jeu 25 avril 2024 - 09:04

Mais où donc se situe la loge ?

L’étymologie du mot loge, loka du sanscrit lok est intéressante car elle veut dire « monde » et se représente par un caractère en forme de rectangle, ou carré long  . La Grande Loge d’Écosse porta le titre de Métropole universelle  pour retenir « monde »  comme origine du mot « Loge ». Ses dimensions dans six directions, évoquées dans les catéchismes, en attestent.

Le terme « loge » recouvre un certain nombre de notions. Ce peut être : le local où les francs-maçons tiennent habituellement leurs tenues (l’atelier, la loge); l’assemblée des Maçons qui se réunissent rituellement pour accomplir ensemble un travail d’ordre initiatique, elle porte un titre distinctif et fait partie, généralement, d’une Obédience (la Loge) ; l’entité qui prend corps au cours des cérémonies par l’ouverture des travaux. Le mot «loge» en tant que lieu s’écrit avec une minuscule, en tant que corps organisé de maçons avec une majuscule.

La loge est le local des réunions

Le Rituel de Luquet, 1945, en donne une définition : « Que veut dire le mot de loge ? R. Il  vient du mot albergo qui signifie gîte, hospice, logement ou lieu d’assemblée ». On notera qu’en dialecte araméen le mot maison, baït, a donné le son ba alphabétisé par un carré pointé. Congruence avec son abréviation maçonnique ?

Un rectangle apparaît (parfois avec un point en son centre, comme dans les Trois manuscrits du  petit-fils de J.-M. Ragon : Adolphe Ragon,  en tant qu’abréviation du mot «loge» sur des documents officiels et même sur des sépultures (ci-contre celle de Théodore Verhaegen).

Ce mot caractéristique de loge est attesté à partir du XIIIe pour désigner la petite bâtisse édifiée, le temps de la construction, sur le chantier, souvent appuyée au mur sud des cathédrales (logia fabrice ecclesie parisianis sur le cartulaire de notre Dame de Paris).  Ce mot est mentionné sous la forme lodge en 1278, dans un document sur la construction d’une abbaye anglaise à Vale Royal dans le Cheshire.

La loge, la laubia, la loggia, l’annexe, la baraque (en allemand bauhütte, cabane de la construction) est l’endroit où les ouvriers rangent leurs outils, travaillent, prennent leurs repas et se reposent. C’était aussi  le «bureau» du maître d’œuvre qui dessinait les plans ; ce lieu est donc le centre de direction des travaux.

« Il faut retenir de la pièce qui vient d’être rapportée l’idée très nette qu’elle donne de ce qu’était la loge aux maçons. On appelait ainsi un chantier non seulement couvert, mais clos de toutes parts, un véritable atelier qui pouvait être chauffé l’hiver…. Maîtres et ouvriers y travaillaient côte à côte depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher. »

À partir du début du XVe, «loge» désigne l’ensemble des maçons d’un chantier, mais sans qu’il soit fait mention d’un contrôle du métier par cette communauté. C’est seulement au XVIe, en Écosse, que le mot «loge» est attesté comme désignant une juridiction permanente réglant l’organisation de la profession. En 1598, William Shaw, Maître des ouvrages du Roi et Surveillant général de la corporation des Maçons, publie de nouveaux Statuts. Ceux-ci traduisent une évolution sensible : désormais c’est une «loge» qui contrôle l’entrée des apprentis et leur accès au rang de Compagnon, règle les différends et punit les manquements au règlement. Depuis le milieu du XIXe siècle, la jurisprudence maçonnique américaine a donné au mot «loge» une signification fixe : premièrement, c’est un corps de maçons travaillant sous un mandat ou une charte ; deuxièmement, c’est la salle consacrée dans laquelle ils se rencontrent.

Dans la Franc-maçonnerie de transition puis dans la Franc-maçonnerie spéculative, les rencontres dans les tavernes, dans les ponts des navires, ou des casernes militaires ou sous la toile de tente en campagne militaire ont existé et persisté avant et après l’adoption des Constitutions d’Anderson.

