en soi une force, bien sûr par sa position axiale même, fédératrice parce qu’elle regroupe, et protectrice parce que, dans l’esprit humain, elle porte en elle la sécurité et l’espérance. En termes de construction monumentale, la combinaison du point central et de la surélévation, à l’image du mont Moriah, confirme le prestige et la durée, œuvre des bâtisseurs. N’oublions pas qu’au temps salomonien, la terre est pensée comme une plate-forme ronde dont le centre est le jardin d’Eden, près de Jérusalem et le ciel imaginé telle une calotte sphérique. Soit deux cercles superposés.
Dans la fantasmatique humaine moderne qui a toujours besoin de « reliance », la verticalité est restée en quelque sorte, l ‘échelle galactique permettant de passer du royaume terrestre au royaume céleste, demeure attribuée à la force suprême. De ce point de vue, la verticalité fonctionne avec la croyance. Dieu est toujours désigné par les hommes, instinctivement, non en fixant le sol, mais les yeux et les bras levés vers le ciel, vers la voûte céleste, cercle à la fois indéfini et infini.
« Dieu est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part » dit Blaise Pascal en son temps. Il reprend ainsi une notion qui était déjà au « centre des esprits », bien des siècles auparavant.