ven 03 mai 2024 - 08:05

Après le meurtre d’Oscar Dufrenne, la presse titre : « franc-maçonnerie du vice »

De notre confrère actu.fr – Par Antoine Blanchet

Il y a 90 ans, l’assassinat d’un directeur de théâtre déchaînait les réactions homophobes à Paris. Le 25 septembre 1933, le directeur de plusieurs théâtres parisiens Oscar Dufrenne est assassiné au Palace à Paris. Dans les journaux, l’homophobie est omniprésente.

Le 25 septembre 1933, Oscar Dufrenne, directeur de plusieurs théâtres à Paris et homme politique en vogue, est sauvagement assassiné dans son bureau au Palace, l’un des cinémas qu’il dirige. Le coupable ? Un mystérieux marin avec qui la victime, notoirement homosexuelle, avait rendez-vous. La presse s’emballe et l’homophobie se déchaîne. Retour sur cette affaire emblématique. 

Une ascension sociale fulgurante 

La vie d’Oscar Dufrenne a des allures balzaciennes. Fils d’un tapissier originaire de Lille, il assiste son père avant de se lancer dans le théâtre. Jeune comédien, il monte à Paris. Il abandonne la scène pour se faire imprésario, puis trouve le succès en gérant de multiples théâtres.

Les Bouffes du Nord, Le Palace, Le Bataclan, Le Casino de Paris… Oscar Dufrenne devient l’empereur de la scène parisienne. Il côtoie les vedettes de son temps telles que Mistinguett et Joséphine Baker. En parallèle, il se lance en politique et devient conseiller municipal dans le 10ᵉ arrondissement de la capitale. Très apprécié par ses concitoyens, notamment dans son engagement pour de nombreuses œuvres de charité, il reçoit la Légion d’honneur en 1926.  

Côté vie personnelle, Oscar Dufrenne ne cache pas son homosexualité : « Il avait de nombreux amants et des relations plus sérieuses. Malgré le conservatisme de l’époque, il évoluait dans le milieu artistique, qui était beaucoup plus tolérant que le milieu bourgeois », détaille Florence Tamagne, historienne et auteure de l’ouvrage Le Crime du Palace Enquête sur l’une des plus grandes affaires criminelles des années 1930. 

Rendez-vous avec un mystérieux marin 

L’ascension fulgurante se termine brutalement. Le 25 septembre 1933, son corps est retrouvé le crâné fracassé dans son bureau du Palace. La victime a été partiellement déshabillée et enroulée dans un tapis.

Interrogés par la police, les employés de l’établissement révèlent qu’Oscar Dufrenne avait rendez-vous avec un homme habillé en marin. Un accoutrement qui ne va pas orienter les enquêteurs vers l’océan : « À l’époque, les marins étaient des objets de désir, et de nombreux prostitués hommes s’habillaient de cette façon », précise Florence Tamagne. 

Railleries de la presse populaire 

Dans un premier temps, les policiers piétinent, ce qui n’empêche pas une partie de la presse de déverser des diatribes homophobes dans ses colonnes. « Certains titres n’en parlent pas comme La Croix ou sont dans l’allusion comme Le Temps, détaille Florence Tamagne. Mais la presse populaire va faire du Crime du Palace sa Une pendant plusieurs jours ». 

Lorsque ces journaux évoquent la victime et les faits, le ton est narquois : « La presse n’écrit à destination que des hommes hétérosexuels. Le ton est souvent moqueur et injurieux. On va parler « d’individus abjects ». Ce qui est constant, c’est aussi le stéréotype homophobe et sexiste de « l’inverti ». Par exemple, on donne à la victime des caractéristiques féminines et les prostitués homosexuels interrogés sont appelés des filles », poursuit Florence Tamagne. 

Une homophobie ambiante 

Très vite, les diatribes ne se cantonnent pas à la seule victime. « Les médias d’extrême droite vont fantasmer une communauté homosexuelle qui se connaît et s’entraide.

On parle de ‘franc-maçonnerie du vice’ ». Antisémitisme oblige, l’Action Française va de son côté parler d’un « vice juif ». D’autres évoquent un « vice allemand ». 

Le climat délétère va mener jusqu’à des actions publiques contre ce que l’on appelle la « propagande homosexuelle » : « Bien que non pénalisée à l’époque, l’homosexualité va provoquer des débats entre le Conseil de Paris et la Préfecture de Police pour « nettoyer la capitale », relate Florence Tamagne. Des descentes ont lieu dans plusieurs bars à Montmartre afin d’arrêter les prostitués hommes. 

Règlements de comptes en politique 

<< Le meurtre d’Oscar Dufrenne est, au-delà des mœurs, un moyen de régler ses comptes dans le monde politique d’alors. Nous sommes dans les années 30. Les ligues d’extrême droite sont très puissantes. Elles vont se servir de l’affaire pour traîner certains politiciens dans la boue. Le fils du président de la commission des finances est ainsi accusé un temps du meurtre de Dufrenne, même s’il n’était pas à Paris ! Une calomnie qui fait les choux gras de l’Action Française> . 

Paul Laborie, un malfrat accusé du meurtre 

Après deux années d’investigations sans résultat, un suspect est enfin arrêté. Il s’agit de Paul Laborie. Multirécidiviste impliqué dans de nombreuses affaires de cambriolages et de violences, il était à Paris le jour des faits. Par ailleurs, il s’est déjà fait passer pour un prostitué afin de faire chanter des hommes influents. Peu après le meurtre, il avait pris la fuite en Espagne. 

L’affaire semble trouver son dénouement, mais ce n’est hélas pas le cas. Le procès de Laborie tourne au fiasco, comme le rappelle Florence Tamagne. « Lors de l’audience, plusieurs témoins auraient été intimidés par la famille de l’accusé. Le procès va aussi devenir celui de la victime, où l’on dénonce ses mœurs et son mode de vie ». Paul Laborie est finalement acquitté sous les applaudissements du public. 

Après ce dernier soubresaut, le crime tombe dans l’oubli. Contrairement à l’affaire Violette Nozière, commis à la même période, aucune campagne de soutien ne tente de réhabiliter Oscar Dufrenne. Aujourd’hui, seule la tombe discrète au Père Lachaise de l’Empereur des théâtres rappelle ce meurtre irrésolu. 

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