dim 28 avril 2024 - 15:04

Justice. « Chasse aux francs-maçons » : l’État fait marche arrière et obéit à la CEDH/Il Doute

De notre confrère italien grandeoriente.it – Par Damiano Aliprandi

La Cour européenne suspend l’affaire « Franc-maçonnerie contre Italie », notant que le gouvernement a supprimé la violation commise par le tribunal de Prato. Mais l’interdiction continue des loges demeure.

Il se trouve qu’en 2012 le tribunal de Prato a publié un document concernant les « Conditions et documents nécessaires à l’inscription au registre des experts », dans lequel il était demandé aux candidats de déclarer leur éventuelle appartenance aux loges maçonniques. Cette discrimination, une autre encore, a conduit la Grande Oriente d’Italia du Palazzo Giustiniani à faire appel devant la Cour européenne de Strasbourg. Oui, car cela constitue une violation de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier de l’article 11, qui garantit à toute personne le droit à la liberté d’association, qui ne peut être limité qu’en cas de nécessité pour des raisons liées à l’ordre public, à la défense de l’ordre et la criminalité et la sécurité nationale.

Après le signalement de l’affaire, le gouvernement italien a informé les juges de Strasbourg que le document en question avait été retiré. En conséquence, l’État a demandé le classement sans suite de l’affaire en vertu de l’article 37 de la Convention. Le Grand Orient a accepté le rejet de la demande, reconnaissant que les autorités italiennes avaient résolu les violations alléguées. Il a également demandé que, conformément à l’article 43, paragraphe 4 du règlement, les frais de justice soient à la charge de l’État italien.

La Cour a rappelé que, pour conclure le différend, il est nécessaire d’examiner si les faits litigieux persistent et si les conséquences d’une prétendue violation de la Convention ont été éliminées. En l’espèce, les deux parties ont convenu que les faits litigieux ne persistaient plus. En conséquence, la Cour a estimé que le différend avait été résolu et a décidé de rejeter la demande. Concernant les frais de justice, les juges européens ont décidé, compte tenu des circonstances du dossier, d’accorder à la franc-maçonnerie la somme de 1.500 euros pour les frais exposés.

Une discrimination aux origines anciennes

La discrimination contre les francs-maçons est un phénomène complexe aux origines anciennes, se manifestant sous différentes formes au fil des siècles. De manière générale, la franc-maçonnerie a fait l’objet de discrimination de la part de ceux qui la considèrent comme une menace pour l’ordre établi ou pour les valeurs traditionnelles. En particulier, selon les périodes historiques, elle a été accusée d’être une société secrète qui opère dans l’ombre pour poursuivre ses propres intérêts, une secte qui pratique des rituels occultes et dangereux ou une organisation subversive qui vise à renverser l’ordre établi. Ces derniers temps, elle a même été accusée d’hétéro-diriger la mafia. Evidemment, toutes les théories du complot (souvent judiciaires) sont totalement peu concluantes. Des choses que Giovanni Falcone avait également examiné à l’époque, concluant que c’était infondé. Ces accusations ont contribué à créer un climat de méfiance et d’hostilité à l’égard de la franc-maçonnerie, se manifestant par des formes concrètes de discrimination.

Des camps de concentration à Licio Gelli

La période fasciste constitue certainement le moment le plus tragique du Grand Orient d’Italie qui en 1925, sous le grand maître Domizio Torrigiani, dissout les loges conformément à la loi sur les associations, de novembre de la même année, voulue par Mussolini (on se souvient la seule opposition d’Antonio Gramsci avec son célèbre discours au parlement) pour faire taire le dernier bastion de la liberté du pays. Le Grand Orient d’Italie transmigre en France, le palais Giustiniani est confisqué par le gouvernement, les francs-maçons sont persécutés, parfois tués (comme dans le cas de Giovanni Becciolini), les sièges des loges sont pris d’assaut et détruits.

Les francs-maçons d’Europe, harcelés par les condamnations des gouvernements totalitaires, ont connu le même sort et ont également été victimes des camps de concentration nazis : l’estimation, approximative car non entièrement examinée au niveau international, est d’environ 80 000 (bien que certains citent le double) . A Rome, lors du massacre des Fosses Ardéatines, 18 francs-maçons sont morts.