Avant la création de la première Grande Loge de Londres et Westminster en 1717, de nombreuses Loges n’avaient pas de lieux spécifiques et se réunissaient dans des maisons privées (on le voit encore sur le Tableau général des 129 ateliers de  1930 sous le numéro 105, pl. n° 7a du texte Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, voire sur des bateaux (numéro 103), ou des auberges et une forme était délimitée par un marquage au sol qui devenait le lieu consacré à la Loge.

(Pour rappel consulter l’article Les tavernes de la Franc-Maçonnerie, des restaurants clandestins !

 La  forme tracée était celle d’une croix avant que Désaguliers n’en fasse un rectangle (voir l’article Le G n’est pas qu’une lettre…). Il est aussi admis que l’une des innovations introduite vers 1720 par Désaguliers a été l’utilisation de rubans, clous, lettres mobiles, étoiles, etc., en lieu et place de l’ancien système consistant à tracer la Loge avec de la craie ou au charbon sur le sol du local «en remplacement de la grande indignité de la serpillère et du seau». Voir la remarque à propos de ce remplacement p.29/324. Par la suite c’est le tapis de Loge qui remplacera généralement le tracé.

La loge est considérée comme l’endroit consacré où se réunissent les maçons et par extension ensemble des francs-maçons d’un atelier. Cependant, l’ouverture des travaux du rituel va installer des présents dans un autre lieu qui lui est symbolique.

La loge est l’espace-temps du mythe théâtralisé par le rituel

Le lieu de la loge n’est pas à l’intérieur d’un temple comme le rapportent les anciens textes maçonniques (1696-1714), comme on peut le comprendre avec ces extraits suivants du livre d’Harry Car The early masonic catéchisms :

Le Wilkinson MS situe la loge « Upon holy Ground in the Vale of Iehosophat or Elsewhere (Sur une terre sainte dans la vallée de Iehosophat ou ailleurs) », tandis que  Masonry Dissected  la place « Upon Holy Ground, or the highest Hill or lowest Vale, or in the Vale Of Jehosaphat, or any other secret Place  (Sur la Terre Sainte, ou la plus haute Colline ou la Vallée la plus basse, ou dans la Vallée de Josaphat, ou tout autre Lieu secret), p.162». On trouve aussi dans le Dialogue entre Simon, maçon sédentaire, et Philippe, maçon passant, écrit dans une reprise du rituel de la nouvelle Franc-maçonnerie de la Grande loge de Londres et Westminster, paru en 1725: «In the Vale of Jehosophat out of the Cackling of a Hen, the Crowing of a Cock, the barking of a Dog, p.178  (Dans la vallée de Josaphat, là où on n’entend ni le caquètement d’une poule, ni le chant du coq, ni l’aboiement du chien).» Pratiquement pareil à ce que rapporte A Mason’s Examination : « In the Valley of Jehoshaphat, behind a Rush-bush, where a Dog was never heard to bark, or Cock crow, or elsewhere. (Dans la vallée de Josaphat, derrière un jonc, où l’on n’a jamais entendu un chien aboyer, ou un chant de coq, ou ailleurs) » et de rajouter que la 1ère Loge se tint sur le porche du temple de Salomon, p.73.

Le Rituel de Luquet de 1745 introduit une nuance : Dans la vallée de Josaphat, dans une  grotte profonde où jamais femme n’a parlé, coq n’a chanté, ni chien n’a aboyé. D. Pourquoi vous exprimez-vous ainsi ? R. Parce que ce sont les 3 symboles de l’indiscrétion.

