D’après plusieurs collaborateurs de justice, les origines de la mafia sont à rechercher dans la secte des Beati Paoli, dont les mafieux prétendent être les descendants. Selon la tradition, elle avait pour but de venger les populations des torts infligés par les puissants. Cependant, si en Sicile l’expression « Beati Paoli » renvoie effectivement à cette secte, dans d’autres régions italiennes elle est utilisée en référence à l’abondance ou à une grande quantité. À travers l’analyse de documents d’archives, à partir de textes remontant au XVIe siècle, cet article s’attache à rétablir le sens originaire de cette expression et à vérifier s’il existe un lien entre l’expression et le mythe palermitain des justiciers. Par ailleurs, en retraçant la genèse du mythe, il permet de vérifier si le noyau de la légende populaire provient d’une tradition orale séculaire ou s’il est le résultat du remaniement de divers éléments qui, sédimentés au fil du temps, ont contribué à le structurer.
Historique
Cet ordre chevaleresque, apparu à Palerme au XIIe siècle, se battait notamment pour la redistribution des richesses préalablement prises aux nobles siciliens. Même si des doutes profonds subsistent sur le mode opératoire et la réelle organisation de cette confrérie, elle est connue dans la région comme un Robin des Bois italien.
Plusieurs publications du XVIIIe siècle mentionnent la légende de cette secte, héritière des Vendicosi médiévaux. Ainsi le marquis de Villabianca cite deux membres qui auraient été pendus en 1704 et 1723.
Son histoire est transmise au siècle suivant par les contes populaires et par la dénomination officielle par la municipalité de Palerme en 1874 d’une rue Beati Paoli où se serait tenu leur siège, redécouvert à la suite de la publication du livre de Luigi Natoli I Beati Paoli en 1909. Même si elle a souvent été très romancée il y a des preuves que les Beati Paoli ont réellement existé.
La légende des Beati Paoli a été approprié par les mafias modernes comme Cosa Nostra qui revendique d’être comme eux une organisation rendant justice aux victimes de la justice officielle. Les premiers mafieux siciliens aimaient à se comparer aux successeurs des Beati Paoli. Lors de son procès Toto Riina, le boss des boss de la mafia, fit de nombreuses références à cette organisation.
Les origines des Beati Paoli
Depuis deux siècles, les érudits recherchent des preuves de l’existence des Beati Paoli, mais à ce jour personne n’a de certitudes. La seule source documentaire est constituée par quelques pages manuscrites du marquis de Villabianca, historien palermitain, datant de 1790, que l’on considère comme la pierre angulaire de toute reconstruction historique concernant la secte. En attendant que d’autres documents soient repérés, l’historien Francesco Renda a précisé qu’il est nécessaire de déterminer à quel moment et de quelle manière cette « imposante tradition orale et écrite » a pu être construite. Renda lui-même a fait connaître tout le matériel qu’il a accumulé en étudiant l’évolution de la tradition de la légende des Beati Paoli et a pu identifier quatre étapes fondamentales : 1790, année de publication du troisième volume de la traduction (signée de Scasso Borrello) du livret du marquis de Villabianca et du journal de voyage de Friedrich Münter ; 1836 : année de publication de la nouvelle I Beati Paoli de Vincenzo Linares et des Lettere de l’officier Quattromani ; 1873-75 : années au cours desquelles, d’une part, le conseil municipal de Palerme dédie aux Beati Paoli la rue et la place où l’on supposait qu’ils s’étaient réunis, et d’autre part, Bruno Arcaro, dans un essai paru dans l’hebdomadaire palermitain « Libertà e Diritto », retrace la légende des Beati Paoli sous un jour autonomiste, élevant ainsi les membres de la secte au rang de champions de la lutte politique, tandis que Giuseppe Pitrè publie les versions orales de la légende racontées par Francesca Campo ; 1909-1910, années de publication du feuilleton I Beati Paoli de Luigi Natoli.
