jeu 28 mars 2024 - 12:03

La frérocité sous la fraternité…

Oui ! La si belle fraternité adulée par notre pays républicain, au cœur de sa devise républicaine. Elle est lovée dans le doux cocon de l’harmonie entre les êtres. Mais, en fait, c’est un leurre ! Elle est très commode pour justifier nos valeurs, nos espoirs et nos affections. Car cette fraternité bêlante ressort d’une conception niaise des relations entre les humains. Car, certains le savent depuis toujours, la fraternité nait souvent de la « frérocité », terme clair forgé par Jacques Lacan. Sous les vernis de la fraternité se cachent les déchirures de cette frérocité.

Depuis les 400 000 ans que l’humain existe, les guerres les plus sauvages ont ravagé les meutes des « humanimaux » (Daniel Béresniak). L’autre est vite une menace à éliminer. Les prétextes sont très divers mais dans la société, les horreurs sont toujours justifiées par une raison bien pratique pour innocenter. En effet au-dessous de la fraternité les racines de la frérocité sont puissantes bien que peu nombreuses. Ses quelques motifs sont toujours les mêmes : les désirs, la jalousie, l’envie…Parce que l ’autre est différent, plus nanti et prospère. Conclusion : on veut ce qu’il représente, par la force. Et on se donne de bonnes raisons : Il est donc dangereux car il possède ce que je n’ai pas, il ne se soucie de rien : On en vient à être sûr que c’est l’autre qui me menace. Et cette pirouette de la frérocité, s’éveille, chez les humains, dès le plus jeune âge avant de devenir collective.

            L’humanité ne cesse de borner son histoire avec les jalons de la frérocité. Les guerres incessantes et croissantes troublent la vie bancale et proliférante de l’espèce. 7 milliards d’humains dépassent largement les limites éthologiques de croissance d’une espèce : elle n’en finit plus de consommer les richesses de la nature. Pour agir il est temps d’aller plus loin que les classiques sciences humaines auto-justificatrices pour en venir à l’éthologie.
Jacques Lacan ne se le laisse pas dire : « La férocité de l’homme à l’endroit de son semblable dépasse tout ce que peuvent les animaux, et [qu’] à la menace qu’elle jette à la nature entière, les carnassiers eux-mêmes reculent horrifiés ». La régulation naturelle est dépassée, elle qui se fonde sur les pandémies, les guerres, la sous-natalité, tout cela pour maintenir la vie de la meute. Le GIEC, dans son dernier rapport prétend qu’avec la quasi-disparition des ressources naturelles, à cause des guerres nucléaires qui ne vont plus tarder, les meutes animales (dont la nôtre) vont s’effondrer. Ce qui se joue collectivement est aussi inscrit dans les relations individuelles, voire fraternelles comme chez Caïn et Abel, pour prendre un exemple connu mais pas isolé. Les Frères maçons, les Sœurs seraient-ils exclus de cette machinerie prédatrice grâce à l’intercession magique des rituels et les pompeuses déclarations humanistes qui les enrubannent sans répit ?

             En effet, face à cela, Les Francs-maçons font partie des thuriféraires de la douceur et de l’harmonie. Toute une tradition, reprise par l’Ordre, prétend que l’humain peut se débarrasser de la frérocité qui sourd en lui. Avec un accès à la fraternité. Les Lumières dont se targuent les initiés que nous sommes, nous l’affirment : L’humain a un bon fond et il peut être tout amour. Ah bon ! La violence, la fureur ne seraient que des égarements de l’éducation. C’est une des chansons bien dépassées du Siècle des Lumières : Pourquoi pas ? Oui peut être. Aujourd’hui, cette opinion se meut en croyance. Vraiment dommage ! Dorénavant on sait que la fraternité existe mais à une condition irréfragable : Admettre que la frérocité fait souvent le lit de cette fraternité. IL faut traiter le soubassement pour accéder à la lumière, sans ambages. Et, coups de génie, c’est ce qu’a compris la Maçonnerie : Avant de jouir des différentes formes de l’entente, rappelons les frérocités rituelles. De fait, dans les degrés bleus qui recèlent la doctrine initiatique, la violence est toujours présente et assumée.

