jeu 28 mars 2024 - 22:03

Interview d’Edouard Habrant ancien Grand Maître de la GLMF

RÉDACTION : EDOUARD HABRANT, vous avez été Grand Maître de la GLMF, vous allez nous rappeler durant quelle période ? Notre question complémentaire, depuis quand êtes-vous maçon ?

EDOUARD HABRANT : J’ai été Grand-Maître de la Grande Loge Mixte de France entre 2015 et 2016, puis entre 2018 et 2021. J’ai été initié au sein de la Loge Horus (GLMF) le 7 novembre 2003.

RÉDACTION : Vous avez donc gravi tous les échelons et vous avez ensuite été élu Grand Maître, par deux occasions d’ailleurs. En quelles années était-ce ?

EDOUARD HABRANT : Je ne sais pas si le terme « échelon » est le plus approprié, mais je me suis effectivement engagé au sein du Conseil de l’Ordre à compter de 2013. C’est en 2015 que j’ai été élu Grand Maître pour la première fois. A l’issue d’une période de trois années en qualité de Conseiller de l’Ordre, une période d’inéligibilité d’un an est prévue réglementairement avant de solliciter un second mandat. Ce second mandat s’est déroulé entre 2018 et 2021.

RÉDACTION : Avant de revenir sur votre expérience de Grand-Maître, qu’avez-vous retenu de votre parcours initiatique ?

Qu’il existe, à portée de nos mains, un grand nombre de richesses spirituelles, intellectuelles et morales. Il nous suffit d’être attentifs à recevoir le meilleur de ce que chacun peut nous transmettre pour en bénéficier.

Que chacun de nous porte une part de lumière, mais aussi une part d’ombre, dont je ne pense pas que nous puissions nous affranchir totalement. Pour la combattre, il est important d’être en mesure de l’identifier.

Que, dans un monde incertain et confronté au temps qui passe, tout est sans cesse à reconstruire et qu’il est donc essentiel de ne pas perdre le fil de nos pensées et de nos actions, tout comme l’héritage de nos ancêtres.

Qu’il faut faire la différence entre une pensée et une opinion, ce qui permet de se défaire plus facilement des opinions erronées, qui entravent notre progression.

Que la quête de sens doit guider chacun de nos pas.

RÉDACTION : Pour nos lecteurs curieux de votre parcours, comment avez-vous accédé à la grande maîtrise, avez-vous fait campagne, ou est-on venu vous chercher ? Parlez-nous ensuite des querelles de campagne. Y’a -t-il eu des intrigues ?

EDOUARD HABRANT : Pour comprendre ce que vous appelez « l’accès à la Grande Maîtrise », il faut expliquer un peu le mode de fonctionnement de la Grande Loge Mixte de France.

Lors d’une assemblée générale dénommée « Convent », l’ensemble des Loges de l’Obédience désigne chaque année 6 Conseillers de l’Ordre pour une durée de 3 ans. Cette instance, qui est donc renouvelée par tiers chaque année, élit en son sein un Grand Maître.

Le renouvellement de l’instance désignant le Grand Maître étant à la fois partiel et minoritaire, il est possible de prédire avec plus ou moins de précision le nom du futur Grand Maître, en fonction de la position des 12 Conseillers déjà « en place ».

Cette formule présente ses avantages (une continuité d’une année sur l’autre), mais aussi ses inconvénients (le sentiment que les décisions sont déjà prises).

En ce qui me concerne, je dois reconnaître que mon prédécesseur, François Padovani, m’a littéralement mis en place lors de mon premier mandat.

En 2018, la situation était sensiblement différente puisque le Conseil de l’Ordre avait été largement renouvelé durant la période écoulée. J’ai été élu en deux temps, tout d’abord en qualité de Conseiller de l’Ordre à l’issue d’un vote de l’ensemble des Loges, puis en qualité de Grand Maître, par un vote du Conseil de l’Ordre.

Cette double élection n’a pas – à ma connaissance – spécialement donné lieu à des querelles de campagne ou à des intrigues.

RÉDACTION : Comment s’est passé votre Grande Maîtrise ? Qu’avez-vous fait durant vos années de mandat ?

EDOUARD HABRANT : J’ai poursuivi la mise en œuvre d’actions qui avaient été conçues avant mon mandat (par exemple, la création d’un Fonds de dotation pour soutenir les actions de solidarité externes).

Je me suis également efforcé de donner aux travaux de l’Obédience, de ses Loges et de leurs membres, des supports pour prolonger la réflexion tout en portant la parole maçonnique au-delà de son champ habituel d’expression, à travers la création d’une revue (Sisyphe), d’une Newsletter, d’une émission de Radio (« Pierres de touche », sur Radio Delta), de vidéos.

Une attention particulière a également été portée sur le renforcement des liens avec de nombreux interlocuteurs (médias, institutions républicaines et pouvoirs publics, universitaires, etc…) pour donner une image aussi fidèle que possible de la Grande Loge Mixte de France, ses principes et ses valeurs.

