jeu 09 mai 2024 - 12:05

Les Cultes à mystères dans l’Empire romain

Avec ce dernier opus, l’historien des religions Francesco Massa* enrichit la magnifique collection « Mondes anciens », dirigée par Jean-Michel David – historien français, spécialiste de l’histoire politique, sociale et culturelle de la République romaine – et François de Polignac – ancien élève de l’École normale supérieure, ancien membre de l’École française de Rome et chargé de recherches au CNRS. Pour ladite collection, l’histoire de l’Antiquité est fondatrice.

Elle se présente ainsi : « Les grands moments que l’on en retient, l’Égypte, les empires de Mésopotamie, les cités grecques et les monarchies hellénistiques, la République romaine et l’Empire, sont ceux au cours desquels se sont structurés des modes de représentation du monde qui nous inspirent encore aujourd’hui : la Bible, la Démocratie, le Droit pour ne citer qu’eux. L’étude en requiert de la rigueur et de la précision, tant les sources sont rares et sujettes à interprétation. L’érudition pourtant ne peut suffire. Il faut aussi donner un sens aux événements que l’on reconstitue.

La collection Mondes anciens de monographies d’histoire et d’anthropologie de l’Antiquité s’inscrit dans une perspective à la fois savante et réfléchie qui permet, sans oublier non plus les questions d’historiographie, d’analyser les mécanismes qui régulaient les sociétés et en déterminaient les représentations. »

L’ouvrage débute avec des « Remerciements » qui sont comme une sorte d’avant-propos puisque Francesco Massa y expose la genèse du livre, fruit de trois projets menés à Paris, Genève et Fribourg, le conduisant à s’imprégner des discours et des pratiques des mystères de l’Antiquité.

Le Telesterion à Éleusis.

Francesco Massa, en dix chapitres, nous plongent donc dans les cultes à mystères. Mais pour bien les comprendre, il faut savoir ce que les mystères représentent pour les historiens, notamment les historiens des religions, mais aussi pour les théologiens. Contextualisant toujours ses écrits et avant d’entrer dans le vif du sujet, il a semblé utile à l’auteur de donner un aperçu du vocabulaire employé dans l’Antiquité. Puis il commence la description et l’analyse des cultes à mystères avec ceux l’Asie mineure au IIe siècle.

Mais qu’est-ce qu’un culte à mystères ? Tout simplement une forme de culte religieux qui était populaire dans certaines sociétés anciennes, notamment en Grèce et à Rome. Cultes caractérisés par des cérémonies secrètes, des initiations devant révélées de grandes connaissances cachées… Et, bien évidemment, uniquement réservées aux seuls initiés.

Parmi les cultes à mystère les plus célèbres, nous trouvons les mystères d’Éleusis en Grèce, centrés sur les déesses Déméter et Perséphone, les mystères de Mithra, qui étaient populaires dans l’armée romaine, et le culte d’Isis, qui venait de l’Égypte mais s’est étendu à travers l’empire romain.

Clément d’Alexandrie.

S’appuyant sur les écrits du théologien et philosophe chrétien Clément d’Alexandrie (c.150 ap. J.-C.-c. 215 ap. J.-C.). Pour mémoire, dans son ouvrage le plus connu, Stromates, Clément parle directement des cultes à mystères antiques. Il critiquait ces cultes pour ce qu’il percevait comme leur secret ostentatoire et leurs pratiques déroutantes, tout en suggérant que les mystères promis par ces cultes n’étaient que des imitations de la véritable révélation fournie par le Christ. Clément affirmait que les mystères chrétiens étaient supérieurs parce qu’ils étaient basés sur la vérité divine plutôt que sur des rituels secrets. Clément utilisait l’allegoria, l’interprétation allégorique, pour interpréter les Écritures, cherchant à révéler des vérités cachées derrière les textes sacrés, une méthode qui avait des parallèles avec la recherche d’une compréhension cachée ou ésotérique de la réalité, comme celle qui était recherchée dans les cultes à mystères…

L’ouvrage nous éclaire quant à l’historien, biographe et philosophe grec vivant à la charnière du Ier et du IIe siècle après J.-C. Plutarque, auteur antique qui a discuté des cultes à mystères, bien que lui-même ne soit pas un adepte desdits cultes. Il est connu pour avoir écrit sur les Mystères d’Éleusis, l’un des cultes à mystères les plus célèbres de l’antiquité. Bien que les détails des rites d’initiation aux Mystères d’Éleusis aient été tenus secrets par les initiés, dans son œuvre De Iside et Osiride, Plutarque révèle certains aspects de ces pratiques et offre une interprétation allégorique des mythes liés à Osiris et à Isis, qui ont des parallèles avec les croyances grecques autour de la mort et de la renaissance, thèmes centraux des Mystères d’Éleusis.

Mystères d’Éleusis.

Francesco Massa s’intéresse aussi à l’érudit et rhéteur grec du IIe siècle après J.-C. Julius Pollux, connu principalement pour son œuvre Onomasticon, une sorte de lexique ou d’encyclopédie en dix volumes qui répertorie et définit divers termes classés par sujet. Un travail précieux qui recèle aussi des informations sur les pratiques religieuses, y compris les cultes à mystères.

Rappelons aussi que l’Empire romain a connu plusieurs phases, dont le Haut-Empire (27 av. J.-C. – 284 ap. J.-C.) et le Bas-Empire (284 ap. J.-C. – 476 ap. J.-C. pour la partie occidentale (jusqu’en 1453 ap. J.-C. pour la partie orientale, également connue sous le nom d’Empire byzantin). L’auteur couvre une période allant jusqu’à la fin du IVe siècle.