            Frérocité avouée en Franc-maçonnerie ? Mais bien sûr. Il suffit, en deux mots, de se rappeler la brutalité lancée à l’Apprenti : la porte basse, les épreuves qui secouent le corps, point de départ pour fonder notre vie. Mais, au degré de Compagnon, la frérocité n’est évoquée, hélas, que dans quelques rites. Elle repose sur une légende biblique. Rappel, si nécessaire : Deux tribus d’Israël sont en guerre ; la Galaadites et les Ephraïmites. Or ces dernier, acculés, doivent absolument franchir le Jourdain. Les Galaadites, qui tiennent l’autre rive, sont méfiants. Ils exigent des fuyards qu’ils donnent le mot de passe « Schibboleth ». Mais les pauvres ne savent prononcer que « Sibboleth ». Alors ils sont massacrés et leurs corps jetés dans le Jourdain. Conclusion : la frérocité, au degré de Compagnon, est trop peu évoquée voir pas du tout dans certains rites. C’est une vraie faiblesse eu égard à ce qu’est l’humain. Il est urgent que cette légende prenne une place bien plus effective dans le rituel. Il ne peut plus y avoir de rituel sans évocation de la frérocité. En comprenant en outre que les deux sont intimement interdépendants et se mêlent fort souvent l’une l’autre. Enfin, quelle satisfaction : Au degré de Maître, il y a de quoi être comblé avec le violent meurtre d’Hiram, étendard du meurtre du père pour la plupart des garçons. Je laisse aux lectrices le soin de réfléchir sur ce geste violent. M’est avis –humble- que la haine et l’amour se racontent différemment selon le sexe. Aux Sœurs de se prononcer. Mais, s’il y a des différences, la violence est toujours au rendez-vous.

            Au- dessus de la frérocité et en s’en nourrissant, la fraternité s’éveille. Mais le mot est fou : il a tellement de lectures ! Bornons-nous à notre vécu simple. En fait, on peut distinguer plusieurs niveaux de fraternité qui se jouent dans une loge, appuyée très souvent, nous venons de le voir, sur la frérocité. Un trait génial de notre Ordre est d’avoir fait croître, par le rituel, notre densité d’amour fraternel au fur et à mesure des trois degrés. Mais il est bien entendu que les trois étages peuvent, dans la réalité de chacun, être assumés quel que soit le degré. Un profane est parfois fraternel, voire plus. Le rite, alors, conforte ses comportements. Mais revenons aux différentes acceptions du mot fraternité. A chaque fois, nous nous poserons la question : la Voie maçonnique incite-t-elle à vivre cet aspect de la fraternité ?

            D’abord la convivialité, la forme la plus simple qui correspondrait à l’état d’Apprenti. Elle se joue pendant les agapes. Chacune, comme les autres, se régale du bon lait qui l’emplit, comme au temps de sa petite enfance. Que les Apprentis qui sont en nous tous, se rappellent le contraire, même inconsciemment. Pensons, par exemple, à la frérocité souvent visible chez les petits : le désir d’affamer l’autre en lui volant sa nourriture. Ou l’envie de lui prendre ses jouets.

 Puis les Compagnons, moins bien lotis en frérocité, renforcent en eux, la complicité de jouer, rire et de travailler ensemble. Ils n’ignorent pas qu’ils peuvent se jalouser méchamment, dans une violente duplicité cachée sous de bonnes raisons. Nous n’en sommes pas absents, loin de là ; par exemple dans les manœuvres pour obtenir un office, un degré du dessus, une « haute » responsabilité. Ou pour que la loge admire sa planche.

Enfin, avec la Maîtrise, nait l’amitié. Elle est une fleur qui s’épanouit dans l’entente forte, affective, morale, sociale…Pourquoi ? Parce qu’elle amène à reconnaître en chacun le désir de tuer Hiram. Chez les garçons en se posant la question pour les filles. Ce meurtre est l’acmé de la jalousie, de l’envie et de la violence. La haine ! L’accepter favorise la comparaison avec l’autre : Il est semblable. Alors peut naître, sur cet accord profond, l’amitié partagée.

Encore une fois, ces trois types de fraternité relèvent d’un point de vue pédagogique, commode mais irréel : Un Apprenti peut devenir évidemment l’ami d’un maître chevronné. Et, pour couronner, ces trois aspects de la fraternité, la solidarité. Les trois degrés sont concernés. Elle devrait s’exercer dans nos loges, sans coup férir.