Pionnier de la recherche sur les Beati Paoli, Francesco Paolo Castiglione en voit les premières traces dans les révoltes siciliennes de la première moitié du XVIe siècle et relie la secte à la confrérie impériale des Sept Anges, « la plus importante et la plus mystérieuse des confréries de la Sicile au XVIe siècle », composée de marchands pisans installés en Sicile qui, avec l’appui des minimes de Saint François de Paule, allaient consolider leur pouvoir politique à Palerme au cours des siècles suivants. C’est précisément de cet ordre religieux que dériverait le nom de Beati Paoli, « en tant que déformation de l’expression Biat’i Paula, c’est-à-dire le Bienheureux de Paola », le nom utilisé pour désigner François de Paule « entre sa mort et sa canonisation ». L’association des Beati Paoli ne serait donc pas née dans le but de protéger le peuple mais, au contraire, avec l’objectif politique de veiller aux intérêts des classes dirigeantes. Fidèle à l’enseignement et aux recherches érudites de Salvatore Salomone Marino, Castiglione s’inspire du récit oral de Francesca Buscemi de Palerme (recueilli et publié en 1876 par Salomone Marino) : victime de la famine, le peuple rebelle parvint à reprendre possession du blé que juges et puissants avaient caché ; une fois la révolte terminée, les juges en colère prirent au piège une vingtaine de personnes et les massacrèrent ; lorsqu’il apprit la nouvelle, le peuple en colère obligea les juges à fuir à Messine pour se mettre sous la protection du vice-roi, mais près d’une église deux Beati Paoli, déguisés en mendiants avec le chapelet à la main, tuèrent les juges et vengèrent ainsi le peuple.
Castiglione indique qu’à la base de cette histoire, que « pendant des siècles, le peuple avait transmise oralement », il y a l’expulsion du vice-roi Moncada (1516) et la révolte de Squarcialupo (1517). D’après Castiglione, la formule « se ne diedero più che i Beati Paoli » [ils se rouèrent de coups pire que les Beati Paoli] contenue dans les Ragionamenti (1534-1536) de Pierre Arétin, est une preuve irréfutable de l’existence de la secte : cette expression aurait été inventée après l’épilogue tragique de la révolte menée par le gentilhomme Gian Luca Squarcialupo le 8 septembre 1517 dans l’église de l’Annunziata à Palerme, où un groupe d’individus « en robe de bure et capuche », proches de l’oligarchie locale, avait éliminé ce même Squarcialupo et ses compagnons. Selon Salomone Marino aussi, la présence de la phrase chez l’Arétin montre « que la tradition des Beati Paoli était également très connue sur le continent, à tel point qu’elle était devenue proverbiale » et qu’il faudrait donc la faire remonter à une époque antérieure à celle qu’avait retenue Villabianca. « Dare i beati paoli » [filer les beati paoli] voulait dire « infliger une correction solennelle, abominable, terrible, maltraiter horriblement, y compris au sens moral ».
La secte est brièvement mentionnée dans l’œuvre monumentale de Carmelo Trasselli, qui avance l’hypothèse que les Beati Paoli sont des descendants des Cirauli, les enchanteurs de serpents « aux pouvoirs mystérieux et occultes d’après le petit peuple, dont l’occultisme dégénère ensuite au XVIIIe siècle et les transforme en une une mystérieuse secte des vengeurs et d’assassins». Selon cet historien sicilien l’évocation des Beati Paoli chez l’Arétin « constituerait la trace la plus ancienne du nom d’une secte clandestine ayant évolué à Palerme au XVIIIe siècle ».
L’historien vénitien Marino Berengo a signalé qu’à Venise l’expression « c’ ne è anche per i Beati Paoli » [il y en a même pour les Beati Paoli] est utilisée « en servant un plat pour en indiquer l’abondance et rassurer ainsi les convives, qui ne manqueront pas de nourriture ». À partir de la lecture du récit de Francesca Campo, Berengo estime qu’à l’origine de l’expression vénitienne il pourrait justement y avoir la fantomatique secte palermitaine.
