mar 30 avril 2024 - 03:04

Légende de la mer d’Airain

La mer d’airain est cette immense cuve pour les bains rituels, fondue par le maître bronzier Hiram, dont le nom varie selon les rites maçonniques. Elle est placée devant le Temple.

Une interprétation spirituelle dans un texte de 7 pages, écrit par un Daniel Beresniak halluciné, qui illumine le rituel du Conseil de Maîtres Installés du Rite Opératif de Salomon. Sont évoqués tour à tour les trois grands fondements du chemin initiatique : après l’inévitable et fondatrice Fraternité, les voies de la Souffrance ; enfin celle du Nulle part

Commençons par le texte splendide et éclatant de sous-entendus révélateurs et lumineux.

L’œuvre qui devait terminer le Temple était la « mer d’airain », une cuve colossale destinée aux sacrifices. À force de travaux et de veilles, Hiram avait achevé ses modèles et creusé avec art dans la terre l’empreinte de la « mer d’airain ». Elle devait être coulée sur place, solidement tenue par des contreforts de maçonnerie auxquels, plus tard, on devait substituer des sphinx gigantesques destinés à servir de supports. La fonte liquide envahissant plusieurs rigoles, le vide compris entre les plans devait emprisonner des barres d’or massif, rebelles à la fusion particulière au bronze et faire corps avec elles.

            Sept fois le soleil avait fait le tour de la terre depuis que le minerai avait commencé de bouillir dans la fournaise couverte d’une haute et massive tour de briques, qui se terminait à soixante coudées du sol par un cône ouvert d’où s’échappaient des tourbillons de fumée rouge et de flammes bleues pailletées d’étincelles.

            Une excavacation, pratiquée entre les moules et la base du haut fourneau, devait servir de lit au fleuve de feu lorsque viendrait le moment d’ouvrir avec des barres de fer les entrailles du volcan.

            Pour procéder au grand œuvre du coulage des métaux, on choisit la nuit : c’est le moment où l’on peut suivre l’opération, où le bronze, lumineux et blanc, éclaire sa propre marche. Et, si le métal éclatant prépare quelque piège, il s’enfuit par une fissure ou perce une mine quelque part, il est démasqué par les ténèbres.

            Ainsi l’achèvement du Temple érigé à la gloire de l’éternel était l’épreuve solennelle qui devait immortaliser ou bien discréditer le nom d’Hiram. Jamais fondeur n’avait engagé si redoutable partie.

            Depuis treize années, Hiram avait dirigé cent mille ouvriers. Pendant ce temps, il avait réuni le bois, la pierre et les métaux pour ériger la demeure de l’Arche d’Alliance et cette demeure était digne de tous les éloges.

            Or, la construction de la « mer d’airain » devait être l’apothéose de ses efforts. S’il échouait dans cette dernière épreuve, tout serait pour lui comme si rien n’avait été. Et cet échec annulerait d’un coup la totalité de ses efforts et de ses mérites.

            Or, la fonte de la « la mer d’airain » était une œuvre gigantesque, un défi du génie à la nature et à l’opinion des experts qui, tous, avaient déclaré le succès impossible. Aussi, des gens de tout âge et tout pays, attirés par le spectacle de cette lutte, envahirent-ils de bonne heure la colline de Sion.

            Déjà l’étoile du soir s’abaissait sur la mer ; la nuit, profonde, épaissie des nuages roussis par les effets fourneau, annonçait que le moment était proche. Suivi des chefs ouvriers, Hiram, à la clarté des torches, jetait un dernier regard sur les préparatifs et, courant ça et là, s’assurait de mille détails. Sous le vaste appentis adossé à la fournaise, on entrevoyait les forgerons, coiffés de casques de cuir à larges ailes rabattues et vêtus de longues robes blanches à manches courtes, occupés à arracher de la gueule béante du four, à l’aide de longs crochets de fer, des masses d’écume à demi vitrifiées, scories qu’ils entraînaient au loin. D’autres, juchés sur des échafaudages portés par des massives charpentes, lançaient, du sommet de l’édifice, des paniers de charbon dans foyer qui rugissait au souffle impétueux des appareils de ventilation.

            De tous côtés, des ruées de Compagnons armés de pioches, de pinces, erraient, projetant derrière eux de longues traînées d’ombre.