            La Voie maçonnique nous aide donc à travailler notre frérocité (si difficile souvent à admettre au fond de soi) Hélas, la fraternité, celle qui est réellement vécue dans les loges, ignore encore trop souvent ses soubassements désagréables. Les rappels rituels ne jouent plus pleinement leur rôle introspectif. Voici la très puissante et sale ennemie de la fraternité, en ses multiples visages : l’indifférence. Ma longue vie maçonnique m’en a montré, hélas, plusieurs exemples qui m’ont révolté. En voici une pincée tirée du vécu. Dans la loge de l’Arpenteur, un Frère touché par une dépression terrible envoie à chacune la supplique : « Envoie-moi une ligne de réconfort ; j’en ai tellement besoin ». Résultat :6 réponses sur 32 membres ! On entend alors en tenue : « Je ne savais pas que c’était si grave ! Je n’ai donc pas essayé d’aller plus loin » Cette frérocité s’appelle « ignorance », un de des maux que les Maçons jurent de chasser. Allons à présent, écouter une autre excuse dissimulatrice : l’hypocrisie d’un Frère qui déclare : « Il y a un Hospitalier pour cela » Comme si la fraternité-solidarité ne nous commandait pas de nous entraider sans cesse. Nous sommes tous-tes des hospitaliers…Ah il nous reste, dans la triade maudite des Maîtres outre l’ignorance et l’hypocrisie, le fanatisme. Lisez bien cet autre exemple : Dans la loge Les Amis fidèles, une Sœur, après une maladie grave, se retrouve bloquée dans un fauteuil. Des voix s’élèvent, en vertu apparente et en frérocité cachée : « Anderson n’aurait jamais accepté une infirme en loge ; c’est clair dans les Constitutions. Alors démissionnons-la ». Bonjour le fanatisme, au nom de la tradition si confortable pour celles et ceux qui ne veulent rien changer, pour leur confort !

            On m’a souvent dit que ces frérocités étaient plus le triste apanage des loges implantées dans les grandes villes. En province, la fraternité, dans ses couleurs bruissantes, aurait plus droit de cité. Je me range volontiers à cette constatation.
Alors, en ville, la frérocité serait-elle donc gagnante sous les oripeaux trompeurs de l’ignorance, de l’hypocrisie et du fanatisme…et d’autre encore, bien sûr, selon les rites ? Je ne le crois pas. Nous avons vu que la frérocité était bien présente aux 1er et 3ème degrés, moins au 2ème. Et nous savons, surtout depuis les années 50 que fraternité et frérocité sont indissociables pour rendre les individus satisfaits de leur vie. On ne peut être heureux sans descendre en soi (le fil à plomb, les colonnes…) Avec l’alchimie absolument nécessaire : « Comment puis-je transformer la force de la frérocité en fraternité active ?

Pour gravir l’escalier qui me mène à être utile sur la terre des humains. Une réponse possible en guise de résumé :

  • L’un à coté de laure : la convivialité.
  • L’un avec l’autre :la complicité,
  • L’un pour l’autre, la solidarité,
  • L’un en l’autre ; l’amitié.

            Le psychanalyste G.Haddad résume clairement : « On associe spontanément la fraternité à l’entraide et à la noblesse des sentiments, mais c’est manquer généralement sa dimension essentielle de rivalité et de meurtre potentiel »

Que tardons-nous, mes Frères, mes Sœurs à y réfléchir puis à agir concrètement et sans cesse, ensemble, en sincères alchimistes du cœur et de l’esprit ?

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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre. Son message : "Salut à toi ! Tu pourrais bien prendre du plaisir à lire ces Cahiers maçonniques. Et aussi connaître quelques surprises. Notre quête, notre engagement seraient donc un voyage ? Et nous, qui portons le sac à dos, des bagagistes ? Mais il faut des bagagistes pour porter le trésor. Quel est-il ? Ici, je t’engage à aller plus loin, vers cette fabuleuse richesse. J’ai cette audace et cette admiration car je suis un ancien maintenant. Je me présente : c’est en 1969 que je fus initié dans la loge La Bonne Foi, à Saint Germain en Laye, au Rite Français. Je travaille aussi au Rite Opératif de Salomon. J’ai beaucoup voyagé et peu à peu me suis forgé une conviction : nous, Maçons latins, sommes en train d’accoucher d’une Voie maçonnique superbe : une spiritualité pour agir. Annoncée dès le début du XXème siècle. Elle est en train de se déployer et nous en sommes les acteurs plus ou moins conscients mais riches de loyauté.

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