Une piscine bordée de cocotiers, près du bar, dans un club de vacances. Sur le plongeoir miroitant sous le soleil, une blonde adolescente en maillot rose regarde l’eau trois mètres plus bas, avec appréhension. Une nouvelle fois, elle prend son élan et saute dans le grand bain, les yeux fermés, toute droite, en se pinçant le nez, puis ressort ruisselante par l’escalier, pour recommencer. Comme ses camarades qui sans cesse rebondissent sur la planche et « piquent une tête » en un joyeux et continuel ballet aquatique, la jeune nageuse voudrait bien savoir aussi plonger du tremplin.
Obstinée, appliquée, patiente, elle a décidé cet après-midi d’apprendre seule. « Je ne suis pas plus maladroite qu’une autre, je vais réussir » lit-on sur son visage déterminé. Au fil de ses sauts, elle s’assouplit, sa peur se dissipe visiblement. Maintenant, elle plie les genoux et bascule dans l’eau les bras en avant, les mains jointes…au prix de quelques réceptions claquantes sur le ventre et de grandes éclaboussures qui, bien entendu, font tordre de rire sa bande moqueuse autour du bassin ! Qu’importe. Concentrée, apparemment indifférente aux regards, sourde aux quolibets, elle s’enhardit, affine son coup de pied en prenant bien appui sur le bord de la planche pour se lancer, courbe son corps et, la tête en bas, les bras bien profilés et les jambes serrées, s’efforce de mieux pénétrer l’onde turquoise.
Il lui faudra plus de deux heures, de multiples essais encore, pour réussir un plongeon acceptable, puis un autre meilleur, un troisième enfin quasi parfait, tel un gracieux et luisant dauphin, sous les applaudissements des copains. Quelle joie dans ses yeux, après cette victoire sur elle-même !
Je me souviens de cette scène estivale, dont, il y a quelques années, allongé sur ma chaise longue de « vacancier », je fus le spectateur ravi et fier. A la fois parce que la naïade si volontaire m’avait donné un bel exemple de persévérance et aussi, je me permets de le dire, parce que c’était ma fille !
Volonté, courage, discipline, désir de réussite, nombre de ces vertus définissent ensemble les composants de la confiance en soi. Mais aussi caractérisent, et de fait, « activent » l’être humain, parmi ses semblables au cours de quatre stades successifs : l’observation, la comparaison, l’imitation et la répétition ! C’est leur lent exercice qui lui permet, généralement, de trouver et prendre sa place dans la société.
Le regard de l’autre
Au vrai, notre condition d’animal social est pour le moins paradoxale. Par nature, nous désirons être indépendants mais, par nécessité nous sommes dépendants. Comme individu, chacun de nous éprouve la nécessité de se différencier, d’être autonome, mais en même temps notre instinct grégaire nous attire, nous conduit vers « l’autre » dont nous avons besoin pour vivre. Son regard, son attention, mieux sa considération, en plus de sa solidarité, nous importent au plus haut point, quoi qu’on en pense. Nous « apprenons de lui » parce qu’il est tout à la fois :
- Le miroir qui nous renvoie notre image, et en quelque sorte, nous permet de constater notre existence.
- Le censeur, indispensable témoin, qui évalue nos paroles et nos actions, donc nous gratifie ou nous blâme.
- Le concurrent qui peut certes nous supplanter, mais dont la rivalité – en tant que modèle – nous est utile pour « prendre notre mesure ».
- Le partenaire qui nous apporte son concours dans toute réalisation et contribue à nous donner notre sentiment d’appartenance au groupe.
De la sorte, n’est-il pas logique qu’ainsi exposé, en clair au jugement, nous puissions vivre notre relation à autrui tel un rapport de forces ? Et éprouver dans ce cas – en créant un enjeu – doute de soi et crainte de l’autre ?
L’autodépréciation : Ce nécessaire « regard de l’autre » que nous souhaitons, autant que nous le redoutons, est à même de nous révéler des faiblesses réelles mais aussi imaginaires. Lorsque nous pensons que notre semblable lit en nous comme dans un livre, et donc nous juge sur le champ, nous croyons qu’il attend de nous la perfection. Et nous nous sentons alors bien démunis, incapables de le satisfaire ! Ce mécanisme dévalorisant, créé par nous de toutes pièces, est évidemment générateur de gêne, de manque d’assurance et de confiance en soi.