            Une fanfare annonça d’arrivée dans la cour : Salomon parut avec la reine de Saba et fut reçu par Hiram qui le conduisit au trône improvisé pour ses nobles hôtes. L’artiste avait endossé un plastron de buffle ; un tablier de laine blanche lui descendait jusqu’aux genoux ; ses jambes nerveuses étaient garanties par des guêtres en peau de tigre et son pied était nu car il foulait impunément le métal rougi.

            « Vous m’apparaissez dans votre puissance, dit la reine de Saba au roi des ouvriers. Vous êtes comme la divinité du feu. Si votre entreprise réussit, nul ne pourra dire : plus grand que Maître Hiram ».
            Ces paroles assombrirent le visage du roi Salomon et, avant que Hiram ne pût répondre à ces propos flatteurs, il lui dit : « Maître Hiram, ne perdez pas un temps précieux et retournez à vos labeurs ».

            Salomon, roi des Hébreux, voulait, en construisant le Temple, associer sa propre gloire à celle de l’Éternel et, pour cette raison, la réputation de Hiram le gênait. « S’il accomplit sa tâche, pensait-il, il honore le Temple de l’Éternel d’un monument incomparable, mais il ajoute de l’éclat à sa renommée et celle-ci peut éclipser la mienne… ».

            En outre, il désirait passionnément la reine de » Saba et avait remarqué que celle-ci était subjuguée par l’étonnante et rayonnante personnalité d’Hiram. Aussi, la jalousie s’était installée dans son cœur et y faisant des ravages, en affaiblissant son caractère, en détruisant la noblesse de ses sentiments et en diminuant son intelligence.

            Depuis plusieurs lunes, Salomon n’était plus un grand roi… Il était devenu un petit homme nerveux et inquiet, incapable d’élever sa pensée au-delà de ce qui regardait sa personne. Et, comme il était revêtu de l’autorité royale, il commit une vilaine action : pendant les préparatifs de la coulée, il ordonna à trois Compagnons d’exécuter faussement les ordres du Maître, afin que le travail ne pût se dérouler convenablement et que, la « mer d’airain » ne pouvant être menée à terme, tout se terminât par la confusion et la honte d’Hiram.

            Et voici ce qui arriva. Sur un signe de Hiram, les manœuvres s’écartèrent et le Maître, tandis que les marteaux faisaient retentir l’airain, souleva une massue de fer, l’enfonça dans l’embouchure du fourneau bâillonnée de terre cuite, la tourna et l’arracha avec violence. A l’instant, un torrent de liquide, rapide et blanc, s’élança dans le chenal et s’avança comme un serpent d’or strié de cristal et d’argent jusqu’à un bassin creusé dans le sable, à l’issue duquel la fonte se dispersa et suivit son cours le long de plusieurs rigoles.

            Tandis que la fonte ruisselante emplissait les cavités de la « mer d’airain » – dont le vaste contour, déjà, se traçait comme un diadème d’or sur la terre assombrie – des nuées d’ouvriers portant de larges pots à feu des poches profondes emmanchées de longues tiges de fer, les plongeaient tout à coup dans le bassin de feu liquide et couraient verser le métal dans les moules destinés aux lions, aux bœufs, aux palmes, aux chérubins qui devaient supporter la « mer d’airain ». Ils faisaient boire à terre de grandes quantités de feu. Couchés sur le sol, les bas-reliefs traçaient les silhouettes claires et vermeilles des chevaux, des taureaux ailés, des cynocéphales, des chimères monstrueuses enfantés par le génie d’Hiram.

  • « Spectacle sublime ! s’écria la reine de Saba, Ô grandeur ! Ô puissance du génie d’un mortel qui soumet les éléments et dompte la nature ! ».
  • « Il n’est pas encore vainqueur, murmura Salomon avec amertume, l’Éternel seul est tout puissant ! ».

            Tout à coup, Hiram s’aperçoit que le fleuve de fonte déborde. La source béante vomit des torrents ; le sable, trop chargé, s’écroule. Il regarde la « mer d’airain » : le moule regorge et une fissure se dégage au sommet, la lave ruisselle de tous côtés.

