Le Parfait Maçon-Les débuts de la maçonnerie française (1736-1748)
C’est grâce à Martinès de Pasqually que j’ai rencontré Johel Coutura (1946-1995) au début des années 90. Enfin, plutôt à travers la remarquable Société Martinès de Pasqually, société de recherches historiques, fondée en 1989, , dont le siège se situe au cœur d’une magnifique région viticole et ville portuaire, Bordeaux.
Puis, de la librairie du Glorit à celle du très beau Musée d’Aquitaine, notamment lors de l’exposition sur « La Franc-maçonnerie » en 1994, nous avons pu échanger. Le catalogue de cette exceptionnelle exposition temporaire, dont le succès dépassa nos frontières, témoigne encore de son savoir, de son érudition mais surtout de son désir de transmettre. Il en fut le principal rédacteur
Chercheur et historien, animé par une belle passion, sans cesse en quête d’archives, grand spécialiste de la maçonnerie en pays bordelais, nous lui devons, entre autres, une histoire des Francs-maçons de Bordeaux au XVIIIe siècle (Marcillac, 1988), une vaste Bibliographie générale des sources imprimées de la Franc-Maçonnerie française au XVIIIe siècle (1992), une remarquable anthologie de textes anciens sur les débuts de la maçonnerie française (1736-1748) sous le titre général Le Parfait Maçon (1994). C’est cet ouvrage que Classiques Garnier, une collection datant de 1896 ayant
pour objet les littératures françaises, francophones et étrangères ainsi que les sciences humaines, réédite, y compris en relié, pour notre plus grand profit et plaisir.
La collection « Lire le dix-huitième siècle » est dirigée par le spécialiste de la littérature française du XVIIIe siècle qu’est Henri Duranton qui travaille sur les milieux érudits du XVIIIe siècle. 2023 voit donc la réédition d’un indispensable que tout maçon se doit de (re)lire. Le paysage maçonnique français actuel connait-il encore son origine ? Le moins que nous puissions dire, c’est qu’il le reflète mal.
Le Parfait Maçon nous remémore, à travers la littérature maçonnique, les origines de l’art royal en France. Il offre au lecteur ce que les ouvrages de l’époque permettaient de connaître sur la confrérie et ses mystères… Sept textes sont soumis à notre réflexion, à savoir :
Le Parfait Maçon ou les véritables secrets des quatre Grades d’Apprentis, Compagnons, Maîtres ordinaires et Écossais de la franche maçonnerie, Le secret des francs-maçons mis en évidence (par M. Uriot membre des loges de l’Union et de l’Égalité), première et seconde lettres, l’Apologie de l’ordre des francs-maçons, Le secret des francs-maçons entièrement découvert à une jeune dame de dix-sept ans, La Franc-Maçonne ou Révélations des mystères des Francs-Maçons (Bruxelles, 1744), L’école des Francs-Maçons (Jérusalem, 1748) et les Constitutions Histoires, lois, charges, règlements et usages de la très vénérable confrérie des acceptés francs-maçons. Il s’agit de la première traduction en français des célèbres Constitutions d’Anderson de 1723, traduites de l’anglais par Jean Kuenen, député grand maître des loges régulières en Hollande. Des Constitutions pour être lues à la réception d’un nouveau frère, suivant que le maître ou ses surveillants l’ordonneront. Elles furent imprimées en 1736 par Corneille Van Zanten, imprimeur ordinaire à La Haye.
La littérature maçonnique d’avant 1750 se doit de rester, pour l’initié d’aujourd’hui, un sujet fascinant. C’est justement ce que précise Johel Coutura dans sa préface. En effet, la littérature maçonnique reflète l’évolution de la franc-maçonnerie et de sa culture au cours de cette période. Ce qu’en savent les maçons et comment les profanes perçoivent la fraternité.
Une littérature permettant de mieux comprendre l’histoire, les croyances et les valeurs de la franc-maçonnerie naissante.
Bien au-delà des premiers documents maçonniques remontant donc au début du XVIIIe siècle, rappelons-nous que le premier document maçonnique imprimé est le Manuscrit Regius (vers 1390-1425), qui présente des poèmes en moyen anglais décrivant les principes de la maçonnerie. Le plus célèbre d’entre eux reste peut-être, quelques années plus tard, le Manuscrit Cooke (vers 1410-1450), qui décrit les devoirs et les responsabilités des maçons.
