sam 27 avril 2024 - 03:04

La grenade, un fruit divin en Franc-maçonnerie ?

« Les grenades représentent les plus hauts mystères de Dieu, ses plus profonds jugements et ses plus sublimes grandeurs. Les grains de la grenade sont le symbole des effets innombrables des perfections divines. Leur figure ronde exprime l’éternité de Dieu, qui n’a, comme le cercle, ni commencement, ni fin. Le jus de la grenade signifie la jouissance que l’âme a, par sa connaissance et par son Amour, de la nature et des attributs de Dieu » (commentaire du 37ème cantique par Jean de la Croix[1])

La grenade est un fruit du bassin méditerranéen qui peut pousser à l’état sauvage et qui ne demande pas de soins spéciaux.

La première mention de ce fruit, en ancien français, est faite sous le nom de pume grenate (pomme à grain) par Chrétien de Troyes. L’anglais en a retenu un sens semblable avec le mot pomegranate. Vantée par Pline, qui la nomme pomme de Carthage, la grenade apparaît déjà dans des mythologies plus anciennes :

La grenade est symbole de vie et de fertilité. Sur le mont Cassius, entre Canaan et l’Égypte, il y avait un temple dans lequel l’image de Jupiter tenait une grenade à la main révélant un grand nombre de graines. Comme Junon était également porteuse de grenade, pour les Romains, cela signifiait que « Jupiter et Junon étaient les parents d’un grand nombre d’enfants et de familles qui devinrent bientôt des nations ». Le pouvoir de fécondité de la grenade est tel que dans le mythe d’Agdistis, il suffit qu’une jeune fille, Nana fille du dieu-fleuve Sangarios, la touche pour se retrouver enceinte; Attis en naîtra. Ce mythe, par ailleurs, met en évidence l’ambivalence du symbolisme de la grenade, sa couleur rouge ne manquant pas d’évoquer le sang. Ainsi, les pépins de la grenade ont germé du sang versé de Dionysos [lors de sa dévoration par les Titans], explique Clément d’Alexandrie, comme l’arbre [le grenadier] a jailli du sol fécondé par le sang d’Agdistis [lors de sa castration] (p.383). Mackey, reprend cette version (au mot pomegranate).

En lien avec son premier sens symbolique de fertilité, la grenade symbolise aussi le processus de résurrection, comme le printemps qui succède à l’hiver. Les Égyptiens faisaient déjà ce lien : des grenades ont été retrouvées dans la sépulture du pharaon Toutankhamon, comme dans de nombreuses autres sépultures, où elles pourraient avoir été placées comme viatiques pour le voyage dans l’au-delà.

La grenade est le fruit qu’offre Paris à Aphrodite pour la désigner comme la plus belle des déesses, frustrant Héra et Athéna qui, pour se venger, provoqueront la guerre de Troyes.

Dans la Bible[2], la grenade passe pour un des 7 fruits importants qui étaient une bénédiction pour la Terre Promise d’Israël. Les explorateurs, envoyés par Moïse en Terre sainte, rapporteront des grenades, preuve d’abondance. Le fruit est également l’une des sept espèces associées à la terre d’Israël. “Un pays qui produit le blé, l’orge, le raisin, la figue et la grenade, un pays d’olive oléagineuse et de miel.” (Deutéronome 8,8).

Les chapiteaux en minerais des 2 colonnes Jakin et Boaz, devant le temple de Salomon, étaient décorés de deux rangées de grenades. Or le mot hébreu caphtorim, qui a été traduit par chapiteaux et auquel (dans Amos;9,1) le mot linteau a été incorrectement substitué, il signifie une grosse grenade ou un globe artificiel. Le sens original n’est pas conservé dans la Septante, qui n’a ni dans la Vulgate, qui utilise sphaerula, les deux signifiant simplement une balle ronde. Mais Josèphe, dans ses Antiquités, s’en est tenu à l’hébreu littéral. Il était d’usage de placer de tels ornements sur les sommets ou les têtes de colonnes.

Ce fruit ornait également le bas de la tunique du Grand prêtre Aaron qu’il revêtait avant d’entrer dans le sanctuaire ;  les 72 pommes de grenades brodées étaient alternées avec des clochettes. Fabre d’Olivet dit que Rimon [grenade] vient du mot Romemout [magnificence], qui est le sens d’au-dessus de la raison. Sa racine (RM רִ מּ ) indique : « tout ce qui se porte vers le haut, s’élève, se dilate, monte, se projette, s’élance, pullule, suit un mouvement de progression d’ascension » lui donnant un sens mystique.

La couronne de la grenade, corolle de sa fleur (le sépale protégeant les étamines) a 6 pétales ; elle aurait inspiré le roi David pour  son bouclier et donné la forme du sceau du Roi Salomon.