Le grand dictionnaire de la Bible, ou Explication littérale et historique de tous les mots propres… d’Honoré Simon de 1703 dit ( entre autre) que “c’est  dans cette Vallée que tous les hommes doivent s’assembler  à la fin des siècles pour y être jugés et recevoir chacun la juste récompense”. Quant au Dictionnaire de la Bible de Hastings il y est rapporté que dans la tradition musulmane et juive, la vallée de Josaphat est encore appelée dans l’Écriture vallée de Savé, vallée du Roi, vallée de Melchisédech… « C’était un lieu de sépulture à l’époque pré‑exilique » et, par implication, un lieu calme et désert Il est étonnant de penser que c’est, symboliquement, dans un cimetière que devrait se tenir la tenue des francs-maçons !

Pour René Guénon, la première loge se serait située entre les trois montagnes sacrées que sont le Sinaï, le Moriah et le Thabor, celles-ci correspondant à trois «révélations» successives : celle de Moïse, celle de David et de Salomon, et celle du Christ» (Études sur la Franc-maçonnerie et le Compagnonnage, p.83). L’emplacement de la loge peut être alors assimilé à une «vallée» située entre ces trois montagnes dont les places respectives sont occupées par les trois principaux officiers.

Le franc-maçon n’est pas dans le Temple de Salomon (le temple maçonnique n’est pas une réplique du Temple de Salomon, sinon une allégorie inspirée du Temple de Salomon), à la limite il se trouverait sur le parvis du temple, seule l’entrée, encadrée par les deux colonnes, est commune. Au Rite Français, il est précisé que la loge n’est pas le Temple, elle est à l’est, devant le Temple, et par la suite les deux colonnes se trouvent normalement à l’extérieur du Temple et à l’intérieur de la Loge. Le lieu du mythe serait alors celui où s’est tenue de la première Loge selon A Mason’s Examination ? « Where was the first Lodge kept ? A. In Solomon’s Porch ; the two Pillars were called Jachin and Boaz. » (p.73 <theeducator.ca/wp-content/uploads/2018/02/The-Early-Masonic-Catechisms-by-Harry-Carr.pdf >).

Il y a impossibilité pour le franc-maçon d’être dans le temple (par ailleurs dont l’accès était réservé aux prêtres) : le mythe du 1er degré est celui du tailleur de pierre qui dégrossit la pierre brute. Serait-il dans la carrière, où on taillait les pierres, ou déjà devant le Temple où les matériaux bruts seraient apportés ? Est-il dans un atelier, appelé loge, attenant à la Construction (là il y a des fenêtres, à ce propos lire l’article : Fenêtres, des cadres pour quelle lumière en Franc-maçonnerie ?), clos de toutes parts, un véritable atelier qui pouvait être chauffé l’hiver. Mais alors comment peut-il voir la voûte étoilée ?

Au 3ème degré, le mimodrame du mythe d’Hiram se déroule à la fois aux portes l’enceinte du Temple d’où le Maître cherche à fuir les assassins et hors de celle-ci, là où est recherchée sa dépouille.

De façon générale, la tenue se situe dans l’espace-temps du mythe fondateur du grade, dans un environnement “onirique”.  Il y est développé par sa narration au récipiendaire, et par le vécu de personnages du mythe, au cours de jeux de rôles alternatifs manifestant l’enseignement du grade. Cette époptie véhicule la légende du mythe par l’incarnation et les épreuves. Le Temple ne sert que de repère mais aussi d’autres lieux comme la traversée du Jourdain, l’enceinte du temple lors de l’assassinat d’Hiram, la campagne où se fait la recherche du corps d’Hiram, le pont enjambant le Starbuzanai, … À ce moment-là, il existe un phénomène d’assimilation par une identification psychologique qui s’établit entre la personne qui fait le jeu de rôle et l’archétype mythique. On parle d’interaction goffmanienne. Erving Goffman a mis en évidence le rôle moteur de la relation à l’œuvre dans l’interaction. Ce ne sont ni les structures qui déterminent les acteurs, ni les acteurs qui engendrent les structures, mais une relation cognitive qui constitue le moteur d’un processus de subjectivation et de socialisation (Céline Bonicco, Goffman et l’ordre de l’interaction : un exemple de sociologie compréhensive). Voir l’article Les triptyques initiatiques.