L’ouvrage analyse l’ensemble des cultes à mystères sous l’Empire romain dont essentiellement ceux :

d’Éleusis, l’un des plus anciens et des plus célèbres cultes à mystères, centré autour de Déméter et de sa fille Perséphone. Les initiés participaient à des rituels secrets qui promettaient des bénéfices dans l’au-delà. Souvenons-nous qu’Éleusis n’est pas le nom d’une personne – malentendu courant –, mais celui d’une ville, une ancienne cité grecque située à environ 20 kilomètres à l’ouest d’Athènes. Son sanctuaire porte le nom de Telesterion ;

Culte de Mithra.

-de Mithra. D’origine persane, le mithraïsme était populaire parmi les soldats romains. Il impliquait un système graduel d’initiation, avec des rituels souterrains souvent pratiqués dans des mithraea (sanctuaires dédiés) ;

-d’Isis. Originaire d’Égypte, ce culte a vénéré la déesse Isis et son mari Osiris. Il offrait une promesse de renouveau et de renaissance à travers des rites d’initiation ;

-de Cybèle et Attis. Cybèle, la Grande Mère, Mère des dieux, Mater Magna était une déesse originaire d’Anatolie. Les rites associés à son culte étaient spectaculaires, avec de la musique, des danses et parfois des actes d’automutilation par ses prêtres, les Galli ;

Dionysos, musée du Louvre.

-de Dionysos. Bien que Dionysos soit principalement associé à la Grèce, son culte a également été pratiqué dans l’Empire romain. Ses mystères tournaient autour de thèmes de la résurrection et de la transformation ;

Gustave Courtois, Orphée – 1875. Pontarlier, Musée municipal.

-d’Orphée. Centré autour des mythes et des enseignements attribués à Orphée, ce culte promettait à ses initiés une vie après la mort meilleure grâce à des rites et des chants secrets.

L’auteur pose la question, et c’est d’ailleurs son sous-titre « Païens et chrétiens en compétition », de savoir quelle a été la ‘’cohabitation’’ entre cultes à mystères et christianisme. Lesdits cultes ont commencé à décliner avec la montée du christianisme, qui est devenu la religion dominante de l’empire romain au IVe siècle après J.-C.

Chrisme, avec l’alpha et l’oméga.

Néanmoins, leur influence a été longue et certaines de leurs idées et pratiques ont été intégrées dans les traditions ésotériques et occultes ultérieures. Peut-être encore aujourd’hui ? Mis à mesure que le christianisme gagnait en popularité, il entrait souvent en conflit avec les cultes à mystères. Les deux offraient des expériences spirituelles profondes et des promesses de vie après la mort. Cependant, les chrétiens critiquaient souvent les cultes à mystères pour leur immoralité et leurs pratiques païennes. En retour, les païens accusaient parfois les chrétiens de subversion ou d’athéisme, car ces derniers refusaient de vénérer les dieux de l’État…

Plan d’Éleusis.

Le très sérieux ouvrage, qui pourrait sembler accessible qu’aux seuls érudits est en réalité abordable par tout cherchant et curieux de nature. Comme une enquête aux sources même de traditions initiatiques connues depuis des temps immémoriaux.

Il se termine avec une liste d’images et d’abréviations, une très riche et imposante bibliographie de 55 pages, suivie d’un index des sources épigraphes (par corpus), des sources littéraires et d’un index rerum, c’est-à-dire par thème.

*Francesco Massa est historien des religions, spécialiste des interactions religieuses dans la Méditerranée antique et tardo-antique. Après une formation en sciences de l’Antiquité à l’Université de Pavie et en histoire des religions à l’École pratique des hautes études de Paris, il a exercé en France (Paris, Aix-Marseille, Toulouse) et en Suisse (Genève, Fribourg). Il est actuellement professeur assistant au Département d’études historiques de l’Université de Turin.

Il travaille notamment sur les transformations religieuses à l’époque de l’Empire romain et les cohabitations entre païens et chrétiens aux IIe-IVe siècles et s’intéresse également à la construction des notions religieuses (paganisme, mystères, religion, hérésie), par les auteurs chrétiens des premiers siècles de notre ère. Il est actuellement professeur assistant au Département d’études historiques de l’Université de Turin. Francesco Massa est aussi l’un des éditeurs d’Asdiwal, une revue genevoise d’histoire des religions, et de Mythos, rivista di storia delle religioni, et il est membre du comité de rédaction de Semitica et Classica, revue internationale d’études orientales et méditerranéennes.

Les Cultes à mystères dans l’Empire romainPaïens et chrétiens en compétition

Francesco Massa – Les Belles Lettres, Coll. Mondes anciens, 2023, 432 pages, 33 €

Illustrations : Wikimedia Commons

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti est directeur de la rédaction de 450.fm. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans une grande banque ancrée dans nos territoires. Petit-fils du Compagnon de l’Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis (UC) Pierre Reynal, dit « Corrézien la Fraternité », il s’est engagé depuis fort longtemps sur le sentier des sciences traditionnelles et des sociétés initiatiques. Chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France (IMF) et médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie (Musée de France), il collabore à de nombreux ouvrages liés à l’Art Royal et rédige des notes de lecture pour plusieurs revues obédientielles dont « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France et « Perspectives » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain ou encore « Le Compagnonnage » de l’UC. Initiateur des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, il en a été le commissaire général. En 2023, il est fait membre d'honneur des Imaginales Maçonniques & Ésotériques d'Épinal (IM&EE).

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