La pensée juive du nombre de grains – car vérifiée par comptage des grains- identifie le fruit mangé par Adam à la grenade dont les 613 grains rouges correspondant aux 613 mizvot (devoirs ou bonnes actions) qui ouvrent le seuil de la sagesse, c’est-à-dire élever la conscience depuis la matière. Il est dit lors de la prière de cette fête : « puissions-nous être aussi remplis de Mizvot qu’une grenade est pleine de grains. Car ce qu’Ève tend à Adam, c’est le savoir. » En Hébreu, le mot (אֵיבָר), de valeur 613, signifie à la fois organe, membre et article. De là le rapprochement entre les articles des commandements et les membres du corps. Il y a 248 membres (commandements positifs) et 365 nerfs (commandements négatifs). Ces derniers sont également mis en rapport avec les 365 jours de l’année. C’est aussi pour cela qu’elle est consommée le jour de l’an juif, douceur pour chaque jour de l’année.

Dans la symbolique chrétienne, la grenade représente l’église comme ecclesia, comme communauté des croyants. Elle évoque aussi le sang du Christ. Ainsi, Saint-Jean de la Croix associe la suavité du jus de la grenade à la jouissance de l’âme lorsqu’elle possède la connaissance de la nature divine qui, pour les croyants, est également symbolisée par le trinitaire Delta lumineux lui faisant écho à l’orient. (Voir l’article Que regarde l’œil du Delta?)

Les grains de la grenade symbolisent les larmes du Prophète lors de la mort de son petit-fils à Kerbala ; le Coran classe la grenade au même titre que la datte et le raisin parmi les dons de la terre nourricière. Dans la mystique musulmane, elle symbolise le jardin de l’essence, la multiplicité dans l’unité, la station de l’union et la conscience de l’essence. «La lumière d’Allah est dans quiconque mange une grenade»

En Franc-maçonnerie, on ne peut manquer de remarquer des grenades sur les colonnes à l’entrée de ses temples.

Sur les colonnes maçonniques, les grenades sont entrouvertes, laissant voir leur chair. Cela est à rapprocher de la signification de la nudité de Noé endormi par l’ivresse : la connaissance spirituelle devant laquelle recule ou se dérobe son fils, celui qui, trop jeune, n’est pas prêt à recevoir l’initiation. (voir l’article Les légendes de Noé sur le Journal)

Pour Jules Boucher : « L’écorce et la racine du grenadier étant toxique, la grenade nous montre les francs-maçons, issus d’un monde mauvais par essence, et cherchant à s’élever à un état de perfection ». La grenade serait la loge à couvert, protégée des nuisances profanes extérieures.

Dans le Dictionnaire Ligou il est écrit : « Isolés dans une house fragile, mais pullulant dans l’enceinte des cités, les hommes sont comme les grains de la grenade, source jaillissante de vie et centre secret des réalités éternelles. Même si le passé dont ils émergent est toxique comme les racines du grenadier ».

En Franc-maçonnerie, les fruits, les fleurs qui expriment la multitude (grenade, épis de blé,  mimosa…) témoignent pour la communauté fraternelle avec, en corollaire, la Tolérance qui permet, seule, la cohésion de plusieurs pluralités voisinant dans la même unité. Oswald Wirth écrit à propos des grenades : « …ces fruits aux grains symétriquement rangés rappellent la famille maçonnique dont tous les membres sont harmonieusement reliés par l’esprit d’ordre et de Fraternité ».

Voir l’article Les grenades, un symbole maçonnique   et l’article de Stéphane Korsia-Meffre, La grenade, un symbole doux-amer, dans la Revue La chaîne d’union.

Certains tapis de Loge du Rite émulation ne représentent pas des grenades sur le chapiteau des colonnes mais des globes qui les surmontent. Ordinairement de même volume, ils sont pourtant différents. L’un est une sphère céleste, l’autre un globe terrestre : .

Illustration extrait du tableau de Boticelli,  Vierge à la grenade.


[1] 37ème cantiqueEt incontinent nous irons ensemble Aux sublimes cavernes de la pierre, Qui sont fort cachées, Et nous entrerons là, Et nous y goûterons le jus des grenades. »

[2]La prescription de faire le costume  sacré du grand prêtre : Exode 28

33 Tu adapteras au bord, tout autour du bord, des grenades d’azur, de pourpre et d’écarlate et des clochettes d’or entremêlées, tout à l’entour. 34 Une clochette d’or, puis une grenade; une clochette d’or, puis une grenade, au bas de la robe, à l’entour.

La réalisation du costume Exode 39

24 On disposa, au bas de la robe, des grenades d’azur, de pourpre et d’écarlate, à brins retors; 25 et l’on fit des clochettes d’or pur et l’on entremêla les clochettes aux grenades, au bas de la robe, tout autour, entre les grenades

Descriptions des chapiteaux

I Rois 7

20 Aux chapiteaux des deux colonnes, par en haut, près du renflement correspondant aux entrelacs, étaient deux cents grenades en deux rangées, entourant aussi le second chapiteau.

II Chroniques 3

16 Il fit des festons en forme de chaînes et les posa sur le sommet des colonnes; il fit cent grenades et les entrelaça dans les festons.

II Chroniques 4

13 les quatre cents grenades pour ces deux entrelacs, deux rangs de grenades pour chaque entrelacs, qui enveloppaient les deux chapiteaux arrondis des colonnes (par Houram)

Lors de la destruction du temple par Nabuchodonosor Jérémie 52

23 Les grenades qui apparaissaient sur le côté étaient au nombre de quatre-vingt seize; en réalité, le total des grenades qui entouraient le treillage s’élevait à cent.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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