La surestimation d’autrui : En plus de cette faculté de nous déshabiller du regard, nous prêtons souvent à l’autre des pouvoirs et des intentions – bien entendu mauvaises – qu’il n’a pas. De cette façon, avec la conviction d’être instantanément « deviné » et dévalorisé, nous le ressentons comme une menace. Pour peu que nous habite quelque timidité constitutionnelle ou acquise, nous montrons à notre interlocuteur, soumission et infériorité, attitudes en l’occurrence inopportunes. Méfions-nous donc de notre trompeuse imagination, cette « folle du logis », telle que la dénommait les penseurs antiques.
Dites-moi que vous m’aimez…
Nous sommes des êtres de soifs. Parmi tous nos besoins, nous éprouvons impérativement celui d’être aimé, reconnu par l’autre, de diverses façons. Nous dépensons ainsi une énergie considérable tout au long de notre vie, pour recevoir la tendresse de nos parents, l’amour de nos frères et sœurs, de notre conjoint, de nos enfants, l’attention de nos éducateurs, la considération de nos employeurs, la cordialité de nos amis. En somme, la promesse d’une affection inconditionnelle ! Nous voulons, avec raison, être appréciés pour ce que nous faisons, mais encore pour ce que nous sommes…et nous ne sommes pas toujours récompensés !
Cette quête de reconnaissance, aussi légitime et compréhensible soit-elle, nous entraîne souvent à chercher sans cesse à faire plaisir, parfois même à flatter l’autre outre mesure, pour être gratifié en retour. Au vrai, nous craignions de perdre son affection. Qu’il ne semble plus nous manifester d’intérêt, et nous voilà déstabilisés, frustrés, inquiets, coupables même. Pourquoi ne me regarde-t-il plus ? Quelle faute ai-je commise ? Comment me faire aimer de nouveau ?
Prendre conscience de cette dépendance au long cours, c’est déjà commencer à s’en libérer ! Et moins solliciter le « regard de l’autre », c’est renforcer sa propre autonomie !
D’où viens-je ?
L’homme descend du singe et le singe descend de l’arbre, aimions-nous répéter au temps de nos culottes courtes, ravis de nos premiers jeux de mots. Cette plaisanterie n’est précisément pas si « bête » en soi. Les hominidés ne grimpaient-ils aux arbres, en circulant de branches en branches, il y a trois millions d’années ?
D’australopithèques en préhumains, d’Homos Erectus en Néandertal puis en Homo Sapiens, notre lente évolution nous a conduits vers 40 000 ans, à un homme peu différent de celui d’aujourd’hui, l’homme de Cro-Magnon. Entre autres rites, nous lui devons l’enterrement des morts et comme le souligne le paléontologue Yves Coppens, « la prise de conscience de chaque être est unique et ne peut être remplacé : la disparition d’un être est un drame sans retour ». On le voit : cette notion de « place de l’individu » dans le groupe est donc très ancienne !
Ces bons sentiments n’empêchent pas sieur Cro-Magnon de montrer à son prédécesseur Néandertal une disposition belliqueuse. S’installent alors la peur de l’autre et le doute de soi, les notions de rivalité et de défense du territoire. A l’âge de fer, deux mille ans avant notre ère, se confirment batailles et guerres entre les hommes. Et cet affrontement devenu Sapiens contre Sapiens n’a jamais cessé depuis. L’Homo Modernus est-il vraiment passé de l’animalité à l’humanité ? L’actuel conflit en Europe permet beaucoup d’en douter !
Si, aux temps préhistoriques, la nature se chargeait de former l’Homme, de nos jours, c’est la socio-culture qui le façonne dès l’enfance. Les institutions familiale et scolaire sont évidemment les deux premières à même de donner au petit Sapiens un viatique pour partir à la découverte du monde. De leur côté les outils médiatiques apportent leur complémentarité, quand ils ne se posent pas en concurrents directs de l’enseignement !
