sam 23 novembre 2024 - 11:11

MOT DU MOIS : Simple comme bonjour ?

D’une racine indo-européenne *sem,*som, qui exprime l’unité, l’identité, et d’un seul côté en regard d’un tout, le grec a produit des mots à initiale *h, hémi-cycle, -sphère, ou encore *héno-théisme, un seul dieu reconnu et révéré dans une religion, mais pas exclusif des autres. Ou l’anomalie, qui rompt l’unité, ou l’homélie qui est d’une traite, sans complication. *Homo- désigne l’uniformité et sert à composer nombre de mots, homo-logue, -nyme, -phone, -sexuel, -phobie, homéopathie, etc.

Le latin, quant à lui, conserve la consonne initiale s, *semi, et reprend l’idée d’unité, dont on ne voit qu’un seul côté.Dans un champ lexical d’une grande profusion, similitude, sembler, assimiler, rassembler, vraisemblance. Ensemble, simultané. Entre très nombreux autres vocables, qui vont de la ressemblance à la dissimulation. Du sempiternel à la simplicité. Du simulacre à la sincérité de ce qui est pur et sans mélange.

Tout simplement, même s’il est difficile de faire un choix de vocabulaire qui simplifierait une liste d’impossible exhaustivité.

A plus forte raison, puisque s’y adjoint, formé sur le même radical, le mot latin *singuli, qui signifie « un par un ». Le sigle désigne les *singulae litterae, initiales des mots, prises une à une.

Fauve singulier, le sanglier doit son appellation à ses mœurs de solitaire, grincheux et vindicatif !

En effet, il y a toujours eu une certaine méfiance à l’encontre de ce qui se distingue de la foule, de la masse, de ce qui ne répond pas à l’uniformité de la norme commune. En atteste la richesse polysémique, grammaticale autant que psychologique, du singulier.

Aucun groupe ne supporte vraiment l’élément qui se singularise, parce qu’on y suppose un goût d’une solitude anormale, une volonté d’obscurité, de dissimulation.

Dans nos sociétés, où se répète à l’envi l’expression du “vivre ensemble“, rien cependant n’est sincèrement simple. Parce que la singularité semble incompatible avec le groupe, qui est aux aguets pour museler la liberté, la fantaisie, voire le caprice, de celui qui fait sûrement semblant.

Rien de moins simple que l’harmonieuse cohabitation, sauf à être le simplet, tel qu’on appelait autrefois le “béni de Dieu”, individu naïf et sans filtre, sans prévention dans sa relation sociale.

Sauf à être l’*idiotês grec, qui désigne le simple citoyen par rapport à l’homme public, devenu dans le langage de la dépréciation l’idiot ignorant en regard du spécialiste, un être social réduit à lui-même et à l’éventuelle pauvreté de son bagage langagier et conceptuel.

Sauf à cultiver les simples, ces plantes sauvages dans leur immédiateté sans fioritures, qui permettent l’offrande des sentiments sans avoir à peaufiner les mots pour les dire.

A ce propos, c’est au centaure Chiron, autre créature bien singulière mi-homme mi-taureau, qu’on attribuait la découverte des simples, d’où les centaurées,entre autres le bleuet.

Dites-le avec des fleurs…

Tant il est ardu et subtil d’exprimer la simplicité d’une relation, au-delà de la banalité apparente, et souvent hypocrite, de la formule expéditive “bonjour”.

Simple comme bonjour ? Voire…

« Seuls les rois, les présidents, les éditeurs et ceux qui ont le ver solitaire ont le droit d’utiliser le nous pour remplacer un simple je », ironisait Mark Twain…

Annick DROGOU

La simplicité comme une ascèse, une libération, un allégement. Est-ce si difficile d’être simple ? Simplifier pour épurer et se libérer de toutes les gangues. Un et multiple. Le double n’est que le reflet du simple. Pas de duplicité. Simple comme l’enfant. Simplicité de l’innocence, nostalgie de la simplicité dans nos vies de mille-feuilles. Trop de couches, là où il ne faudrait garder que la crème de la vie. Simple comme l’élan spontané.

Aimer et savourer le goût de la simplicité, une denrée si rare. Simple comme l’essentiel et l’élémentaire qu’on avait oublié. Ni boursouflure ni fard. Simple comme la Vérité toute nue, comme la joie pure, comme la bonté désintéressée, comme la confiance donnée, comme le courage d’agir. Simple comme toute franchise. La simplicité comme vertu suprême.

Passé simple ou composé ? On voudrait écrire la vie au présent simple, sans composition, sans apprêt. Sans après ni arrière-pensée. Simplicité du cœur. Simple pour être en capacité de recevoir, simple comme une fenêtre grand ouverte au soleil du printemps. Prête à toutes les écoutes et à tous les accueils. Simple à hauteur d’homme, simple dans la rencontre. Simple dans le silence, dans le sourire. Et simple dans la parole retrouvée. Mon Frère, si simple dans la paix donnée, Shalom, salam, salut. Simple comme bonjour.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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