La confusion entre Temple et loge vient sans doute de la confusion des phases du processus des cérémonies de passage. La loge est le théâtre de la transmission initiatique. Même si l’on ne change pas son décor, le rituel en permet son intériorisation. Il en découle qu’il conviendrait peut-être de bannir de ces rituels et du langage un certain nombre de locutions telles que «le Temple est couvert, couvrir le Temple, demander ou donner l’entrée du Temple». D’ailleurs, dire que le temple est couvert signifie que la porte qui sépare le sacré du profane est fermée  mais, cependant, l’espace est ouvert sous la voûte étoilée qui n’est pas le décor d’un plafond, le toit n’étant pas encore posé puisque le temple est en construction et les apprentis en sont les tailleurs de pierre

Alors, le mot “temple”, pour désigner le local de la tenue, est souvent un abus de langage. Les anglo-saxons disent lodgeroom ou tout simplement loge. Il conviendrait aussi d’utiliser le vocable «loge» et non celui de «temple». C’est le niveau d’interprétation en son cadre matériel et moral d’un côté, puis symbolique et anagogique de l’autre qui fera passer de la matière à l’esprit et de la loge au Temple. Nous dirions que la loge est le lieu de rassemblement des francs-maçons, le temple est le lieu de la rencontre de leur spiritualité qui fait émerger un égrégore particulier.

7 Commentaires

  1. Tc S..Solange
    Merci pour ce tracé ;
    As tu écrit un ouvrage ou un texte détaillé sur la chrétienté des premiers siècles ?*Si oui comment puis-je me le procurer, car j’envisage d’en faire un prochain thème au sein de notre nouvelle Académie maç.. de Bourgogne.
    A te lire, bien frat…
    René A. SPITZ GLDF Dijon

    • TCF René. Je ne suis pas historienne; ce serait une prétention folle pour moi que d’oser m’atteler à une telle tâche. Mais chatGPT nous propose quelques ouvrages : “Histoire du Christianisme” de Paul Veyne : Cet ouvrage offre une perspective générale de l’évolution du christianisme des premiers siècles jusqu’à l’époque contemporaine.

      “Les Pères apostoliques” de Jean-François Gilmont : Ce livre présente les écrits des Pères apostoliques, les premiers écrivains chrétiens qui ont vécu aux premiers siècles de l’Église.

      “Les Chrétiens dans l’empire romain” de Pierre Maraval : Ce livre explore la vie des chrétiens dans l’empire romain, leur relation avec le pouvoir politique et leur statut social.

      “Histoire du Christianisme des origines à nos jours” de Michel Combet : Cet ouvrage propose une synthèse de l’histoire du christianisme depuis ses débuts jusqu’à l’époque contemporaine.

      “Les Pères de l’Église” de Yves-Marie Blanchard : Ce livre présente les principaux Pères de l’Église, les penseurs chrétiens influents des premiers siècles.

      “Les premiers siècles” de Bernard Pouderon : Ce livre aborde les aspects théologiques, politiques et culturels du christianisme des premiers siècles.

      “La Naissance du christianisme” de Michel Quesnel : Cet ouvrage examine les origines du christianisme, en mettant l’accent sur les premiers siècles.

      “L’Église des premiers temps” de Henry Chadwick : Ce livre explore l’évolution de l’Église primitive et les débats théologiques qui ont marqué cette période.

      “Le Christianisme antique” de Jean-Marie Mayeur et Madeleine Scopello : Ce livre offre une analyse complète du christianisme des premiers siècles, en abordant différents aspects de cette période.

      “Les Chrétiens dans le monde romain” de Paul Mattei : Cet ouvrage examine la vie des chrétiens dans la société romaine, en mettant l’accent sur les premiers siècles.

    • Je rajoute ce qui n’est pas qu’une formule : Bien fraternellement

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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