La famille
Dans l’idéal, le cocon familial est décrit comme un véritable espace d’amour, d’échanges, où chacun des membres du « clan » (père, mère, enfants) vit en confiance – a sa place et son rôle – se sent protégé et vient se ressourcer, après ses contacts extérieurs.
En réalité, chaque famille obéit à un mode de fonctionnement qu’elle construit, avec des règles spécifiques. Elle peut ainsi constituer cette douillette cellule de base, chaleureuse, aimante et sécurisante : il en existe bien entendu des millions sur la planète. Mais elle peut être également, ne nous le cachons pas, un lieu de difficultés par définitions mal vécues, à type de frustrations et de conflits. Nous en sommes environnés.
Sans vouloir établir ici une typologie familiale, ou estimer un système meilleur ou moins bon qu’un autre, il est clair que l’on ne communique pas de la même manière dans une famille nombreuse, restreinte ou monoparentale. Il est sûr également que les usages sont différents dans une famille « ouverte » ou « fermée » et certain que les parents dits « surprotecteurs », « rigoristes » ou « permissifs » ont une optique tout à fait personnelle sur l’éducation de leur progéniture. Et que celle-ci – selon l’amour qui y circule ou non – s’y sent « intégrée », « rejetée » voire « abandonnée », au sens clinique du terme !
Quant à la fratrie – avec ses statuts éventuels qui s’imposent, de « frère aîné », « cadet », de « grande sœur » ou de « petit dernier » -synonyme de « chouchou » – avec ses joies intenses mais aussi ses inévitables drames que représentent les enjeux, intrigues, jalousies et rancœurs – elle constitue le creuset même, soit de la sérénité permanente, soit de névroses blessantes à vie. L’ambiance est certes bien différente dans les familles unies, égalitaires, illuminées par la joie partagée et celles assombries par la discorde, la violence ou l’alcool. « Quand les parents boivent, les enfants trinquent » dit un cynique proverbe. A l’évidence, alors que le bonheur signifie rapprochement, en l’occurrence le danger dicte la fuite. Tout le contraire de notre propos centré sur la place individuelle dans le cercle familial ! Mais qui montre – sans généraliser les écarts possibles – ce qui constitue son ciment : la responsabilité de chacun de ses membres.
L’école
Chuuuut ! Cette sifflante et impérative injonction au silence est la première d’une longue série que, généralement, l’enfant reçoit en France pendant sa scolarité. Alors qu’aux Etats-Unis, et dans beaucoup de pays anglo-saxons l’expression verbale est favorisée dès le plus jeune âge – et l’aisance individuelle avec – notre pays, très marqué par une longue civilisation de l’écrit (Le droit romain au moins jusqu’à la fin du 18ème siècle), fait encore largement peiner ses écoliers sur leurs cahiers, au détriment de la parole et de la gestuelle. Par ailleurs, l’irruption de la récente « écriture inclusive » – soucieuse d’égalité entre les genres féminin et masculin – ne facilite ni l’orthographe ni la prononciation des mots. Voire provoquerait des désordres psychologiques individuels en « dégenrant » le vocabulaire ! Résultat, au-delà même de ces perturbations éventuelles : Nombre d’étudiants produisent des écrits constellés de fautes et sont souvent terrorisés par les épreuves orales des examens !
Le cadre professionnel
La récente et durable épidémie de Covid 19 a modifié la trame du tissu social ! Le schéma classique des « 35 heures » de travail effectués en entreprise est désormais concurrencé par une autre forme d’activité : le télétravail. Il désigne l’activité qui, au lieu d’être exécutée dans les locaux d’un employeur, est effectuée par un salarié à l’extérieur, généralement à son domicile. Pour l’effectuer, celui-ci utilise les technologies de l’information et de la communication. Autrement dit un ordinateur personnel.
Ces deux dernières années, caractérisées par le confinement, ont changé les habitudes de vie de nombreux collaborateurs d’entreprises. Le travail à distance, tout en supprimant le temps et les inconvénients du transport, aller et retour – ainsi que les dépenses afférentes – leur a aussi évité la fatigue et redonné du temps personnel. Et du même coup, terminé le phénomène « métro-boulot-dodo » : sans pression hiérarchique, hors de ce climat d’urgence souvent propre « aux grosses boîtes » et facteur de stress, ce job « nouvelle formule » leur a offert une nouvelle liberté, traduisible en qualité de vie. Notamment pour qui peut quitter la grande ville. Loin du béton, près de la verdure !
