jeu 21 novembre 2024 - 18:11

À fleur de peau : Qu’en est-il du tatouage, y compris maçonnique…

Selon une enquête de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) de 2018, 18 % des Français déclarent être (17 %) ou avoir été tatoués (1 %). Cette proportion a augmenté de 8 points entre 2010 et 2018.

Les femmes sont plus susceptibles d’avoir des tatouages que les hommes, avec 20% contre 16 % pour les hommes. Les tranches d’âge les plus tatouées sont les 25-34 ans (31 %), suivies des 35-49 ans (26 %) et des 18-24 ans (22 %). Les catégories populaires, comme les ouvriers, sont plus tatouées (31 %) que les catégories supérieures (20 %), et les personnes ayant fait des études supérieures sont moins tatouées que la moyenne (10 % contre 18 %). En termes géographiques, la province (19 %) est plus tatouée que la région parisienne (13 %)​​.

450.fm avait déjà publié Gros plan sur : Le tatouage, le 29 septembre 2022, mais vous avez été nombreux à nous demander de consacrer un nouvel article sur ce passionnant sujet. Avec l’espoir qu’il répondra à vos attentes.

PHOTO HTTPS://LEGION-ETRANGERE-F.FORUMACTIF.ORG/

Ma grand-mère disait « seuls les voyous et les légionnaire sont tatoués ». Certes oui, mais c’était avant ! Dans le temps, il est vrai que le tatouage était lié à des marques de criminalité, de servitude ou d’identification. Quant aux légionnaires – mais aussi aux marins – il était courant comme un moyen d’exprimer leur identité, leur bravoure, leurs voyages ou leurs expériences. Avec le temps, ces perceptions ont changé et le tatouage est devenu une pratique acceptée et répandue dans de nombreuses cultures à travers le monde…

Reconstitution de la momie d’Ötzi.

Au commencement était le tatouage

L’histoire du tatouage commence dès le Néolithique, avec la découverte d’Ötzi, l’homme des glaces, daté de 3500 avant J.-C., qui portait soixante-et-un tatouages. En Égypte ancienne, de nombreuses momies ont également été retrouvées avec des tatouages.

Chef Maori.

Le tatouage dérive du tatau polynésien, une pratique importante remontant à 1300 avant l’ère chrétienne. Cependant, le tatouage a été interdit par l’Ancien Testament et en 787 par le pape Adrien Ier (?-795), 95e pape de l’Église catholique romaine.

Ce dernier le considérait, ainsi que toutes les autres formes de marques corporelles, comme des symboles païens. Cette interdiction faisait partie d’un effort plus large pour éloigner les pratiques chrétiennes des influences païennes de l’époque.

Quant aux Européens, ils ont redécouvert le tatouage au XVIIIe siècle grâce aux voyages de James Cook dans le Pacifique Sud.

James Cook.

Rappelons que l’explorateur et navigateur britannique James Cook (1728-1779) a reçu la médaille d’or de la Royal Society et une bourse. Bien qu’aucune preuve de son appartenance à la fraternité ne soit disponible, il est souvent qualifié de franc-maçon. Les affirmations selon lesquelles il aurait été initié à la Loge de l’Industrie n° 186 ne tiennent pas compte du fait que cette loge semble avoir été connue qu’à compter du 15 janvier 1788, soit neuf ans après la mort de Cook.

Sir Winston Churchill
Sir Winston Churchill – Photo YG

Pendant longtemps donc, les tatouages étaient associés aux marins et utilisés par la police pour l’identification. D’importantes personnalités historiques, y compris le tsar Nicolas II et Winston Churchill, illustre franc-maçon, avaient des tatouages.

Par ailleurs, au XIXe siècle, nous devons à l’artiste tatoueur américain Samuel O’Reilly l’invention de la première machine à tatouer électrique. Il reconnaissait lui-même que son invention n’était en réalité qu’une version modifiée du stylo autographique électrique, un appareil initialement créé par Thomas Edison (1847-1931), à qui nous devons la vulgarisation de l’électricité, de l’éclairage électrique et l’invention du phonographe. Certains n’hésitent pas à dire que c’est son « esprit maçonnique » qui a donné naissance à l’éclairage mondial sous la forme d’une lumière électrique bon marché.

