Les neurosciences actuelles montrent beaucoup de déterminisme dans nos comportements. Mais le libre arbitre n’est pas exclu .
Notre monde occidental a érigé en valeur forte la liberté individuelle. Au début, c’était certes un privilège réservé à quelques puissants, souvent justifié par une (bien pratique) volonté divine, mais petit à petit l’idée fit son chemin. Les Lumières l’ont particulièrement mise en avant. Pas étonnant donc qu’on la retrouve comme socle de nos textes rituéliques. Certains vont jusqu’à proclamer la liberté absolue de conscience, d’autres n’en pensent pas moins.
La liberté d’expression fait souvent partie du package, souvent considérée comme symbole de la démocratie, laquelle vise à faire cohabiter harmonieusement des citoyens libres mais aux opinions diverses. La liberté des uns s’arrêtant aux portes de la liberté des autres, ceux qui se pensent défenseurs de la liberté accepteront de mettre la liberté d’expression sous surveillance, afin d’y réfréner les discours haineux, d’autres voient la liberté comme intouchable.
Cette dualité de points de vue est présente depuis l’Antiquité.
Les Grecs se voulaient être les garants de leurs actions, responsables de leur propre vie et libres d’agir comme ils le choisissaient. L’une des définitions du bonheur pour les Grecs était qu’il consistait à pouvoir exercer ses capacités pour s’améliorer dans une vie libre de contraintes. Les Chinois de l’Antiquité différaient en ceci qu’ils mettaient l’accent sur les obligations sociales ou l’action collective. L’équivalent chinois d’être acteur de sa vie était l’harmonie. Avec l’harmonie comme but, toute confrontation ou débat était dissuadé.
Depuis l’Antiquité, écrivains, théologiens, philosophes, se sont succédé pour analyser ces phénomènes de liberté de choix, avec à chaque fois une explication qui se voulait cohérente, y compris avec les observations…ou pas, quand par exemple un dogme était en jeu. Plus récemment, les psychologues sont arrivés, avec un jeu d’explications basées sur nos désirs et pensées intimes, souvent personnalisées car il n’y a pas deux individus pareils, dès qu’on reconnaît l’influence de l’inné et de l’acquis.
Les lois darwiniennes viennent éclairer de nombreux de nos traits : ceux qui nous ont procuré à une époque donnée un avantage adaptatif et reproductif . Les sociologues ont aussi débarqué, avec leurs puissantes corrélations statistiques. Une forte proportion des sociologues, dans le sillage de Pierre Bourdieu, ont considéré que les effets sociologiques à forte corrélation sont déterministes. L’exemple fréquent est ici l’ascenseur social, qui semble en panne malgré le soutien par les institutions, et déclenchant toute une kyrielle d’explications possibles, dont certaines empreintes de noirceur idéologique…
La biologie a été sollicitée afin de mieux comprendre comment se répartissent l’inné et l’acquis.
L’idée initiale selon laquelle l’ADN est le « plan de la machine » a rapidement fait long feu. Idem pour la grande lenteur supposée des évolutions génétiques dans une espèce donnée. D’une part, il y a l’épigénétique qui trouve des caractéristiques transmissibles mais réversibles , et d’autre part on a pu démontrer qu’une règle sociale acquise peut impacter immédiatement les avantages reproductifs du groupe porteur. Dans nos sociétés, si les femmes décidaient en consensus de ne jamais choisir d’homme violent comme partenaire pour la reproduction ( et y réussissaient ) , la violence conjugale disparaîtrait en peu de générations.
La dernière-née des sciences de l’humain se nomme neurosciences. Un de ses outils d’investigation est l’observation fonctionnelle du cerveau sous IRM. Première découverte : la « plasticité » du cerveau, capacité à s’adapter à de nombreuses lésions ou circonstances environnementales diverses, existe mais n’est pas toute simple, notamment parce que la précision ( des sens, par exemple ) n’est obtenue que par une spécialisation forte du système nerveux ( fibres, synapses, etc. ) …tout n’est donc pas possible.
En matière de libre arbitre et conscience, gros choc lorsqu’on découvrit que le moment de la décision consciente arrive presque toujours plusieurs secondes après que les préparatifs d’action ne soient initiés et en cours d’exécution.
Comment ne pas en déduire que nous sommes pilotés en automatique par le cerveau, et que
la conscience n’est qu’un écran…
…qui nous raconte, après coup, la belle mais fausse histoire de notre décision ?
Du calme, du calme ! D’abord, nous devons faire le deuil du cerveau tour de contrôle, où arrivent toutes les informations et où un être super-intelligent ( vous ) analyse toutes les données et décide du haut de ses connaissances supérieures. Le cerveau est une juxtaposition de modules spécialisés qui agissent automatiquement ; grâce aux interconnexions, ça se passe bien, ouf, et tant pis si nous n’y avons pas de mérite. Et pourquoi ça ne se passe pas comme nous l’avions rêvé, s’il vous plaît ? Eh bien parce que la transmission d’infos est consommatrice d’énergie mais surtout de temps, il faut donc traiter l’info dès qu’elle est suffisamment élaborée et renvoyer la décision dès qu’elle est prise dans un module spécialisé.
