sam 27 avril 2024 - 08:04

La parole et l’écoute : « de la psychanalyse à la Franc-Maçonnerie »

La psychanalyse (investigation des processus psychiques profonds) n’existerait peut-être pas si Sigmund FREUD n’avait pas été un amoureux précoce des mots, de sa langue, du langage et de la littérature, et par là même un amoureux de l’écriture et des “signes imprimés”.

“L’aventure psychanalytique” commence, à son insu, dès qu’enfant puis adolescent, il lit les grands auteurs et traduit “les 33 vers de Sophocle” à l’occasion de son baccalauréat (vers qui décrivent la légende d’Œdipe, qui deviendra l’un des piliers de son œuvre).

 L’amour des mots

Pour lui, les mots des autres, ce sont donc d’abord de “l’écriture entendue”. Elle deviendra ensuite “écoutée”. Parce que “ça parle”, au fil même de la lecture. Elle fait intervenir tous les sens : la vue, le toucher (du papier), l’olfaction (l’odeur de l’encre), l’ouïe (l’écriture est une voix), le goût (l’écriture peut se “déguster” comme un bonbon de l’esprit !).

Son écriture quasi-calligraphiée, montre son respect du signe, son goût pour l’enchaînement de ces signes et son esthétisme en matière graphique. Sans doute, aurait-il pu être un excellent dessinateur ou peintre.

Sigmund FREUD comprend précocement que ces signes (l’écriture, que l’on doit aux Sumériens) traduisent non seulement la pensée mais contiennent différents sens. C’est en lisant passionnément les auteurs qu’il comprend la richesse de l’écriture. Ce “parler écrit” contient donc des sons, des images, des scènes, des idées, des pensées, des sous-entendus, des demandes, des non-dits aussi. Il constate que l’écriture, qui devient parole à l’oreille du lecteur, contient la personnalité et surtout le désir de l’auteur.

De toute évidence, il avait cette particularité de “voir” écrit (défiler devant ses yeux) les mots prononcés par lui et les autres, ce qui donnait une dimension particulière à son écoute (tels les films sous-titrés). C’est cet amour du mot, du mot juste surtout, qui lui a permis de s’aventurer sur la route du rêve et de découvrir “la clé des songes”. Il fut le premier à comprendre que le rêve est articulé comme un rébus. Pour le décoder, il faut remplacer chaque image par une syllabe ou un mot (ce qui donne une phrase ensuite) et non l’interpréter comme un dessin, ce qu’avaient fait ses prédécesseurs, sans résultat, de ce fait.

 La parole analytique

C’est donc par le langage (et ses multiples formes, hors de l’écrit et de la parole) que “l’on peut entrer dans la vie de l’autre”. Sans attention particulière, on entend l’autre. Avec attention, avec le désir de “vivre sa vie”, on écoute l’autre. Ainsi le psychanalyste, par “intérêt”, vit plusieurs vies, à longueur de journée. Celui qui dépasse sa simple curiosité et qui aime ses patients, les entend donc mieux. C’était le cas de Sigmund FREUD. Ses analyses ratées ont souvent concerné des patientes, ou patients, qu’il ne parvenait pas à aimer. L’amour, l’amitié, restent une mystérieuse alchimie !

C’est parce qu’il a perçu, par l’écoute, “le manque” des hystériques que Sigmund FREUD a pu différencier cette névrose de l’épilepsie. Ce manque, ce “trou psychique”, provient entre autres, du fait que l’homme est un être contradictoire qui veut “être adulte quand il est enfant, et enfant quand il est adulte“. Il a compris qu’il fallait renvoyer ses patients à leur enfance, à leur vécu du passé, pour obtenir la “mise en mots” de leurs anciennes émotions, et entendre puis écouter leur désir en instance, non réalisé, que ce désir se présente sous forme d’amour ou d’hostilité envers d’autres personnes.

La nature de ce désir est ensuite restituée à l’émetteur-analysant par la parole du récepteur-analyste. Le manque verbalisé, le trou, va devenir ensuite un “espace de liberté” , et la souffrance, c’est-à-dire le manque, se transforme en plénitude. Le trou est comblé.

Cette parole libératrice passe par l’organe vocal, ou par le corps sous forme de symptômes, tel un filet d’eau qui ruisselle. “Ça” (l’inconscient) coule de source, en quelque sorte. La parole analytique, c’est à la fois du “Ça” précité et du “Surmoi” (la censure) qui s’évacuent et du “Moi” (l’individualité) qui s’exprime. Un “Moi” qui doit se frayer un passage entre le “Ça” et le “Surmoi” pour exister et prendre de l’amplitude.

 Entendre et écouter

Deux hommes dans la dispute
Deux hommes dans la dispute

Toute parole demande une écoute, elle existe pour être écoutée (de soi et des autres).

L’écoute est d’abord une attitude. Pour être réceptif, il faut s’ouvrir, être disponible pour écouter, c’est-à-dire avoir volonté, patience, curiosité, altruisme, pour recevoir la parole prononcée.

Entendre est difficile : ce n’est pas pour rien que l’oreille est équipée d’un labyrinthe qui filtre les sons. Écouter est encore plus difficile, car l’écoutant doit “neutraliser” ses propres parasites internes (ses soucis, ses préjugés, son stress, etc.) et “maîtriser” le milieu dans lequel s’exerce l’écoute (ambiance environnante). L’écoute n’est pas naturelle en soi, puisqu’en premier lieu, elle met l’écoutant sur la défensive, alors qu’il doit s’ouvrir.