            Il exhale un cri si terrible que l’aire en est rempli et que les échos se répètent dans les montagnes. La terre, trop chauffée, se vitrifie. Alors, Hiram saisit un tuyau flexible aboutissant à un réservoir d’eau et dirige cette colonne d’eau sur la base des contreforts ébranlés du moule de la vasque. Mais la fonte, ayant pris l’essor, dévale jusque-là : les deux liquides se combattent, une masse de métal enveloppe l’eau, l’emprisonne, l’étreint. L’eau se vaporise et fait éclater ses entraves. Une détonation retentit : la fonte rejaillit dans les airs en gerbes éclatantes à vingt coudées de hauteur ; on croit voir s’ouvrir le cratère d’un volcan furieux. Ce fracas est suivi de pleurs, de hurlements affreux ; car cette pluie d’étoiles sème en tous lieux la mort : chaque goutte de fonte est un dard ardent qui pénètre dans les corps et qui tue. La place est jonchée de mourants et, au silence, a succédé un immense cri d’épouvante. La terreur est à son comble : chacun fuit ; la crainte du feu précipite ceux que le feu pourchasse. Les campagnes illuminées, éblouissantes et empourprées, rappellent cette nuit où Gomorrhe et Sodome flamboyaient, allumées par les foudres de Jéhovah.

            Hiram, éperdu, court ça et là pour rallier les ouvriers et fermer la gueule à abîme inépuisable. Mais il n’entend que des plaintes et des malédictions, il ne rencontre que des cadavres, le reste est dispersé. Salomon, seul, est demeuré, impassible, sur le trône. La reine de Saba est restée, calme, à ses côtés. Ils font encore briller le diadème et le sceptre dans les ténèbres.

  • « Jéhovah l’a châtié ! dit Salomon à son hôtesse, et il me » punit, par la mort de mes sujets, par ma faiblesse pour ce monstre d’orgueil. Partons, reine, le vil suppôt de Baal met votre vie en péril et cela seul m’inquiète ».

            Hiram, qui passait près d’eux, l’entendit ; il s’éloigna en rugissant de douleur. Plus loin, il rencontre un groupe d’ouvriers qui l’accablent de mépris, de calomnies et de malédictions.

  • « Déshonoré… s’écria-t-il avec amertume, voilà le fruit d’une existence austère et laborieuse, vouée à la gloire d’un prince ingrat ! Il me condamne et mes frères me renient ! Cette femme a vu ma honte et son mépris que j’ai dû subir ! Seul ! je suis seul et maudit. L’avenir est fermé, Hiram, souris à ta délivrance et cherche-la dans ce feu, ton élément et ton esclave rebelle ».

            Il s’avance, calme et résolu, vers le fleuve qui coule encore son onde embrasée de métal fondu et qui, ça et là, pétille au contact humide d’un cadavre. Il s’avance et voit les tourbillons de fumée violette et fauve qui voilent le théâtre abandonné de cette lugubre aventure. Là, il s’abîme dans sa méditation et tombe, foudroyé.

            Dans les profondeurs de la terre, Hiram entendit une voix grave qui prononçait son nom… Trois fois cette voix retentit et Hiram sentit qu’il se réveillait d’un lourd sommeil.

            Alors il vit s’approcher de lui une forme humaine colossale, coiffée d’une mitre vermeille et tenant dans sa main un marteau. Ce fantôme s’avança, grandit encore en s’approchant, abaissa sur Hiram de grands yeux brillants et doux et lui dit d’une voix qui semblait arrachée des entrailles du bronze :

  • « Lève-toi, mon fils,  viens et suis-moi. J’ai vu tes maux et je t’ai pris en pitié.
  • Esprit, qui es-tu donc ? Murmura Hiram épouvanté
  • Je suis l’ombre du père et des pères, l’aïeul de ceux qui travaillent et souffrent. Viens ! Quand ma main aura glissé sur front, tu respiras des flammes . Sois sans crainte, comme tu fus sans faiblesse.
  • Où l’entraines-tu ? Quel est ton nom ?
  • Au centre de la terre… dans l’âme du monde habité, là où s’élève le palais souterrain d’Hénoch, notre père, que les peuples nomment Hermès
  • Puissances immortelles ! s’écria Hiram ? Ô mon Seigneur, vous seriez…
  • Ton aïeul, homme, artiste, ton maître et ton patron : je suis Tubalcaïn ».

            Ils s’avançaient ensemble dans la région profonde de silence et de nuit. Aux régions humides et froides avait succédé une atmosphère tiède et raréfiée ; la vie intérieure de la terre se manifestait par des secousses, par bourdonnements singuliers. Des battements sourds, réguliers, périodiques annonçaient le voisinage du cœur du monde.

            Soudain, il tressaillit. Tubalcaïn parlait :

  • « Tes pieds foulent la grande pierre d’émeraude qui sert de racine et de pivot à la Création. Tu as abordé le domaine de tes pères. Ici, l’on peut, sans périr, se nourrir des fruits de l’Arbre de la Science ».