Certes, obtenir et vivre son indépendance, c’est perdre du lien social, s’éloigner des collègues. Finis les pause-café, les joyeux déjeuners au restaurant collectif et les comités d’entreprise souvent festifs. Mais en restant chez soi, qui plus est en campagne, c’est gagner une heure de sommeil quotidienne et réentendre les oiseaux chanter ! C’est, selon les jours et l’envie, marcher dans la forêt voisine et cueillir une brassée de marguerites ou un panier de champignons. C’est tout simplement renouer avec la nature, qu’on avait plus ou moins perdu de vue. Avant de s’asseoir et d’ouvrir son ordinateur pour y dessiner le graphique des ventes hebdomadaires ou la maquette d’une enseigne commerciale. A envoyer par mail au siège de la compagnie en un clic de souris. Et en silence. Une autre vie !
Le télétravail
Le télétravail, une pratique passagère ou une tendance de fond ? Les milliers de collaborateurs qui choisissent cette nouvelle façon d’exercer un métier dans l’Hexagone tendraient à prouver qu’il s’agit, en tant que mouvement de masse, d’un fait social durable, donc à prendre en compte. Notamment par les administrations et entreprises, contraintes de se réorganiser en conséquence (replanification des tâches).
Au vrai, ne s’agit-il pas avec ce mouvement …de la découverte – ou redécouverte – de l’artisanat ? Qu’il soit bijoutier, horloger, cordonnier, serrurier, opticien, relieur, boulanger, qu’elle soit fleuriste, couturière, céramiste, graphiste, décoratrice, vannière, l’artisan et l’artisane, penchés sur un établi, une machine ou un pétrin, ce créateur, cette créatrice, « à son compte » traversent, – le plus souvent seuls – le temps et les modes. Certes, pour le collaborateur d’entreprise, passer soudain du travail en groupe à l’activité solitaire devant un ordinateur, c’est se retrouver pareillement face à soi-même. C’est se regarder dans les yeux. L’écran devient miroir. Si des milliers de collaborateurs (trices) en font le choix, c’est bien qu’ils, qu’elles y trouvent mieux qu’un avantage, un intérêt. Pas seulement financier.
Reste à savoir si démissionner pour monter sa « start-up » – jusqu’à bouleverser actuellement le marché de l’emploi – ne va pas aboutir à terme à un effet rebond du chômage. Car devenir fournisseur d’un produit, quel qu’il soit, suppose une clientèle à créer et à suivre. Que l’on travaille en entreprenariat ou en « free-lance ». L’indépendance n’échappe pas à la dépendance !
En tout cas, cette « grande démission » des travailleurs sans bureau remet en question la « valeur travail » et son sens même. La crise sanitaire, en maintenant les gens à domicile – donc en « déplaçant » les activités – leur a permis de constater le nécessaire équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Même ramené à 35 heures, le temps de travail auquel s’ajoute celui du transport, raccourcit le temps libre. Que veut dire « donner du sens » au travail ? Il ne s’agit pas uniquement d’augmenter les rémunérations mais encore de procurer un « bien-être » au salarié. Sa bonne santé mentale, son équilibre professionnel passe par :
- Le besoin d’être respecté et compris, reconnu et estimé, l’envie de réaliser et de me réaliser (je ne suis pas un numéro mais une personne)
- Le sentiment d’être utile et d’exprimer mon potentiel (participation au fonctionnement de l’entreprise) et de faire partie d’une équipe (sentiment d’appartenance)
- La fierté de travailler pour une société de bonne réputation (image de marque)
- La circulation de l’information interne (savoir pour quoi et pour qui je travaille) complète et en temps réel (pas de culture du secret)
- Le constat d’être écouté mieux qu’entendu (suggestions prises en compte, association aux décisions)
- Les entretiens réguliers avec la hiérarchie (évaluation des résultats, connaissance de la concurrence, moyens à disposition)
- La réception de compliments (pour les réussites) et même de réprimandes (si elles sont justifiées !)