La présence d’une expression similaire en langue parlée dialectale a été observée en Corse. Pendant l’occupation française, les disciples de Pasquale Paoli avaient formé une organisation patriotique et contre-maçonnique, et l’avaient appelée Beati Paoli, d’après l’association « formée à Palerme au milieu du XVIIIe siècle, qui regroupait des défenseurs zélés de la foi, inquiets des progrès du rationalisme ». Son nom ne dériverait donc pas du nom de famille du patriote corse, mais de la « société sicilienne des Vengeurs, car les liens entre les sociétés de ces deux îles sont l’une des clés de leurs histoires secrètes respectives ». En Corse, « si l’on en croit la mémoire populaire [la société est] apparue plus tard, lors de la révolte de la Crucetta », à savoir en 1798. La mémoire populaire, vivace dans la langue parlée, se rappelle que « les Beati Paoli devaient être extrêmement nombreux puisque aujourd’hui encore, dans la Castagniccia, on dit pour parler d’une multitude de gens : “Sô quant’e i Beati Paoli !” [ils sont aussi nombreux que les Beati Paoli] ».
Mais relier l’expression « Beati Paoli » à la secte palermitaine du même nom signifie entamer une analyse ex post, à partir de la description des Beati Paoli fournie par le Marquis de Villabianca. En nous concentrant sur le caractère performatif et métaphorique du langage et sur sa capacité à structurer et façonner la réalité, nous souhaitons au contraire procéder ex ante, en examinant les significations de l’expression Beati Paoli au cours des siècles, afin de vérifier si la tradition a pu se former à partir d’une expression préexistante.
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La première preuve écrite de l’ existence de la secte apparaît au début du XVIIIe siècle. De celle-ci, l’une des suppositions les plus crédibles est que les origines historiques des Beati Paoli résident dans une autre association secrète, les Vendicosi, active dès le XIIe siècle et composée de citoyens d’une classe sociale inférieure qui exerçaient la justice, pour défendre les habitants de Palerme contre les abus de la noblesse. Quant aux origines étymologiques,il existe diverses hypothèses, mais la plus célèbre voudrait que le nom de la secte dérive de la dévotion à saint François de Paule et du fait que les Beati Paoli avaient l’habitude de se promener dans la ville et les églises de Palerme, vêtus d’un habit de moine. La nuit, cependant, ces hommes se déplaçaient le visage couvert d’une cagoule noire. L’une des sources les plus fiables, grâce à laquelle nous en savons maintenant plus sur les Beati Paoli, se trouve dans les écrits du marquis de Villabianca, qui a enregistré les contes de la tradition orale, qui lui ont été transmis dans son enfance, dans son ‘Opuscoli Palermitani ‘.
Les trois Beati Paoli
Le marquis a été le premier à nommer au moins trois supposés Beati Paoli et à situer historiquement le travail de la secte entre le début du XVIIe et la fin du XVIIIe siècle. Villabianca la décrit comme la secte des méchants, dispensant une justice sommaire au détriment des puissants, qui légitimaient les crimes et les tortures atroces contre ces derniers pour protéger le bien public.
Tout ce que l’on sait du premier homme, Giuseppe Amatore, c’est qu’il était carabinier, connu sous le nom de « u Russu », et qu’il fut pendu à Palerme le 17 décembre 1704, à l’ âge de 27 ans. Le deuxième homme mystérieux, Girolamo Ammirata , était comptable de profession et fut pendu à l’étage Carmine en 1723 pour avoir tué un homme d’un coup de fusil de chasse.
Villabianca dit qu’enfant, il a eu l’occasion de rencontrer le troisième homme de la secte. Il était un célèbre conducteur de calèches à Palerme, Vito Vituzzu. Cet homme échappa à la mort et, une fois la secte dissoute, devint le sacristain de l’église de San Matteo al Cassaro.