            Hiram exhale un long et doux soupir ; il lui semblait qu’un poids accablant – qui toujours, l’avait courbé dans sa vie – venait de s’évanouir pour la première fois.

            Tubalcaïn lui sourit gentiment et lui dit :

  • « Puisqu’à présent tu es libéré de ton fardeau, je te donnerai ce maillet. Je l’ai fait pour toi. Avec lui, tu retourneras sur la surface de la terre et tu accompliras ton œuvre. Mais, avant que je ne te dise comment tu dois savoir te servir de ce maillet, écoute la voix de Caïn, notre père, et d’Adam, le père de notre père ».

            Et Hiram entendit parler Caïn :

  • « Que le sommeil et la mort soient avec toi, mon fils. Race industrieuse et opprimée, c’est par moi que tu souffres. Ève fut ma mère et Adam fut mon père. Ils me nourrirent jusqu’à ce je puisse mettre au service des hommes ignorants et débiles l’esprit des génies qui résident en moi. J’ai nourri mes nourriciers sur leurs vieux jours et j’ai bercé l’enfance d’Abel, mon frère.

            Avant d’enseigner le meurtre à la terre, j’ai connu l’ingratitude, l’injustice et les amertumes qui corrompent le cœur. J’ai arraché notre nourriture au sol avare ; j’ai inventé les charrues qui contraignent la terre à produire et, en me sacrifiant, j’ai fait renaître pour eux l’Eden qu’ils avaient perdu. Ô comble d’iniquité ! Adam ne m’aimait pas ! Il se souvenait d’avoir été banni du Paradis pour m’avoir mis au monde et son cœur était tout à son Abel… Lui, dédaigneux et choyé, me considérait comme le serviteur de tous ! Aussi, quand j’arrosais de mes sueurs la terre où il se sentait roi, lui-même oisif et insouciant, il faisait paître ses troupeaux en sommeillant sous les sycomores. Je me plains : mes parents invoquent l’équité de Dieu et nous lui offrons des sacrifices.

            Mon sacrifice : des germes de blé que j’avais fait éclore – les prémices de l’été. Le mien est rejeté avec mépris. C’est ainsi que ce dieu jaloux repousse le génie inventif et fécond et donne la puissance avec le droit d’oppression aux esprits vulgaires.

            Par jalousie, j’éteignis le flambeau d’Abel. Adam se vit renaître plus tard dans la postérité de Seth et, pour effacer mon crime, je me suis fait le bienfaiteur des enfants d’Adam. Je construisis la première ville, les premières maisons pour les abriter. C’est à moi-même et à mes enfants qu’ils doivent tous les arts, l’industrie et les sciences ».

            Et Hiram entendit parler Adam :

  • « C’est toi, Caïn, qui a enfanté le meurtre. Dieu poursuit, dans mes enfants, le sang d’Ève dont tu sors et que tu as versé. C’est à cause de toi que Jéhovah a suscité des prêtres qui ont immolé les hommes, et des rois qui ont sacrifié des prêtres et des soldats. Un jour, il fera naître des empereurs pour broyer les peuples et les prêtres eux-mêmes et la postérité des nations dira : Ce sont les fils de Caïn ».

            Des profondeurs de l’abîme, Hiram entendit gémir Caïn et Adam. Tubalcaïn dit alors :`

  • Maintenant, tu connais le mystère de la Création, contenu dans les livres du Tau enfouis dans la terre. Tu es, à ton tour un créateur, et tu porteras sur ta ceinture le Tau symbolique qui rallie les ouvriers. Prends ce maillet, mon fils. Va sur la terre et réalise ton Œuvre ! ».

            Entre le moment où Hiram, déchiré par la douleur et totalement désespéré, entra volontairement dans le fleuve de feu qu’il ne maîtrisait plus et le moment où il en ressortit, indemne et flamboyant neuf, muni du maillet et d’une ceinture sur laquelle brillait le Tau, il ne s’était écoulé, pour les hommes, qu’un instant.

            Les ouvriers se rangèrent autour de lui et la panique cessa. Il donna des ordres précis qui furent exécutés promptement et tout rentra dans l’ordre, comme par miracle. Là où les moules éclataient, il frappa de son maillet et ils se remettaient en place. Le fleuve de feu entra dans le lit qui lui avait été préparé. La volonté du Maître vainquit la fureur déchaînée des éléments.