Puis le tatouage est devenu un phénomène de mode dans les années 1980/1990, se détachant de son image underground pour devenir une expression esthétique et populaire.

Gardons hélas en mémoire que le tatouage n’a pas toujours été volontaire dans l’histoire. Il a malheureusement été utilisé pour identifier ou punir, comme chez les esclaves dans l’Antiquité ou les déportés pendant la Seconde Guerre mondiale par les nazis​​.

Le tatouage dans les différentes civilisations

Le tatouage a été pratiqué dans diverses civilisations à travers le monde, chacune avec ses propres techniques, significations et traditions.

Hathor.

Dans l’Égypte antique, les momies montrent des tatouages souvent associés à Hathor signifiant « Maison d’Horus », et déesse de l’amour, de la beauté, de la musique, de la maternité et de la joie. Ils auraient pu servir de protection ou de signe de statut religieux.

Guerriers Timucua.

En Polynésie, le tatouage est profondément ancré dans toutes les cultures tatau en tahitien. Ce terme est à l’origine du mot tatouage en français et tattoo en anglais. Cette tradition ancestrale de marquage corporel est une pratique culturelle riche de sens. Le tatau polynésien est bien plus qu’une simple décoration corporelle; il représente l’identité sociale, le statut, la généalogie et l’histoire personnelle de l’individu. Chaque motif et chaque ligne ont une signification spécifique et sont souvent liés à des rites de passage, à l’histoire des ancêtres ou à des croyances spirituelles. En Polynésie, le processus de tatouage est considéré comme sacré et est souvent accompagné de cérémonies et de rituels.

Tatouage intégral yakuza portant un fundoshi.

Au Japon, les tatouages traditionnels japonais, ou irezumi, étaient portés par les guerriers et les classes marginales, devenant plus tard un symbole d’appartenance aux yakuza.

En Amérique du Nord, surtout chez les peuples autochtones, le tatouage servait de signe d’appartenance tribale, de statut, de mérites et de rites de passage.

Quant à l’Europe, reconnaissons que déjà à l’époque des Celtes et des Vikings, les tatouages avaient des connotations spirituelles et guerrières. Après une longue période de déclin, le tatouage a été redécouvert en Europe (cf. supra) lors des explorations du XVIIIe siècle.

En Asie du Sud-Est en général et plus particulièrement en Thaïlande, les tatouages Sak Yant sont censés conférer protection et pouvoirs magiques.

Aux Philippines, ils étaient portés par les guerriers tribaux afin de signifier leur bravoure au combat.

Mais comment les tatouages sont considérés dans les différentes religions ?

La perception du tatouage dans les différentes religions varie considérablement :

Nous nous cantonnerons aux principales (judaïsme, christianisme, islam, hindouisme et bouddhisme), ne pouvant explorer les milliers d’autres religions plus petites…

La tradition juive est généralement contre le tatouage, se fondant également sur le Lévitique. Il est souvent considéré comme une violation du devoir de préserver l’intégrité du corps. Il est vrai que, historiquement, le judaïsme interdit les tatouages selon les lois de la Torah, en particulier en référence au Lévitique 19:28. En outre, la tragédie de l’Holocauste, où les victimes étaient marquées de force avec des numéros de tatouage dans les camps de concentration nazis, a renforcé pour beaucoup de Juifs le rejet des tatouages.

Auschwitz survivor displays tattoo detail.

Pour certains, choisir de ne pas se faire tatouer est aussi une manière de rendre hommage à la mémoire des victimes de la Shoah. Cependant, les opinions et pratiques peuvent varier parmi les Juifs contemporains.

Au sein du christianisme, les opinions varient. Certains chrétiens citent le Lévitique 19:28 pour s’opposer aux tatouages, tandis que d’autres les considèrent comme une forme d’expression personnelle acceptable.