Un module célèbre est celui dit de « l’interprète ». Situé dans l’hémisphère gauche, celui du langage, il est chargé de trouver des explications aux phénomènes rencontrés. Vous vous souvenez, pendant la pandémie, tous ces pseudo-experts qui à la télé vous expliquaient tout, un jour, et son contraire le lendemain ? Et nous d’y aller d’autres hypothèses ? Ben voilà, c’est l’interprète aux commandes. On le voit aussi à l’œuvre quand un politicien est interviewé : « tout plutôt qu’admettre qu’on ne sait pas ». Et nous les maçons courons après la « Vérité »…good luck, brother ! Combien d’entre nous restent calés au « connais-toi toi-même » ?
Bref, pas mal de neuroscientifiques sont encore sur la ligne du déterminisme. Mais alors, à quoi sert la conscience, cette jolie mise en scène cohérente du grand tout ? Serait ce le produit de l’interprète débridé, décidément plus fort que Netflix ?
Une explication, mise en avant par Michael Gazzaniga, est celle d’un niveau supérieur de complexité. La complexité, c’est dire que si on a tout compris aux particules élémentaires et aux atomes, il reste des choses à découvrir au niveau d’interactions entre atomes, à savoir la chimie, qui subira certaines contraintes venues du monde subatomique, mais ajoutera tout ce que les molécules apportent, jusqu’aux plus complexes…Ces dernières nous apportent la vie, la reproduction, l’évolution, puis les animaux inventeront la société, avec ses règles, etc.
Il existe un niveau de complexité qui lie entre eux les cerveaux des membres d’une société. Il existe un contrat social entre les membres, qui fait que dans l’immense majorité des cas les règles sont suivies, même par ceux qui ont des lésions au cerveau, et qu’une justice existe. C’est à ce niveau que joue la conscience et qu’un libre arbitre peut être exercé . La responsabilité individuelle, séparément de tous nos frères et sœurs en humanité, c’est un peu dur à trouver, et cela simplement parce que la responsabilité est une notion distribuée, un peu comme les modules de nos cerveaux. C’est comme ça que nous fonctionnons vraiment. Oublions le centre de contrôle ; pour nous en convaincre, gardons à l’esprit que si ce centre existait, on pourrait critiquer la conception car ce centre serait un point unique de défaillance. C’est important que le centre ne se situe pas dans les modules mais dans les règles auxquelles les modules doivent se conformer.
Bonjour Patrick, Mon Très Cher Frère,
Merci de ta réponse.
Il est vrai qu’il ne faut pas lire un adage ancien avec les yeux d’aujourd’hui!
Ce que, presque instinctivement, notre esprit, qui vit le monde au présent, à une tendance immédiate à faire :
Effectivement la victimisation est de nos jours très en vogue!
Je suis moi même forcément influencé par les évènements en cours!
Bref, la pensée et l’écriture sont souvent en décalage parce que les mots de la seconde, imparfaits, ne reflètent pas toujours le sens exact de la première!
D’où l’intérêt de mettre en mots des pensées intemporelles.
Par ailleurs, la traduction peut changer le sens : l’adage en cause est souvent transformé!
En tout cas, il nous permet de communiquer!
C’est l’essentiel!
Doutes d’Août!..
Bon et bel été!
Bien fraternellement,
Gilbert
Cher frère Gilbert bonsoir.
Je suppose que JSM raisonnait d’une manière territoriale. Chacun étant libre de ses actes chez lui, et les territoires juxtaposés sans recouvrement selon la formule, tout devrait bien se passer…
La formule ” La liberté de l’un s’arrête là où elle commence à nuire à l’autre ” peut contenir le risque de victimisation subjective de l'”autre”. Cette victimisation me semble un point de passage très en vogue chez les groupes de pression actuels, et peut ensuite servir de prétexte à la violence… Doutons, doutons, doutons !
Je suis troublé par cette formule relevée dans l’article sur le libre-arbitre : “La liberté des uns s’arrête aux portes de la liberté des autres”!
L’adage de John Stuart Mill étant tellement répété ( et déformé) à la façon d’ un proverbe d’une fable de la Fontaine, ( La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres) que nous ne voyons même plus à quel point il est détestable et même carrément irrecevable!
Il voudrait dire en l’état que mon voisin peut agrandir son jardin sans vergogne en empiétant sur le mien!
C’est malheureusement ce qui se passe aujourd’hui à l’Est de l’Europe où un agresseur veut agrandir son territoire aux dépens de l’agressé!
Il aurait été de beaucoup préférable que JSM écrive : ” La liberté de l’un s’arrête là où elle commence à nuire à l’autre”
De mon humble point de vue.
Méfions nous des proverbes que l’école nous a enseignés : Ils sont parfois devenus de très mauvaises morales usées par le temps!
Certes, je peux me tromper : Le doute est la certitude du franç-maçon!
Gilbert GARIBAL