            Enfin, la « mer d’Airain » se fit et apparut telle qu’elle avait été conçue dans la pensée du Maître.

            A l’aube, le soleil se leva et resplendit.

            Salomon, en contemplant le Temple enfin terminé se repentit et dit à Hiram :

  • Maître Hiram, mon Frère, j’implore ton pardon. Je t’ai haï à cause de tes talents. J’étais jaloux de toi et, à cause de cela, j’ai voulu empêcher l’accomplissement de ton Œuvre. Lorsque j‘aurai obtenu ton pardon, j’abandonnerai ce trône dont je suis indigne et je briserai ce sceptre, signe d’autorité, dont je suis aussi indigne.
  • Ô roi Salomon, répondit Hiram, n’agis pas ainsi ! Tu étais un homme qui voulait être roi et les sentiments vulgaires t’habitaient. Ce qui est arrivé devait arriver car tel est l’ordre des choses. L’acte que tu as commis était nécessaire parce que sans l’épreuve que j’ai vécue, je n’aurais pu apprendre ce que je sais maintenant. L’échec contient le germe de toute vraie réussite et le mal peut générer le bien si l’on connaît bien l’art.

            Roi Salomon, tu étais un homme qui voulait être roi ? Maintenant, moi, Hiram, je te fais roi véritable, car notre épreuve est commune et nous l’avons subie ensemble, chacun à notre manière.

            Ce maillet, je l’ai reçu au centre du Monde ! Il me confère un pouvoir que j’exercerai en ta personne car, désormais, nous ne formerons qu’une seule et même entité.

J’ai dit.

Mes commentaires…

            La prose de ce scénario, rutilante, lumineuse, éblouissante raconte la fonte de la mer d’airain qui se trouvait devant le Temple. Mais les paillettes étourdissantes recèlent trois niveaux de lecture : la jalousie de Salomon : nos faiblesses, la coulée elle-même : notre œuvre et le message spirituel, en trois voies.

            C’est ce dernier qui m’a bouleversé. Pourquoi ? Notre pratique maçonnique est grosse de la première voie : elle éclate d’abord. Puis elle esquisse avec gêne la deuxième. Enfin, pour certains(es), la troisième est susurrée en pleine invisibilité rituelle.

            Que chantent les trois voies : de la Mer d’airain ?

            La voie de la FRATERNITÉ – Celle qui est la bannière, le porte-étendard de l’association, partout dans le monde. Celle qui est diffusée, tambours battants, par les hauts parleurs de l’Ordre. Des dizaines de livres érudits et souvent sans grand intérêt hors l’accumulation des savoirs, paraissent chaque mois. La Maçonnerie de salon !

            La voie de la SOUFFRANCE – Nul(le) ne peut nier que les souffrances perturbent nos vies. Le meurtre d’Hiram n’évoque, en aucun cas, le mal que ressent le bâtisseur. C’est juste une resucée adroite du complexe d’Œdipe masculin. La souffrance, c’est descendre dans les tréfonds de soi et accepter les mélanges insupportables à la conscience, des pulsions de vie et des pulsions de mort qui régissent l’humanimal que nous sommes. La voie de la souffrance est surtout la confrontation avec notre mort. Elle peut mener au suicide. C’est elle que choisit Hiram quand il se précipite dans le foyer ardent. Elle sera en fait pour lui non pas un suicide mais la confrontation avec la souffrance extrême d’où il ressortira grandi.Cette voie est passage spirituel obligé selon de profonds philosophes, de Schopenhauer à Cioran. Même Voltaire a écrit :« Nous sommes des victimes condamnés toutes à la mort ; nous ressemblons aux moutons qui bêlent, qui bondissent en attendant qu’on les égorge. Leur grand avantage sur nous est qu’ils ne se doutent pas qu’ils seront égorgés, et que nous le savons ».

            Avec le risque du passage à l’acte, le suicide donc, pour certains. Citons le quatrain prémonitoire et grandiose de Gérard de Nerval :

Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé,

Le prince d’Aquitaine à la tour abolie,

Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé

Porte le soleil noir de la mélancolie

            Gérard connut le « baiser de la reine » en se pendant à un arbre. Ressentit-il la voie suivante, celle du nulle-part ?