Cependant, la période entre 1600 et 1750 a vu l’émergence et la formalisation de rituels, de symboles et d’organisations maçonniques plus cohérents. Une partie importante de la littérature maçonnique d’avant 1750 est constituée de manuscrits et de “Constitutions”. Les Old Charges (Anciens Devoirs)
et les Constitutions of Freemasonry (Constitutions de la Franc-maçonnerie) sont des textes qui ont, bien évidemment, contribué à établir les usages et les pratiques de la franc-maçonnerie à mesure qu’elle se développait. Il faut bien noter que la littérature maçonnique d’avant 1750 met en évidence l’importance des rituels et du symbolisme dans la franc-maçonnerie. Les textes maçonniques de cette période contiennent des descriptions de cérémonies d’initiation, de grades et de symboles qui sont toujours présents dans la franc-maçonnerie moderne. Les profanes, en achetant ces ouvrages peuvent se faire ainsi passer pour des initiés et tenter, déjà, d’en usurper tous les avantages… Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie !
Revenons sur trois des sept textes publiés et bien détaillés dans la préface de Johel Coutura.
Ouvrage maçonnique écrit par Louis Travenol et publié pour la première fois en 1744, Le Parfait Maçon ou les véritables secrets des quatre Grades d’Apprentis, Compagnons, Maîtres ordinaires et Écossais de la franche maçonnerie est considéré comme une pièce importante de la littérature maçonnique et a contribué à la diffusion des rituels et des enseignements de la franc-maçonnerie à cette époque. Structuré en quatre parties, chacune correspondant à l’un des grades mentionnés dans le titre et en expose les enseignements, les symboles et les rituels spécifiques à chaque grade. L’auteur prétend révéler les secrets de la franc-maçonnerie, ce qui a suscité à l’époque des réactions variées au sein de la communauté maçonnique.
Quant au Le Secret des Francs-Maçons mis en évidence » publié en 1745 – à Francfort-sur-le-Main mais se trouve à La Haye chez le libraire Antoine Barrau – par M. Joseph Uriot – un pseudonyme ? –, l’ouvrage est une satire et une parodie de la franc-maçonnerie de son temps. Il prétend révéler les secrets et les rituels des francs-maçons de manière humoristique et satirique. Se moquant des cérémonies, symboles et pratiques maçonniques, tout en mettant en lumière les absurdités et les exagérations qu’il perçoit dans la confrérie, l’auteur joue sur le mystère et l’ésotérisme entourant l’art royal, ainsi que de ses prétendus secrets. Œuvre de fiction et simple divertissement satirique… Une forme artistique ou littéraire qui se sert de l’humour et de la moquerie pour dénoncer certaines choses, comme il en existe tant dans ce siècle !
Enfin, Apologie pour l’Ordre des Francs-Maçons est, par contre, une sorte de plaidoyer en faveur de la franc-maçonnerie, dans lequel l’auteur, franc-maçon resté anonyme, en huit observations et quelques questions et réponses cherche à réfuter les accusations de subversion, d’hérésie et d’antireligion qui étaient souvent portées contre la franc-maçonnerie à cette époque, notamment par l’Église catholique.
Rappelons aussi que le siècle de la raison, cette période des Lumières a eu, elle-aussi, une influence significative sur la littérature maçonnique. Les idées de rationalité, de liberté et de tolérance qui ont émergé pendant cette période ont été incorporées dans la franc-maçonnerie et ont influencé les textes maçonniques de l’époque. C’est ainsi qu’au fil du temps, la franc-maçonnerie, visant l’entraide et la bienfaisance, a évolué vers une société plus spéculative, axée sur la philosophie et la morale. Elle devient véritable sociabilité gagnée aux principales idées du siècle des Lumières. Les détracteurs diront même qu’elle en est à l’origine. Des valeurs essentielles défendues par les maçons, en France puis dans toute l’Europe, que sont la tolérance, la liberté et l’égalité. Des valeurs qui déboucheront ensuite sur la définition de nouveaux droits naturels et sur une séparation des pouvoirs politiques.
Cette littérature d’avant 1750 témoigne, aussi, des débats et des controverses qui ont entouré la franc-maçonnerie à ses débuts. Certains textes mettent en évidence les discussions sur la nature de la société, ses objectifs et son organisation interne.
En somme, cet ouvrage regroupe les essentiels de la littérature maçonnique d’avant 1750. Il donne un aperçu précieux de l’évolution de l’art royal dès l’origine. La franc-maçonnerie vit avec son temps, elle est de son temps. Pour nous, il est important de connaître cette histoire, celle de nos grands ancêtres maçons, fiers d’appartenir, sans doute, à quelque chose qui les dépasse. De la maçonnerie, cette très belle institution qui a plus de 300 ans, sachons garder son enseignement et faire prospérer l’esprit des pionniers de la première heure. Cette édition critique de notre frère Johel Coutura est de plus utiles.
Le Parfait Maçon-Les débuts de la maçonnerie française (1736-1748)
Johel Coutura – Classique Garnier, Coll. Lire le dix-huitième siècle, N° 15, 2023, 288 pages, 35 €