A partir de mars 2020, les efforts se sont concentrés, dans le contexte sanitaire très difficile que nous avons connu, sur les actions de solidarité au bénéfice des Loges et de leurs membres, ainsi que sur la manière de préserver nos liens et de vivre la franc-maçonnerie au temps de la Covid-19.

REDACTION : Qu’auriez-vous souhaité mettre en place, que vous n’avez pas pu faire durant ces trois années de mandat ?

EDOUARD HABRANT : Je m’abreuve aux sources du passé, mais je vis dans le présent et me projette dans l’avenir. Il est toujours préférable de penser à ce que nous devons faire et non à ce que nous aurions pu faire.

RÉDACTION : Parlons maintenant de votre descente de charge, comment s’est-elle déroulée ? Quelle est votre expérience d’après mandat ? Est-ce qu’il y a eu une déprime ou plutôt une libération ou des regrets. Était-ce une période de Grand Maître blues ?

EDOUARD HABRANT : C’est une période très singulière, où j’ai eu le sentiment d’une forme de dépression, au sens littéral, c’est-à-dire une baisse de la pression et un sentiment de vide.

En dépit de journées professionnelles chargées, cette impression de vide a prédominé durant plusieurs semaines.

Ce qui frappe également, c’est la possibilité de recouvrer une liberté de parole. Quand un mandat vous est confié, vous vous exprimez toujours au nom de l’Obédience, et jamais en votre qualité personnelle. Paradoxalement, ce que vous pensez ne compte plus vraiment, puisque vous portez une parole qui vous dépasse (au sens noble), celle d’une institution de plus de 5.000 membres et de près de 40 ans d’existence.

Lorsque vous êtes très attaché à votre liberté d’expression, c’est un profond soulagement de parler tout en n’engageant que soi.

RÉDACTION : Que retenez-vous de cette expérience. L’avant, le pendant et l’après ?

EDOUARD HABRANT : Je retiens tout, du moins le plus possible.

Le véritable privilège des Grands Maîtres, c’est de faire des rencontres extraordinaires, particulièrement dans les Loges.

J’ai pu mesurer à quel point la pratique de la franc-maçonnerie est à la fois commune et singulière. Commune, car nous puisons à la même Tradition. Singulière, car chaque Loge est riche des parcours de ses membres, mais aussi de ses racines culturelles, historiques et géographiques. Entre Lille, Fort-de-France, Ajaccio ou Montélimar, ce sont de subtiles variations qui sont autant de mélodies différentes. J’ai pris énormément de plaisir à les écouter, et je ne les oublierai jamais.

RÉDACTION : Une avant dernière question, confiez-nous une petite indiscrétion qui vous vient à l’esprit, une expérience qui vous a marqué ou un clash avec votre successeur ou avec votre prédécesseur.

EDOUARD HABRANT : Je vais vous raconter une petite anecdote.

A l’automne 2018, les représentants des principales Obédiences maçonniques françaises sont reçus à l’Elysée.

La position du Président de la République est particulièrement attendue, en particulier en matière de laïcité, quelques mois après le fameux discours des Bernardins dans lequel Emmanuel Macron a indiqué qu’il fallait « réparer le lien abîmé entre l’Eglise et l’Etat ».

Tout en exprimant la position de mon Obédience et en demeurant attentif aux propos du Président, je m’attaque à la salade qui se situe au centre de mon assiette.

Soucieux d’éviter tout manquement majeur aux règles de savoir-vivre, je veille à éviter de découper une grande feuille qui se présente devant moi et décide de l’enrouler autour de ma fourchette.

Subitement, la feuille s’est déroulée comme un ressort, projetant une délicieuse et abondante vinaigrette au milieu de la table et sur la chemise de mon voisin (dont je tairai le nom).

J’y repense chaque fois que je mange une salade (heureusement, c’est assez rare).

Moralité : on devrait toujours écouter ceux qui nous disent que la gourmandise nous perdra…

RÉDACTION : On va conclure avec la dernière question. Quel regard portez-vous sur la franc-maçonnerie ? La franc-maçonnerie en général et son avenir en particulier ? Vous avez trois heures.

EDOUARD HABRANT : Je suis inquiet et optimiste.

Naturellement inquiet, car de nombreuses Loges sont fragilisées et qu’elles ont parfois du mal à attirer ou conserver des membres plus jeunes.

Au-delà de la moyenne d’âge, donnée qui a ses limites comme toutes les statistiques, je répète souvent que la franc-maçonnerie n’a pas le droit de vieillir, dans le sens où elle n’a pas le droit d’être associée à un passé révolu.

Incarner et perpétuer une tradition est sans doute le plus bel héritage qui soit. Pour autant, cet héritage n’est pas un testament gravé dans le marbre, pour paraphraser René Char.

Le paradoxe est que, pour être fidèle à son histoire, la franc-maçonnerie est condamnée à se réinventer en permanence.

C’est ce qui me rend optimiste : tout est à faire et le meilleur est à venir.

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