(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Le 1er mars est, par tradition, le jour du nouvel an maçonnique.
L’équipe de 450fm souhaite à tous les Maçons qu’ils soient dispersés sur la surface de la terre, sur les mers et dans les airs une bonne et heureuse année 6024.
L’ère maçonnique est utilisée par les Frères dans leurs actes et leurs correspondances, avec des variantes selon les rites et les Obédiences. D’une façon générale, les Loges anglo-saxonnes, françaises et allemandes utilisent « l’Année de la Vraie Lumière », ou l’Anno Lucis en latin, pour faire remonter symboliquement l’origine de la Maçonnerie à la création du monde selon tradition biblique.
Édito
Dès l’enfance, on acquiert son vocabulaire, par l’usage que les adultes font des mots que l’on entend. Je me souviens de ma grand-mère maternelle qui avait en grande révérence la modestie. La modestie était pour elle la qualité principale des personnes de qualité. Elle abhorrait souverainement la vulgarité et la prétention qui lui paraissaient dérisoires et ridicules et dont elle appréhendait les troubles et les risques de conflit.
La modestie ne consistait pas seulement, à ses yeux, dans le fait d’avoir une opinion modeste de soi-même et un comportement décent, empreint de pudeur. Elle y appréciait surtout une simplicité discrète en société. C’était pour elle une noblesse chez l’homme du peuple tout comme la marque supérieure de l’aristocrate accompli, loin de la vilénie des bourgeois infatués.
La modestie, à mesure que je grandissais, m’apparaissait comme manquant d’éclat et il ne me semblait pas superflu d’opposer un certain panache à la sottise du monde, à défaut de pouvoir la corriger. Et ce, d’autant plus que la modestie ne relevait pas toujours d’un choix, mais d’une condition médiocre où l’individu avait, selon moi, souvent sa part. C’était ma vision de jeunesse, sans compter que je trouvais la modestie souvent feinte et passablement étriquée dans ses ambitions.
En tout état de cause, la modestie s’inscrit dans une relation à l’autre. Je me suis fait une toute autre idée de l’humilité. L’humilité est une absence d’orgueil qui ouvre sur des interrogations profondes. Elle procède de la conscience de notre insigne faiblesse. Être humble, humilis en latin, provient littéralement d’humus, la terre, « car poussière tu fus et poussière tu redeviendras! » comme il est dit dans Genèse 3:19. Je crois que je résumerais assez fidèlement la pensée d’André Comte-Sponville[1], en disant que l’humilité est la vertu de la lucidité qui rend toutes les vertus discrètes, développant en chacune d’elles des capacités d’observation et de connaissance.
Pour autant, on peut être humble dans la conscience intime de son être au monde, sans être nécessairement modeste dans ses propos ou ses attitudes, alors même qu’en toute cohérence, le chemin de l’humilité – qui, on le sait bien, n’est guère une voie de facilité – n’en devrait pas moins idéalement aboutir à une constante retenue de conduite, comme il en va d’un liquide de frein, car tout cela obéit sur différents plans à une certaine raison tempérée. Mais, l’homme est l’homme et, soit dit avec un art consommé de la litote, la parfaite harmonie ne l’habite pas toujours, d’autant moins dans un monde qui réclame parfois des engagements vigoureux… volatilisant les « pudeurs de gazelle[2] ».
Ni la modestie ni l’humilité ne doivent interdire la fermeté de jugement, là où les circonstances l’exigent, mais rien ne proscrit non plus la modération, fenêtre d’espoir et de clémence. C’est le risque de l’excès qu’il convient d’avoir en ligne de mire. L’efficacité qui ferait primer la force n’est pas une excuse à tout et la justice, qui doit préparer l’avenir à l’écart des passions, vise à faire triompher, sans apitoiement ni lâcheté, les réparations d’une honnêteté mutuelle. L’arbitraire est si prompt à s’insinuer dans nos dérèglements logiques que notre foi en l’Homme sinon en un Être suprême doit toujours s’efforcer de refermer la boucle avec douceur.
Tout se combine, alors : le sage et, partant, l’initié se reconnaissent à ceci qu’ils sont à la fois humbles, modestes et modérés.
[1] André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, Paris, PUF, 1995, pp. 187-198. Nombreuses éditions dans Le Livre de Poche. On pourra compléter cette lecture philosophique par l’approche religieuse du « prêtre des rues », du « curé des loubards », le P. Guy Gilbert, auteur de L’Humilité, première des vertus, Paris, Éd. Philippe Rey, 2014, 96 p.
[2] Selon l’expression remise au goût du jour par notre ancien Frère Jean-Luc Mélenchon qui, du reste, n’a guère coutume de s’en embarrasser.