N’est-il pas surprenant, au début de ce XXIème siècle, règne de la communication instantanée par le son, l’image et l’informatique, des liaisons supersoniques et des trains à grande vitesse, du confort domestique le plus raffiné… que des hommes et des femmes se regroupent en « sociétés discrètes » (en l’occurrence, « associations maçonniques » déclarées en Préfectures), dans la pénombre de simples bâtiments, à l’écart de la fureur citadine ?!
Non pour y exercer quelques pratiques plus ou moins « coupables » (par exemple, sectaires, magiques ou occultistes !), mais pour participer à de sérieuses réunions de saines réflexions – certes codifiées par des formes de jeux de rôles – au sein de locaux dénommées « loges », qui évoquent, effectivement, lors du déroulement des séances, un théâtre maçonnique ?!
Un protocole particulier
Théâtre maçonnique, car il en est bien un en soi, généralement blotti comme ci-dessus indiqué, dans un lieu retiré, et « protégé » par un accès contrôlé. Pour y observer et respecter un protocole particulier constitué de rituels, qui plus est, dans un langage d’un autre temps, en l’occurrence du 18e siècle !
Jeux de rôles, parce que maçons et maçonnes, « à un pas de côté » du monde dit « profane », tout en conservant bien entendu la parfaite conscience de leur identité, (aucune manœuvre hypnotique ici !) deviennent, revêtus de « décors signifiants », les acteurs d’une symbolique mise en mouvement par lesdits rites et rituels.
Sur cette scène se joue, dans cet espace privilégié, un psychodrame à la gloire, selon les rites, du principe de la création, du travail, de la trilogie « liberté-égalité-fraternité », donc de façon générale, à la gloire de l’Homme et de l’humanité.
A noter que le langage d’un autre temps en cause, consiste à utiliser dans les loges en question (réparties sur le territoire national) de nombreuses expressions du « français parlé » au long de ce fameux siècle des Lumières. Il ne manque d’ailleurs, ni de sens ni d’élégance, en pleine modernité…laquelle, précisément, nous donne à entendre aujourd’hui dans la cité, une langue de Molière trop souvent bien malmenée !
Un nouveau regard
Au vrai, les Eglises ayant montré les limites d’une théologie rigide et peinant à proposer de nouvelles doctrines adaptées à notre temps, il existe peu de sociétés qui, telles la franc-maçonnerie, offrent à partir de ces puissants supports de réflexion que sont mythes, légendes et allégories, la possibilité d’éclosion d’une parole libre. De plus, ornée de métaphores fleuries ! Même si elle rapproche ésotérisme et rationalisme ! Et si cohabitent en loge, rites initiatiques et citoyenneté ! Oui, certains rapprochements, à visée humaniste, ne peuvent être que bénéfiques !
L’important est que les membres prennent plaisir à se réunir chaque quinzaine dans cette structure adogmatique, apaisante et enrichissante. Pour s’améliorer individuellement et collectivement. En somme, il convient de changer pour mieux échanger. Changer, non pas de « programme génétique », ce qui est impossible, mais en l’espèce, porter un nouveau regard sur les êtres et les choses !
Echanger : ce verbe est capital en milieu maçonnique. Il y signifie que chacun peut en toute quiétude exprimer sa pensée sans risque d’être interrompu ou agressé. La violence verbale n’a pas sa place dans cette enceinte unique en son genre qu’est la loge.
Comme le rappelle « la mise à l’ordre » obligatoire, rituel consistant pour le maçon, la maçonne debout, à placer une main sous sa gorge (nous le savons, mais il est bon de le répéter !) afin de contenir tout emballement, pendant le temps de parole qui lui est accordé (e) sur sa demande et à son tour, par le Vénérable Maître.
Ce dispositif dit « de « triangulation » (déjà abordé dans d’autres articles) pouvant paraître disproportionné à l’enjeu, est de fait activé pour permettre à la fois l’expression d’interventions réfléchies et l’écoute attentive de l’assemblée. Dans un esprit d’équité, il est le contraire même du « moi d’abord » et du désordre !
« Ordo ab chao » (Du désordre, l’ordre)) est précisément la devise du rite le plus usité, le Rite Ecossais Ancien et Accepté. Ce qui n’exclue en rien les autres qui ont, chacun, leur pertinence : A l’image de l’univers qui s’est organisé après le chaos initial, le maçon, la maçonne est invité(e) à ordonner sa vie pour la vivre plus aisément. A cet effet, lui est proposée la mise en action des symboles de la construction « en ville », comme viatique.
Un temps arrêté
Nous sommes bel et bien là en présence d’une méthode, qui génère elle-même une discipline librement consentie, dès l’entrée en loge. Déjà sur le plan de la forme, il s’agit pour chacun, lors de l’ouverture des travaux, de passer de décorums, de couleurs, d’odeurs, de lieux donnés, dans une autre sphère, où pour le nouveau venu, la nouvelle venue, la poésie peut le disputer à l’étrange !
Les bougies, (aujourd’hui électriques dans certains lieux, sécurité oblige) une à une allumées, symbolisent le labeur nocturne. De la clarté à la pénombre, du bruit au « feutré », des habits de ville aux accessoires de l’atelier, des mots courants aux vocables de l’Art Royal, et au final, des fameux « métaux » à la pierre : C’est bien le lent passage d’un « sas » qui s’effectue, au rythme des formules rituelles et des coups de maillets alternés. Une métamorphose est en train de s’opérer.
Les visages, zébrés d’ombres et de lumières dansantes, deviennent solennels, les corps synchronisent leurs mouvements. Frères et Soeurs, d’une même respiration, d’un même cœur, s’unifient. L’ensemble, en harmonie, crée une entité originale : « la loge ». Elle prend tout sens, lors de la chaîne d’union terminale.
Une loge libre, égale, fraternelle, au sens du slogan républicain. Elle est comme suspendue dans un temps arrêté !
Dehors, la nuit tombe sur la ville.