mar 26 novembre 2024 - 08:11

Du Figurisme à l’Illuminisme : le Traité de la Réintégration des êtres de Martinès de Pasqually (? – 1774)-La théosophie des Élus Coëns

Titulaire du Diplôme de l’École Pratique des Hautes Études* (EPHE), section des Sciences religieuses,  mention très bien, pour la soutenance en 2022 devant un jury de sa recherche sur le très complexe Traité de la Réintégration des êtres de Martinès de Pasqually, Gérard Gendet nous offre l’immense bonheur de la rendre accessible à un large public érudit.

L’occasion aussi pour nous de remercier les Éditions de La Tarente connues pour leur spécialisation dans l’édition d’ouvrages sur la franc-maçonnerie, l’alchimie, le symbolisme, l’ésotérisme et l’histoire​ mais aussi et surtout de prendre le risque éditorial de publier des thèses universitaires telles celles de Loïc Montanella – prix 2016 de l’Institut d’études et de recherches maçonniques (IDERM), Jacques Rondat ou encore Francis Delon.

Que nos amis de la Tarente soient, ici et maintenant, largement remerciés. Rappelons que La Tarente vient de fêter, très récemment ses 25 ans, à Marseille. Remarquable et riche évènement dont nous nous sommes fait l’écho.

Gérard Gendet.

Revenons sur le parcours tant profane que maçonnique de Gérard Gendet. Ingénieur diplômé d’une grande école, après une carrière dans l’informatique chez International Business Machines Corporation (IBM), et après avoir fondé sa propre entreprise d’informatique, il suit différents séminaires de l’EPHE, section des Sciences Religieuses. Sur le plan maçonnique, Gérard Gendet est, depuis 1976, membre de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra (GLTSO), appartenant au courant de la franc-maçonnerie dite traditionnelle et née d’une scission de la Grande Loge Nationale Française (GLNF) en 1958. L’auteur est passé maître de la respectable loge « La France n° 7 », à l’orient de Levallois-Perret. Il est aussi contributeurs aux cahiers de la Collection Héritage Willermoz, une référence pour qui s’intéressent ou mieux encore, pratiquent, le Rite/Régime Écossais Rectifié (RER).

Croix de CBCS.

Au sein de l’Ordre Intérieur, il occupe la charge de visiteur provincial de la Province d’Auvergne (cf. le Code des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte (CBCS), Art. III, Du visiteur général de la province).

Ce passionné d’histoire des courants ésotériques qu’est Gérard Gendet nous invite, dès l’introduction, à bien définir l’illuminisme et la théurgie au XVIIIe siècle. L’illuminisme, la franc-maçonnerie et la théurgie étant des mouvements ou des pratiques qui ont exercé une influence significative au cours du siècle des Lumières.

Une précision plus qu’intéressante, puisqu’évitant ainsi tout égarement. L’illuminisme, qui prend ses racines dès la Renaissance de la réforme, il fait généralement référence à des groupes ou à des philosophies qui prônent l’illumination spirituelle ou intellectuelle. Il était souvent lié à des courants de pensée ésotériques et mystiques, et pouvait parfois s’entrelacer avec des éléments de la franc-maçonnerie ou de la théurgie. Quant à cette dernière, elle est une pratique qui implique des rituels ou des invocations destinés à provoquer la présence des divinités ou à exercer une influence divine dans le monde. En son temps, associée à l’occultisme, elle était aussi à la quête d’une connaissance transcendantale.

J.-B. Willermoz.

Après une biographie résumée de Martinès de Pasqually, l’auteur nous confie pourquoi se plonger dans l’étude du Traité de la réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissance spirituelles et divines, important à plus d’un titre pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’occultisme, à la théologie mystique, à la franc-maçonnerie et aux courants ésotériques du XVIIIe siècle. Nous y puisons une meilleure compréhension historique, une forme unique de mysticisme chrétien ayant eu une influence notable sur certains courants de la franc-maçonnerie et sur des figures comme celles de Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz, une théurgie et une magie cérémonielle mais aussi une philosophie et une théologie, l’œuvre de Pasqually traitant de concepts tels que la chute de l’homme, la rédemption et la réintégration avec le Divin, thèmes universels dans la philosophie religieuse.

Certains découvrirons, sans doute, le Figurisme. C’est d’ailleurs l’objet du chapitre 4 – « Du Figuralisme à l’Illuminisme » – de la première partie – l’ouvrage en comptant six – 5 intitulée « Aperçus sur l’exégèse allégorique et ses évolutions au siècle des Lumières ».

 Le Figurisme – au XVIIe siècle, il a été un courant de pensée jésuite en Chine, où des missionnaires ont vu dans les classiques chinois des allégories ou des symboles de la tradition chrétienne primitive – est une méthode d’interprétation symbolico-allégorique des textes religieux, notamment des Saintes Écritures, qui a pris différentes formes au cours de l’histoire. Notamment celles de croire à la conversion future des Juifs et la venue d’Élie, et chercher des figures ou des symboles de Jésus-Christ et de l’Église dans toutes les Écritures.

Quant à l’illuminisme, c’est un courant de pensée philosophique et religieux qui a émergé au XVIIIe siècle en Europe. Il s’appuie sur le concept d’illumination, considérée comme une inspiration intérieure directe de la divinité ou de sa manifestation. Ce mouvement prône une croyance libérée des religions révélées, reliant l’individu à Dieu de manière purement spirituelle.