Par contre, la majorité des écoles juridiques islamiques désapprouvent le tatouage. Il est généralement considéré comme haram, c’est-à-dire interdit, selon la majorité des érudits musulmans.

Encres de tatouage.

Cela est dû à la croyance que le tatouage modifie de manière permanente la création d’Allah, ce qui est considéré comme un acte de défi. De plus, le processus de tatouage implique l’injection de pigments sous la peau, ce qui peut être considéré comme une forme d’auto-lésion, également interdite en islam. Notons qu’il peut y avoir des interprétations différentes parmi les érudits et les pratiquants de l’Islam, certains pouvant être plus libéraux dans l’approche de cette question.

Enfin dans l’hindouisme et le bouddhisme, il n’y a pas de prohibition générale des tatouages. Ils peuvent même être utilisés comme expressions de foi ou de dévotion, bien que les attitudes puissent varier selon les régions et les sectes.

Que penser des tatoués : l’avis des psys…

L’article provenant de la revue L’autre – Cliniques, Cultures et Sociétés explore le tatouage sous un angle psychanalytique et psychosocial. Selon cette perspective, les tatouages peuvent servir de marqueurs identitaires aidant à la construction d’une nouvelle identité. Le processus de prise de conscience du corps et de la peau est central dans la construction de l’identité personnelle, où la peau sert d’écran pour projeter une identité rêvée.

Les tatouages, selon les participants de l’étude, ont contribué à augmenter leur estime de soi. Ils permettent de créer un « faux self » pour protéger le « vrai self » et d’établir une façade extérieure qui constitue l’identité sociale par le regard d’autrui. Ils servent également à créer un look distinctif qui attire l’attention, leur permettant de se sentir uniques et reconnus​​.

Ces conclusions indiquent que du point de vue de certains psychiatres et psychologues, le tatouage peut avoir des implications positives sur l’identité et l’estime de soi des individus. Toutefois, il est important de noter que les réactions et les expériences individuelles peuvent varier grandement, et les professionnels de la santé mentale reconnaissent une gamme de motivations et d’effets psychologiques associés au tatouage.

Que penser des francs-maçons qui se font des tatouages maçonniques

Les francs-maçons qui se font des tatouages maçonniques le font souvent pour marquer un engagement personnel envers leur fraternité et ses valeurs. Cela peut être vu comme une forme d’expression de leur identité maçonnique, une commémoration de certaines étapes franchies dans la hiérarchie maçonnique, ou simplement un moyen de porter sur eux des symboles qui leur sont chers.

Comme pour toute personne se faisant tatouer des symboles significatifs, c’est un choix personnel qui reflète souvent une profonde connexion avec les idéaux représentés par les motifs choisis.

Alors, le tatouage, maçonnique ou non, retenons qu’il peut être interprété de diverses manières et sa signification varie grandement d’une personne à l’autre.

Pour certains, il peut être une forme d’expression personnelle, d’art corporel, de souvenir, de guérison, d’appartenance à un groupe, ou de célébration de moments importants de la vie. D’autres peuvent le voir comme une forme d’affirmation de soi qui peut être interprétée, selon le point de vue, comme un acte égotique. Respectons tout simplement les motivations complexes et souvent profondes de ceux qui ont librement choisi cette pratique.

Nous vous invitons aussi à (ré)écouter la podcast de RadioDelta sur Le tatouage est-il encore un rituel Initiatique ? (Le poste Zéro #20), le poste zéro l’émission qui réfléchit les miroirs brisés.

Ou encore à lire le catalogue de la belle exposition « TATOUEURS, TATOUÉS » qui revenait sur les sources du tatouage, tout en présentant le renouveau de ce phénomène désormais permanent et mondialisé et qui a eu lieu du 6 mai 2014 au 18 octobre 2015 au musée du quai Branly – Jacques Chirac. En coédition avec Actes Sud 2014 (304 pages, 19,6 x 25,5 cm, 220 illustrations, 45 €).

Sources : CB Expert, Wikimedia Commons, revue L’autre-Cliniques, Cultures et Sociétés, IFOP

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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