Comment comprendre la parole de l’autre ? L’écoute demande d’être non-directive (donner la liberté d’expression à l’autre) et empathique (sans jugement). Il s’agit de se centrer sur ce que l’écouté vit, plutôt que sur ce qu’il dit. Le psychologue américain Carl Rogers a bien formalisé les règles de l’écoute : accueillir, percevoir (filtrer ce que l’autre dit), s’intéresser d’abord à la personne plus qu’au problème, respecter cet autre, faire le miroir (pas le buvard).

L’écoute est un art : il s’agit d’apprendre à s’écouter soi-même en premier lieu, puis à poser les questions (ouvertes ou fermées), à reformuler (vérifier que l’autre écoute aussi et reconnaît ce qu’il a dit), ne pas avoir peur des silences (le silence parle, il est riche). L’écoute est ainsi une responsabilité partagée. Chacun devient responsable de chacun. Elle demande que l’écoutant installe la confiance, montre son engagement dans l’acte d’écoute (comme dans l’acte de parole) et personnalise l’entretien. L’écoutant est présent uniquement pour l’écouté qui devient le centre de l’échange. Écouter, c’est aussi s’installer dans le cœur de l’autre. Mieux qu’un corps à corps verbal, “la parole-écoute”, est un “accord à cœur”.

Les mots sont des fenêtres, il faut les ouvrir. Pour comprendre le sens que leur donne le locuteur. La parole est une musique : l’analyste doit entrer en harmonie avec la mélodie qui se joue à son oreille.

La bonne parole soulage, la bonne oreille guérit. Elle évite des prescriptions inconsidérées. Montrer que l’on écoute bien vaut une ordonnance (qui est en soi un ordre, un “commandement” à acheter un médicament !). La bonne écoute, perceptible par l’écoutant est une prescription de détente. Elle installe l’égalité entre les interlocuteurs.

Sigmund FREUD a parlé “d’attention flottante”. Il veut dire par ces mots que l’écoutant ne doit pas se bloquer dans une concentration crispée qui “rétrécit” l’écoute. Au contraire, en étant détendu (il y a une posture d’écoute, les mains posées sur les genoux, pas de bras ni jambes croisées) en laissant entrer le discours de l’autre, le labyrinthe de l’oreille retient le trop plein, et laisse passer les doubles sens, contre-sens et lapsus… si riches de sens. On peut dire que la parole et l’écoute en harmonie, constituent un contrat de “bonne intelligence”.

Apprécié avec l’outil psychanalytique, (qui s’utilise aussi hors du divan du psychanalyste) ce duo parole-écoute, instruit et enrichit les deux parties, auxquelles un effort de dépassement de soi est demandé.

 La parole échangée

Portrait de trois singes
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 « La conversation est un jeu de sécateur où chacun taille la voix de son voisin aussitôt qu’elle pousse ! » observe avec humour Jules Renard, qui fréquentait les cercles littéraires.

 En loge maçonnique, où règne la politesse et l’ordre, ses membres ne prennent pas la parole, ils la demandent. Le principe de « triangulation » la codifie. Elle est d’abord sollicitée par le requérant au surveillant qui en informe le Vénérable Maître lequel donne son accord relayé audit requérant. L’attente du tour de parole impose un ralentissement de l’expression orale : il évite la spontanéité et permet ainsi un temps de « mise en bouche » préalable de sa pensée au locuteur en cause. Le rituel, par cette « manœuvre retardatrice » tend à écarter en séance l’éventuel « parler pour ne rien dire ».

 A méditer : Les opinions jaillissent, les idées mûrissent.

 A constater : le sage pense beaucoup et parle peu.

 La loge doit être, dans l’idéal, un lieu d’échanges d’idées précisément constructives. Les frères, les sœurs – des néophytes aux « vétérans » – la fréquentent pour communiquer, avec eux-mêmes et les autres. Cette communication fonctionne d’autant mieux que la loge est aussi « communicante ». Autrement dit – autant sur la forme que sur le fond – elle doit prendre soin, par ce qui s’y exprime « sans passion » et de manière réfléchie, d’empêcher la formation de clans, castes et autres sous-groupes, nuisibles à son unité. D’où l’intérêt de la présence et l’utilisation des filtres précités dans la gamme de ses outils symboliques. La triangulation en est précisément un.

 Lorsque la parole circule en loge, ce n’est pas, son tour venu, vouloir imposer une idée. C’est comprendre, exprimer la sienne assertivement certes, mais en respectant celles des autres. Lorsque plusieurs peintres posent leur chevalet autour d’un modèle, ils voient et reproduisent tous le même, mais sous un angle différent. A chacun son « point de vue » !

 « Qui y a-t-il de plus brillant que l’or ? La lumière. Qu’y a -t-il de plus éclatant que la lumière ? La parole échangée »

(JOHAN WOLFGANG GOETHE)

2 Commentaires

  1. Merci BCF Garibal pour cette analyse qui nous fait passer de l’horizontale à la verticale et cela sans avoir été sur le divan !
    A propos du livre “Hiram et Freud” de Jacques Fontaine et Marie-Hélène Gonnin, pour un éclairage psychanalytique sur la démarche maçonnique, voir aussi la vidéo : youtu.be/eYPDJ762MRs
    On pourra aussi consulter l’article du Journal du 16 août 2022: 450.fm/2022/08/16/parole-et-paroles/
    Bien fraternellement.

  2. Pour celles et ceux qui sont intéressés par la vie de Sigmund Freud, je me permets de leur indiquer qu’ils peuvent obtenir une biographie du premier “archéologue de l’âme” , préfacée par Michèle FREUD, son arrière petite-fille ( SIGMUND FREUD, l’Homme, le Médecin, le Psychanalyste) que je présente en version numérique ( e-pub) aux Editions NUMERILIVRE. Gilbert GARIBAL

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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