            La voie de la Souffrance fait mauvais ménage avec la voie de la Fraternité celle de la joie, si on ne travaille que sur elle. En Maçonnerie, nous ne travaillons pas du tout la peur et l’attrait mêlés de la mort ; d’où la dispute envenimée entre Jacques Lapersonne et Daniel Beresniak, lui qui connut, par sa famille, les atrocités nazies. La mort désirée par Hiram, en se noyant dans le brasier de la Mer d’airain, sera, en fait, l’épreuve de la souffrance ultime, l’acceptation de la fin de la vie. Mais Hiram fait partie de ceux et celles qui osent regarder la mort en face et, de ce fait, atteignent la dernière voie, le nulle-part.

            La voie du NULLE-PART, dans la sensation brumeuse – Indescriptible, d’être partout, dans l’énergie non point de l’univers mais du multivers. Rien dans les rituels sinon, de-ci de-là, des allusions. Sauf dans certains qui osent évoquer le « Un et le Tout », sorte de résumé de la dispersion quantique, parfois ressentie dans le mutisme complet. Peut-être celui que nous embrasserons après le passage de la Mort.

            Fraternité, Souffrance et Nulle part interloquent et convoquent les profondeurs du vagabondage initiatique. Ce sont les messages subliminaux. Ils sont clairs, au moins dans la doxa , faute de l’être dans le creux de son humanitude : La joie et l’être ensemble, dans le vécu plus ou moins réel ( ) des Loges. Puis, dans la voie de la Souffrance, l’intériorité et la solitude. Le cabinet de réflexion et autres endroits d’attente, pour l’élu(e) de sa future cérémonie. Mais la souffrance n’y est pas convoquée rituellement. Dans la voie du Nulle-part, toute sensation de vie ici-bas, plantes et animaux, dont nous, les humanimaux (néologisme de Daniel B.) , est abolie. Le vertige seul pour humer de nos pauvres narines, le partout et l’énergie cosmique. Certain(es), en tenue, dans des moments d’ivresses sans saccades, partiraient ainsi. Dans cet ailleurs…

            Dans le texte de la mer d’Airain, nous trouvons, éparses des expressions qui nous clignent de l’œil, vers, selon les cas, les trois voies ; donc au-delà de la doctrine maçonnique. J’en ai glané neuf. Elles montrent bien le cheminement spirituel de l’auteur ou ses espoirs qu’il sait transmettre avec tant d’étincelance ! Je laisse à chacun(e), selon sa sensibilité de rattacher ces extraits aux voies de Souffrance et de Nulle- part. La dernière, pour la Fraternité spirituelle :

  • « La fonte de la mer d’airain, un défi du génie de la nature »
  • « Ô puissance du génie d’un mortel qui soumet les éléments et dompte la nature »
  • « La place est jonchée de mourants et, au silence, a succédé un immense cri d’épouvante. La terreur est au comble ».
  • « Seul, je suis seul et maudit. L’avenir est fermé. Hiram souris à ta délivrance et cherche, dans ce feu, ton élément et ton esclave rebelle ».
  • « Il s’abîme dans sa méditation et tombe foudroyé ».
  • « Des battements sourds, réguliers, périodiques, annonçaient le voisinage du cœur du monde »
  • « Tes pieds foulent la grande pierre d’émeraude qui sert de racine et de pivot à la Création ».
  • « Sans l’épreuve que j’ai vécue, je n’aurais pu apprendre ce que je sais maintenant »
  • « Ce maillet, je l’ai reçu au centre du Monde. Il me confère un pouvoir que j’exercerai en ta personne car désormais, nous ne formerons qu’une seule et même entité ».

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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre. Son message : "Salut à toi ! Tu pourrais bien prendre du plaisir à lire ces Cahiers maçonniques. Et aussi connaître quelques surprises. Notre quête, notre engagement seraient donc un voyage ? Et nous, qui portons le sac à dos, des bagagistes ? Mais il faut des bagagistes pour porter le trésor. Quel est-il ? Ici, je t’engage à aller plus loin, vers cette fabuleuse richesse. J’ai cette audace et cette admiration car je suis un ancien maintenant. Je me présente : c’est en 1969 que je fus initié dans la loge La Bonne Foi, à Saint Germain en Laye, au Rite Français. Je travaille aussi au Rite Opératif de Salomon. J’ai beaucoup voyagé et peu à peu me suis forgé une conviction : nous, Maçons latins, sommes en train d’accoucher d’une Voie maçonnique superbe : une spiritualité pour agir. Annoncée dès le début du XXème siècle. Elle est en train de se déployer et nous en sommes les acteurs plus ou moins conscients mais riches de loyauté.

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