Frapper à la porte du temple : Cette expression métaphorique ancienne qui fait penser au heurtoir (ou marteau) accroché à un huis pour en demander l’ouverture est toujours d’actualité en maçonnerie ! Deux modes d’accession à la Confrérie existent aujourd’hui pour le candidat : le parrainage, par un membre d’une loge (ami, connaissance, parent) ou l’envoi direct par voie postale d’une demande d’intégration (candidature spontanée). Cette dernière formule étant aujourd’hui très courante semble-t-il (jusqu’à 60% selon les estimations).
Dans les deux cas, si toutefois la demande est recevable, le Président rencontre préalablement le postulant et un processus d’enquêtes est lancé ensuite. Il est logique que la loge souhaite le connaître et obtienne des renseignements sur sa vie personnelle, sa situation sociale, ses aspirations intellectuelles et spirituelles, son intérêt pour le symbolisme, ses opinions et goûts, sa confession éventuelle. Dans les limites de la confidentialité, bien entendu, et en garantissant à la personne toute discrétion en retour.
L’usage a été établi au XIXe siècle que le Vénérable Maître désigne trois « enquêteurs », maîtres-maçons de la loge (Un enquêteur ne sait pas qui sont les deux autres) pour rencontrer le candidat, le questionne et établisse un rapport d’enquête. Les trois rapports sont ensuite lus en loge et un premier vote a lieu pour décider de retenir ou non ladite candidature. Il est évident que des « données » claires, précises et sincères sont attendues par l’assistance. Le lien entre les trois rapports est la cohérence qui s’en dégage. Le vote a lieu par boules. En son âme et conscience, chaque membre vote favorablement avec une boule blanche, négativement avec une boule noire. Si le vote est positif, le candidat est admis à se présenter à l’étape suivante du processus.
Tout recrutement est une prise de risque. Pour les deux parties. Il est à remarquer que cette procédure se réalise « en confiance ». Le candidat est certes « désavantagé » en ce qu’il ne sait de la franc-maçonnerie que ce qu’il a lu ou entendu et il ignore l’activité en ses murs. Par ailleurs, il n’obtient de l’enquêteur que peu de réponses à ses questions sur ce milieu fermé qu’est la loge, laissée à son imagination. De son côté, l’enquêteur, lui, doit se fier à son observation, son écoute et son intuition, à partir de ce qu’il voit, entend et « devine » du candidat.
La question se pose ici de savoir si trois enquêtes, c’est à dire trois rencontres, relativement rapides, sont suffisantes pour vraiment connaître la personne qui se présente. La réponse est certainement non !
« La lumière n’éclaire l’esprit humain que lorsque rien ne s’oppose à son rayonnement. Tant que l’illusion et les préjugés nous aveuglent, l’obscurité règne en nous et nous rend insensible à la splendeur du vrai ».
C’est la phrase que prononce le Maître de loge et qu’entend au XVIIIème siècle, le candidat à l’entrée en maçonnerie. Assis au milieu de la loge, où il a été guidé les yeux bandés, il répond ensuite aux questions posées par les membres présents. Cette épreuve « de la tête recouverte d’une étoffe », à la fois physique et symbolique existait déjà au temps des Initiations aux mystères d’Eleusis dans la Grèce antique. Le voile tombé, trois (nombre sacré) épis de blé étaient montrés à l’impétrant, en tant que métaphore, à la fois de la fertilité, de la nourriture de l’âme, de l’esprit et du corps.
Aujourd’hui, la même épreuve du bandeau en maçonnerie – qui entretient sa réputation de « société secrète », et en créant un événement interne ! – répond à un impératif : aveugler le candidat pour d’abord protéger l’identité des membres de la loge ! Ce ne sont pas forcément leurs questions qui en révèlent beaucoup plus sur sa personne (Ex : Quelle différence faites-vous entre égalité et équité, entre morale et éthique ? Quelle est votre opinion sur le mariage pour tous ? Que pensez-vous de la gestation pour autrui ? Pensez-vous que le réchauffement climatique dépend des gestes individuels ? etc, etc).
Priver le candidat d’un sens, c’est, dans la majorité des cas, « le mettre sous stress », et obtenir ainsi des réponses souvent brouillées par l’émotion du moment ! De fait, ne nous le cachons pas, l’épreuve du bandeau est l’occasion pour quelques membres de la loge…de souvent se valoriser auprès de leurs frères et sœurs, par leurs questions qu’ils pensent « originales ». Et aussi, parfois, de prendre une revanche, après leur propre passage sous ce bandeau…dont ils gardent un mauvais souvenir ! Alors même que la vraie question…qui fait question précisément, est l’aptitude relationnelle du candidat !
Trois enquêtes et un passage sous ce bandeau ne sont sans doute pas suffisants pour répondre ici ! Certaines loges ont ainsi décidé de supprimer cette épreuve, au titre de la forme de « bizutage » qu’elle peut représenter, voire aussi du sentiment d’humiliation à même d’être ressenti par ledit candidat. Il faut savoir se séparer d’une tradition qui n’est pas en l’espèce synonyme de vérité. Une série de rencontres plus avancées du candidat, de dialogues en groupe, s’avèrent bien plus « enseignante », afin de mieux le connaître. Non pas intimement mais socialement. C’est l’opinion, à tort ou à raison, de ces progressistes.
Certes, il ne faut jamais oublier qu’un candidat, paralysé par le trac, et au final accepté par indulgence, peut devenir plus tard ce Grand Maître ou ce Très Puissant Souverain Grand Commandeur aimé de tous… ou détesté pour son comportement arrogant et autoritaire. Du timide, le tyran. Que savoir jamais de l’Homme, cet être humble…ou vaniteux prompt à oublier ses faiblesses passées ! La vérité n’est pas de ce monde, même en franc-maçonnerie !