Le cas de la franc-maçonnerie en tant qu’entité cachée qui entrave la vie démocratique du pays explose avec l’affaire P2 menée par Licio Gelli. Une campagne violente a donc été inaugurée, même si les responsabilités de personnalités individuelles qui, par leur appartenance à P2, poursuivaient des avantages personnels ont été immédiatement identifiées. L’histoire nous apprend que P2 existait bien avant Gelli et que c’est ce dernier, se mettant à la tête, qui l’utilisa non seulement à ses fins personnelles, mais surtout – grâce à son talent de vendeur à travers l’adhésion des personnalités importantes du – gravir le  Corriere della Sera  et le Banco Ambrosiano, rester à la tête des nombreuses entreprises publiques de l’époque, du CSM et des services secrets. La vérité judiciaire, avec l’arrêt de la Cour Suprême de novembre 1996, nous apprend que le P2, à travers Gelli, plutôt qu’une loge secrète (le rite maçonnique disparaît complètement, théorie considérée comme stérile, ainsi que la motivation philosophique) était en fait un comité d’entreprise, une « structure fonctionnelle pour une activité de type business-clientéliste ».

Des théorèmes judiciaires aux « lois de l’inquisition »

De nombreuses enquêtes judiciaires ont eu lieu à partir de la théorie du complot, mais n’ont rapidement abouti à rien. Tout d’abord, celle menée par le procureur de l’époque de Palmi Agostino Cordova. Pour restaurer son honneur, la franc-maçonnerie a dû faire appel devant la Cour européenne de Strasbourg. Le premier appel remonte à 1997, qui avait remporté la première victoire du Grand Orient en 2001, avec la condamnation de l’État italien.

Malgré tout, il reste dans l’imaginaire collectif que la franc-maçonnerie est quelque chose de sombre. Évidemment, la politique domine tout cela. Des propositions discriminatoires ont également été soumises au Parlement. Il suffit de penser au moment où, en 2019, les grillini ont présenté un projet de loi qui, en substance, voulait interdire les employés de l’administration publique membres de la franc-maçonnerie. Il s’agit évidemment d’une proposition qui est restée sans réponse, notamment parce qu’elle n’aurait pas résisté à un examen constitutionnel. En revanche, elle semble faire écho à la première loi fasciste, celle immédiatement contestée par Gramsci.

Mais on se souvient aussi de la commission antimafia présidée à l’époque par Rosy Bindi. Sur la base d’une saisie douteuse de la liste de tous les membres des loges, dans le rapport final est constatée la présence de certains prêtres dans les listes. Le président Bindi, qui a personnellement signé le rapport, se sent obligé de souligner à ce propos que “sur la base de la Declaratio de associationibus masonicis” il existe une inconciliabilité entre l’appartenance à l’Église catholique et la franc-maçonnerie, dont l’adhésion reste interdite aux croyants. Une considération qui semblait être celle du Saint-Office plus qu’un acte final d’une commission du Parlement. Ironiquement, c’est précisément à San Macuto que Galileo Galilei fut jugé et condamné au bûcher.

Mais cela ne s’arrête pas là. La dernière commission antimafia de la région Sicile, dirigée par Claudio Fava, a fait bien plus. En 2018, l’assemblée a approuvé l’obligation de déclarer l’appartenance aux loges maçonniques. Le Grand Orient a fait appel devant la Cour européenne et, entre-temps, la Commission de la Direction générale de la Justice de l’UE a ouvert un dossier pilote sur la loi, soulignant d’éventuelles violations des principes de l’Union relatifs au respect de la vie privée, à la liberté de pensée et non-discrimination. En revanche, précisément dans le cas du Tribunal de Prato, l’État italien a dû intervenir pour éviter une énième condamnation de la CEDH. Le fait objectif demeure que, malgré les efforts du Grand Orient d’Italie pour défendre ses droits, une image déformée et négative de la franc-maçonnerie persiste dans la société, alimentée par des stéréotypes et des propositions législatives discriminatoires.

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