ven 29 mars 2024 - 07:03

L’œil qui voit d’Oskar Kokoschka (1886- 1980)

Exposition au Musée d’Art Moderne de Paris jusqu’au 12 février 2023

« Je crois que la seule issue à la catastrophe où nous a plongés la civilisation techniciste est d’apprendre à voir, au lieu d’adopter la position fataliste de spectateur ».  Ainsi  se confiait l’artiste peintre autrichien Oskar Kokoschka à qui actuellement le Musée d’Art Moderne de Paris consacre une remarquable exposition.  Celle-ci est riche autant en peintures, en dessins, en affiches, en lithographies, qu’en vidéo- interviews et documents… En tout 150 œuvres choisies dont au moins 75 tableaux majeurs et très significatifs des années et des tragédies de la fin du XXe siècle.

Rappelons ici : né à Pöchlarn, en Basse-Autriche, dans un milieu modeste, Oskar Kokoschka a étudié l’art et vécu à Vienne, mais aussi à Dresde, Berlin, Prague, Paris et Londres, où il s’est exilé en 1938, s’engageant contre la montée des fascismes en Europe et le pouvoir nazi, voyageant en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, un parcours présenté chronologiquement.

Les médias du jour donnent à juste titre, un écho à cette très belle rétrospective qui nous permet d’avoir un formidable coup d’œil sur l’histoire récente d’une Europe tourmentée, mais aussi conservatrice et repliée sur une certaine satifaction d’elle-même et, sur les positions et les œuvres d’un artiste engagé et singulier !

Ainsi le Journal Le Point voit en Kokoschka « un punk avant l’heure » et doit faire frémir ses lecteurs en lui précisant que la vie de l’artiste est celle d’un «  rebelle » : «  Dès 1908, il fait scandale. Ses “Garçons qui rêvent”, poème illustré sur l’éveil à la sexualité, révulse la bourgeoisie viennoise. Rejeté, “il se rase le crâne et se représente en repris de justice”…  Il récidive aussitôt après avec une pièce de théâtre, “Meurtrier, espoir des femmes”, qui évoque le poids de cette société bourgeoise, catholique, sur les relations humaines et entre les sexes.

Quant au Journal des Échos, il donne à l’exposition un avertissement sans ambiguïté : « Kokoschka, le grand art de la grimace » et le journal ne manque pas de rappeler qu’à la suite d’une grande déception amoureuse, le peintre, également surnommé « Kokoschka le fou », avait entretenu une relation tourmentée entre 1912 et 1914 avec un des mythes féminins du début du XXe siècle, la musicienne et « serial lover » Alma Mahler.

 

Le tableau « La Tempête ou La Fiancée du vent » (1913) relate cet épisode de vie et cet écart dans les sentiments  amoureux entre les protagonistes : il s’y voit un couple proche au creux d’une nuit et d’une vague au bleu glacé, vague inserrée entre des cimes noires voire menaçantes : la femme dort tranquille alors que l’homme, les yeux éveillés, apparaît dans une intranquillité que l’on perçoit persistante voire obsédante …

 

Effectivement Alma Malher quitta cet amoureux transi et terriblement jaloux ; elle le pressa même de partir à la guerre ! Au sortir de la guerre, ce fou amoureux était tellement désespéré de la rupture, qu’il commanda à une marionnettiste une poupée à taille humaine qui reprenait la morphologie de son ex-maîtresse. Bien qu’il fût relativement déçu par le résultat, il arriva qu’il la sorte à l’opéra, l’habille, s’enferme avec elle et reçoive en sa compagnie. Alma commentera dans son journal : « Il m’avait à sa disposition, selon son bon plaisir. »

La fin de la poupée eut une fin drôlatique : après une nuit bien arrosée avec ses amis, la poupée de Kokoschka fut retrouvée au petit matin décapitée dans le jardin et fort malmenée au point que les voisins avertirent la police tant ils étaient persuadés que gisait là un cadavre dans les parterres du jardin de l’artiste ! Après constat, la police amusée par ce qui était un malentendu, verbalisa quand même l’artiste pour « atteinte à l’ordre public » !

 Par la critique de son époque, le sulfureux Oskar Kokoschka était aussi désigné comme “le plus sauvage d’entre tous” (“Oberwidling” en allemand). Son “Tigron” (1926), mi-tigre mi-lion, dévorant une gazelle, présenté aussi au Musée d’Art Moderne, en est une parfaite illustration. Tout comme le sous-titre de l’exposition du MMA : “Un fauve à Vienne”.

                                          Oskar Kokoschka | Musée d’Art Moderne de Paris

Mais précisons : un fauve dont les productions restent étonnantes, la pensée forte et ses convictions sur l’art dit « expressionniste » bien arrêtées. Ainsi en 1964, à 78 ans Kokoschka affirmait- il : «L’humain c’est un rayonnement, ce n’est pas la surface, l’uniformité dans le monde. Je ne peux peindre une ville que lorsqu’elle est organique, je pourrais voir l’être humain sous sa peau. Seul un peintre peut faire cela, c’est pour cela que je suis en rébellion permanente

L’exposition au Musée d’art Moderne a commencé le 23 septembre  et se clôtura le 12 février 2023.  Un conseil pressant : « Allez- y ! »  Prenez du temps pour voir et lire. Comme les explications écrites sur les œuvres et en proximité, sont en menus caractères, n’oubliez pas (éventuellement) vos lunettes ! Par ailleurs, choisissez plutôt les heures creuses pour faire la visite au Musée pour éviter les contemplatifs courbés longuement sur ces affligeantes notices (du fait de leur petite taille) apposées par le MMA !

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Claude Laporte
Claude Laporte
Cursus universitaire en Droit public, Organisation du travail, et Sociologie Politique. (Maîtrise en Droit Public (1972), à la Faculté de Bordeaux. Chargée de cours sur la « Sociologie Politique et des Institutions Internationales » aux élèves de 1ère Année de Droit (1972/1973). Puis, intégration professionnelle au sein de l’Assurance Maladie. Dernier poste occupé : Responsable de la Communication à la Direction des Systèmes d’Information à la CNAMTS. Autres diplômes : DESS Systèmes d’Information; DEA «Communication, Technologies et Pouvoir » (Université Paris-Sorbonne). Par ailleurs : des engagements dans le domaine associatif et culturel. Depuis mars 2020 une activité écriture/publications avec la création et l’animation du blog EMEREKA, journal d’opinions et d’humeurs ..

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