Les endroits cachés du Beati Paoli
Selon le marquis de Villabianca, les Beati Paoli se réunissaient dans les ruelles souterraines de la ville après minuit, à la lueur des bougies et encapuchonnés de noir. Ce lieu de rencontre était un tribunal où les membres de la secte décidaient de la vie ou de la mort de leurs rivaux. Le réseau de rues souterraines et de grottes où se rencontraient les Beati Paoli appartenait à une ancienne nécropole punique, supposée être située sous le marché de Capo à Palerme.
Ce réseau de tunnels était situé entre l’église de Santa Maria di Gesù (connue sous le nom d’église de Santa Maruzza dei Canceddi ) et la grotte de Vicolo degli Orfani. Santa Maruzza, située sur l’actuelle Piazza dei Beati Paoli, possède une crypte souterraine qui aurait été une entrée alternative à la cour de la secte. A l’intérieur de la crypte, un passage secret menait au tribunal. L’ entrée d’origine provenait du Palazzo Baldi-Blandano, aujourd’hui situé dans la Via Beati Paoli, où une plaque jaune sur le mur indique “Ancien siège de Beati Paoli”. Aujourd’hui,le lieu de rencontre présumé est accessible par une petite porte qui s’ouvre sur Vicolo degli Orfani, une petite rue derrière l’église.
Beati Paoli et Mafia : légende ou réalité ?
Les objectifs et le fonctionnement de la secte ont conduit à la théorie d’ un lien entre la mafia et les Beati Paoli au début des années 1900. En particulier, lorsque le lieutenant de police new-yorkais Giuseppe Petrosino, ennemi de la criminalité italienne transplanté aux États-Unis, est assassiné sur la Piazza Marina de Palerme le 12 mars 1909, l’enquête révèle que la mafia, faisant sien le mythe des Beati Paoli , avait commencé à tenir des réunions secrètes dans le même sous- sol que la secte.
Soixante-dix ans plus tard, Tommaso Buscetta, un chef de la mafia bien connu, a déclaré : “La mafia […] vient du passé. Avant il y avait le Beati Paoli […] : nous avons le même serment, les mêmes devoirs” . Totuccio Contorno, un autre patron, s’appelait “Coriolano della Floresta”, comme le protagoniste du roman bien connu de Luigi Natoli “ I Beati Paoli”. En fait, cependant, selon les historiens, le lien entre les deux phénomènes n’a jamais été prouvé. En fait, le savant de Palerme Rosario La Duca affirme :“La mafia a une origine agraire liée à la désintégration de la structure féodale de l’île, survenue au début du XIXe siècle lorsque la secte des Beati Paoli avait disparu depuis longtemps”.
Le mystère non résolu du Beati Paoli
Alors, les Beati Paoli ont-ils vraiment existé ou sont-ils le fruit de légendes qui se sont perdues dans le temps ? A ce jour, nous n’avons pas de réponse définitive car aucune source fiable n’atteste de l’existence de la secte. Cependant, étant donné la notoriété de la confrérie et la documentation existante sur le sujet, nous ne pouvons pas exclure la possibilité qu’il y ait une part de vérité derrière les récits de son existence.
Outre le marquis de Villabianca, le célèbre écrivain Luigi Natoli a également rendu compte de la secte en 1909 dans son roman feuilleton “I Beati Paoli”. L’histoire a été publiée dans le Giornale di Sicilia en 239 épisodes et est devenue un héritage commun des Siciliens, pauvres et bourgeois. Particulièrement pour les habitants du Capo , où l’on pense que la secte s’est rassemblée, le roman est devenu presque un texte sacré, lu par toutes les familles. Selon l’historien De Luca, “En Sicile, I Beati Paoli est encore le seul livre que beaucoup de gens ordinaires ont lu au cours de leur vie”.
Légende ou réalité, la Beati Paoli est aussi entrée dans le langage commun. Souvent à Palerme et dans les environs, le dicton ‘pari nu Biatu Paulu’, c’est-à-dire : « tu ressembles à un Beato Paolo », est utilisé pour dire qu’une personne n’est bonne qu’en apparence mais dangereuse en fait !
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