ven 13 décembre 2024 - 13:12

Et si le voyage écologique était maçonnique (et vice-versa) ?

De notre confrère Low-Tech Journal – lowtechjournal.fr – Par Jacques Tiberi

Préférer le chemin à la destination : voilà un principe sur lequel tous les rituels maçonniques s’accordent. Appliqué à notre vie profane, il transforme notre approche du voyage, l’éloigne du tourisme consumériste et le rapproche d’une de l’écologie.

Le paradoxe du voyageur contemporain, c’est qu’il tue l’objet de son plaisir. À chaque fois que le touriste foule le sol d’une merveille du monde, il contribue à la détruire, impitoyablement. Le tourisme est un luxe. Celui d’une minorité qui, forte de son pouvoir d’achat, s’amuse à traverser un lieu étranger, dont il exploite les ressources, sans aucun égard pour l’empreinte qu’il y laissera. Une forme de blitz colonisation.                                              

À l’opposé, prenez la famille Poussin. Elle n’a probablement rien d’écolo. Et pourtant, elle pratique un éco-tourisme innovant et à vélo, en associant le tandem de papa-maman à la carriole de Léane (8 ans) qui tracte la remorque de Chouky, un bichon-maltais. Un moyen de transport étonnant, mais surtout pratique, bien plus écolo qu’une voiture, et simple puisqu’ils l’ont fabriqué eux-mêmes.

Mais ce “carvélo” n’est pas qu’une simple alternative à la voiture. Car cela va bien plus loin : c’est une véritable transformation du concept même de “voyage en famille” que proposent les Poussin.

Le tourisme moderne n’a rien d’un voyage !

En maçonnerie, le voyage est toujours une quête de soi, une rencontre avec soi-même. Une façon d’aller voir là-bas si on y est. Cette philosophie a donné naissance au Grand Tour (d’Europe) qui formait la jeunesse aristocratique du XVIIIè siècle au début du XXè.

Mais point d’initiation dans le tourisme “de masse” moderne. On se rue vers une destination où l’on croit trouver autre chose que son quotidien… et où l’on ne retrouve que sa zone de confort. Les seuls obstacles que l’on rencontre sont la douane, la lutte pour choper un taxi ou le combat contre la tourista.

Alors qu’un voyage maçonnique se compose d’une préparation, d’une épreuve qui symbolise la mort et d’une renaissance, le voyage touristique contemporain se borne à acheter d’un billet hors de prix, pour se livrer sur place à une orgie dépensière, puis un revenir au bercail et retourner au boulot. Ce n’est pas un cycle, c’est un cercle vicieux !

Voyager écolo ?

Au contraire, la démarche du voyage écologique est bien plus proche de la philosophie maçonnique. Mais d’abord, que veut dire “voyage écologique” ?

Tout commence par un recentrage sur l’essentiel, aussi bien en matière d’hygiène, d’alimentation, de confort thermique, de mobilité, de numérique, etc… “Ai-je vraiment besoin de prendre une douche tous les jours, d’un smartphone, de manger des animaux morts, de racheter un nouveau jean dès qu’il se déchire… ?” Un recentrage et un questionnement qui permettent de dépasser ces diktats consuméristes, pour reléguer le superflu au rang de “luxe” et de vanité.

Le but, c’est le chemin

Cette définition devrait conduire un(e) passionné(e) de voyages à tirer un trait sur les destinations lointaines accessibles en avion, pour se concentrer sur des lieux accessibles à pied, en vélo, en auto-stop, en train, en bateau à voile ou les cinq à la fois. Ça laisse quand même de la marge pour partir à la découverte de l’autre.

Alors, c’est vrai : ça oblige à réapprendre à voyager. Et même à redéfinir le sens du voyage. Où est l’essentiel : dans la destination, ou dans l’expérience, le “tour”, la promenade, le sentier de grande randonnée, l’euro-véloroute, la colline tout là-bas, l’effort, le plaisir, le couchsurfing, le gîte, le bivouac… et les rencontres. L’aventure humaine quoi ! Prendre un billet d’avion et acheter un guide de voyage… C’est un truc inventé par les vendeurs de pneus ! Au passage, saviez-vous que le guide Michelin a été inventé par la fameuse marque au bibendum pour forcer les Français à user leurs pneus en roulant, non plus sur les routes nationales bien goudronnées, mais sur de petites routes de campagne en quête d’une bonne table perdue au fin fond d’on-ne-sait-où ?

Se creuser la tête pour imaginer une aventure bas carbone, accessible à toutes et tous, ludique et pimentée : le voyage écolo est initiatique !

J’entends déjà s’élever les voix… Vade retro modèle Amish ! V.I.T.R.I.O.L* oui, New-âge, non !

Pourtant, il ne s’agit pas de rejeter l’idée de tourisme, mais de la remettre au service de l’humain et du vivant. On peut donc être écolo et prendre un co-voiturage, un train de nuit, un équipement de qualité. Mais, de grâce, halte aux “semaines sans prise de tête à deux heures de charter”, aux parcs à thème et les complexes hôteliers désertés neuf mois sur douze, aux hotspots artificialisés, surfréquentés et pollués !

L’esprit du voyage écolo, c’est juste d’avoir assez de répondre à son envie d’ailleurs, sans que cela provoque une trop grande nuisance écologique ou sociale.

En un mot : il s’agit de discernement. Une volonté de réintroduire des limites à nos déplacements, parce qu’ils consomment toujours plus d’énergie – et souvent “d’énergie grise”, c’est-à-dire non comptabilisée et invisible dans les statistiques officielles. “Euh frangin, c’est obligatoire de faire une visio ? On est que deux pour cette réunion. On ne peut pas juste se passer un coup de fil ?”

Révolution douce en cours

Vous l’avez compris : on entre dans une recherche systématique de frugalité, dans tous les domaines.

En matière de voyage, on préfèrera donc une visite “classique” de l’Italie à une action écolo-humanitaire pour installer des panneaux solaires en Ouganda (pour aider les ONG locales, faites des dons et laissez les équipes locales faire le reste).

Effectuer un voyage écolo, c’est partager sa démarche maçonnique avec sa famille. C’est se retrouver tous ensemble à planifier un road trip collectif à vélo ou à pied accompagné d’un âne, une remontée de la Seine en Canoë, une semaine à caboter sur un voilier monocoque, une traversée de la France en Rosalie… et pour les plus téméraires et fans du PSG, pourquoi pas un aller-retour Nantes-Paris en char à voile !

Les embarquer dans la préparation de ce voyage, chercher comment faire avec moins de pétrole et d’électricité, c’est déjà une initiation en soi.

Chercher à réduire la place de l’argent dans sa vie, en la remplaçant par l’amitié et la fraternité, en rejoignant une asso, une communauté, avec qui partager son périple, échanger des moyens de transport, un hébergement, des services et des outils… C’est déjà une façon de transformer sa vie.

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Vivre ensemble une aventure authentique, pas toujours confortable, avec ses bourrasques et ses coups de chaud, ses ensauvagements, ses drôles de rencontres et ses coups de pompe, renouer avec l’émerveillement de l’enfance… c’est là le sel du voyage, la source du réenchantement. Bref, voyageons pour nous sentir vivants !

  • Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée.

Jacques Tiberi est journaliste, rédacteur en chef du Low-Tech Journal, magazine dédié technologies douces, qui a récemment publié un hors-série intitulé “Voyages sans pétrole ni électricité (www.lowtechjournal.fr)

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