Jacob Boehme.

Il se veut une réponse à l’esprit matérialiste des philosophes encyclopédistes de l’époque et est étroitement lié à la théosophie, influencé par des penseurs comme théosophe allemand de la Renaissance Jacob Boehme (1575-1624), surnommé le Philosophus Teutonicus, et cordonnier de son état. L’illuminisme s’est également manifesté dans le romantisme allemand, la Naturphilosophie, et diverses organisations ésotériques, y compris maçonniques et paramaçonnique.

Gérard Gendet nous instruit dont à la façon dont le siècle est passé du Figurisme à l’Illuminisme.

Il faut comprendre que les deux courants s’intéressent à la spiritualité et à l’interprétation de la divinité, mais de manières différentes. Le Figurisme se concentre sur l’interprétation allégorique des textes sacrés, voyant dans l’histoire et les événements actuels des figures ou des symboles de la tradition chrétienne alors que l’illuminisme, en revanche, est fondé sur l’idée d’une illumination intérieure et d’une connexion directe avec le divin, indépendamment des textes religieux formels.

Pour effectuer une transition intellectuelle ou spirituelle entre ces deux idées, il faudrait passer de l’analyse externe des textes à une quête interne de la connaissance divine, en cherchant l’inspiration et la vérité non pas dans des allégories mais dans des expériences personnelles d’illumination.

L’ouvrage permet aussi d’entrer dans la théosophie des Élus Coëns. Rappelons que l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, est un ordre maçonnique ésotérique et illuministe. Cet ordre avait pour but la réintégration spirituelle de l’homme et enseignait que par une série d’initiations et de pratiques occultes, les membres pouvaient atteindre une connaissance directe de Dieu. La doctrine des Élus Coëns est complexe, mêlant des éléments de théurgie, de cabale chrétienne et d’autres influences mystiques, visant à restaurer en l’homme l’état adamique perdu après la chute. L’auteur accorde une place à la théosophie des Élus Coëns. Elle se caractérise par son approche illuministe, qui promeut une connexion directe et intérieure avec la divinité, indépendante de toute structure religieuse externe. Cette voie se veut être celle qui mène à la connaissance des mystères cachés de la nature et de Dieu, considéré comme l’unité primordiale perdue depuis la chute d’Adam. Pour mémoire, Louis-Claude de Saint-Martin, disciple de Pasqually, a développé et diffusé ces idées, en particulier pendant la Révolution française, les considérant comme un moyen de retrouver la sagesse divine au-delà des institutions religieuses et politiques existantes​​.

Cachet de Martinès de Pasqually.

Le livre décode aussi les conceptions théosophico-maçonniques du thaumaturge – terme dérivé du grec ancien thaumatourgos signifiant « travaillant des merveilles » ou « faiseur de miracles » – Martines de Pasqually. Des conceptions impliquant un travail sur l’illumination spirituelle et la réintégration de l’homme dans l’état de pureté originelle, prônant la connaissance directe de Dieu perdue depuis la chute d’Adam. Cela a évidemment influencé des grandes figures tels le Philosophe inconnu et le soyeux lyonnais Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), personnage majeur de la franc-maçonnerie et de l’ésotérisme européen du XVIIIe siècle et fondateur du RER.

Le grand intérêt de l’ouvrage est de décortiquer ce texte fondamental qu’est le Traité de la réintégration des êtres, base doctrinale de la théurgie martinésiste. Il nous offre aussi un décryptage de l‘herméneutique théosophique de Martinez de Pasqually qui repose sur l’interprétation ésotérique des écritures saintes et d’autres textes sacrés.

C’est ainsi que la théologie mystique de Martines de Pasqually à un théologie chrétienne à cratère théosophique, l’auteur nous éclaire quant à de multiples notions : Dieu caché, Trinité, péché originel, libre-arbitre, Grâce et prédestination, Foi et œuvres,  corps glorieux et Résurrection…

Un magnifique ouvrage publié dans la collection Étienne Dolet, humaniste, écrivain, poète et imprimeur français (c.1509-1546), ayant côtoyé des figures telles que Clément Marot et Rabelais.

*L’École Pratique des Hautes Études (EPHE), cinquième section, est spécialisée dans les sciences religieuses. Fondée en France, cette institution est réputée pour ses recherches en histoire des religions et en études théologiques, offrant un cadre académique pour l’étude avancée des phénomènes religieux sous divers aspects. Cela inclut l’histoire, la sociologie, l’anthropologie des religions, ainsi que l’étude des textes sacrés et des pratiques rituelles.

Le cours “Courants ésotériques dans l’Europe moderne et contemporaine”, créé par l’éminent universitaire Antoine Faivre (OE décembre 2021), directeur d’études émérite de l’EPHE ayant largement contribué à l’étude académique de l’ésotérisme, est un sujet de recherche académique qui se concentre sur l’étude des divers mouvements ésotériques et de leurs influences sur la culture européenne de la période moderne à nos jours.  

Du Figurisme à l’Illuminisme : le Traité de la Réintégration des êtres de Martinès de Pasqually (? – 1774)-La théosophie des Élus Coëns

Gérard GendetLes Éditions de La Tarente, Coll. Étienne Dolet, 2023, 588 pages, 54 €

Disponible à La Tarente

Ou chez Le Troubadour du Livre de Philippe Subrini

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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