- La possibilité de progression (formations, créations de postes, nouveaux produits)
Alors et seulement, avec la manifestation de ces signes de reconnaissance, en soi véritables « transfusions de sens », l’entreprise peut espérer mieux « retenir les talents » et « garder en place » les collaborateurs (trices) qui en sont porteurs. A noter que le travail à distance peut être valorisé, sinon de la même façon, avec une stratégie adaptée (téléphone, mails, visio-conférence)
Et la franc-maçonnerie dans tout ça ?
Il est évident que cette véritable « déferlante » du télétravail atteint aussi les rives de « l’associatif » et notamment de la franc-maçonnerie par le biais de ses acteurs. Se présentent maintenant en loge, entre autres, des « pratiquants » de cette méthode dans le monde profane. Comme tout citoyen, toute citoyenne, le frère, la sœur, en manque de contacts, et aussi en quête de spiritualité, vient frapper à la porte du Temple avec ses dons et apports, ses besoins et désirs. Mis en verbes, ceux-ci tiennent sur les cinq doigts de la main : Donner, se donner des satisfactions, recevoir, demander, refuser.
Isolé (e) à l’extérieur par définition, c’est avec un ou plusieurs de ces besoins (notamment besoin d’appartenance, d’estime et de réalisation de soi) que l’initié(e) s’assoie précisément à sa place et à son office. En tant que membre de la loge, la façon dont il, elle, se présente, et se révèle (aptitude relationnelle), la qualité de ses contacts, le climat crée, ses besoins seront comblés ou non. Et il, elle, trouvera sa place parmi ses homologues. Certes, même si le groupe et la ritualisation sécurisent, il est bon de rappeler que la loge n’est ni un site de rencontres sentimentales, ni un lieu de thérapie. Elle est avant tout un « foyer de sens », et partant, un « centre d’apprentissages ». De soi, des autres, des disciplines humaines. De la vie. En cela, chacun, chacune peut y trouver, avec sa place, le sens recherché. Et partant, joie et sérénité.
Prenez place, Mes Frères, mes Sœurs. Cette phrase, prononcée par le Vénérable Maître, animateur de la loge, ne relève pas du hasard. A la fois invitation et injonction, elle appelle les membres de la loge à s’asseoir, mais pas de façon ordinaire. Tout y étant symbole, il s’agit pour chacun d’eux, au-delà du geste physique, de « prendre », donc d’occuper aussi leur place spirituelle. C’est à dire, individuellement, de descendre en soi pour permettre l’expression de l’Homme intérieur. Transposée en questionnement, cette « manœuvre intime » revient à passer mentalement, sur place, du classique « Qui Suis-je ? » au « Que Suis-je ? ». Etre, exister ainsi pleinement dans cet espace symbolique, c’est répondre au « Connais-toi toi-même » socratien par le « Sois qui tu es ». L’assertivité présente consistant à s’affirmer sans crainte mais avec humilité. Ce qui pourrait s’entendre ici comme un oxymore relève en fait de cet art qu’est – lorsque la lumière fait place à la lucidité – la maîtrise de soi.
Etre a sa place et à son office n’est pas qu’une formule rituelle. Elle signifie aussi l’ajout de l’équité à l’égalité, car en loge, il n’y a pas de hiérarchies, mais que des fonctions. Les « postes » ne sont jamais honorifiques, quoi qu’on en pense. Pour ce faire, dans la loge qui est une représentation de l’univers, chaque chose est à sa place, précisément pour créer un espace « réfléchi », donc organisé, cohérent, harmonieux. Ainsi, le Vénérable Maître siège à l’Orient et fait face à l’assemblée, les Officiers exercent à leurs places « opérationnelles » sur les côtés, les Apprentis occupent le deuxième rang de la « colonne du Nord », les Compagnons, le deuxième rang de la Colonne du Midi et les Maîtres sont répartis de manière équilibrée.
Dans ce cadre fonctionnel, ce n’est pas un hasard si les bancs de la loge sont généralement disposés en deux blocs vis -à -vis. Chacun, chacune, peut ainsi, de sa place, se voir et se sentir exister dans le « regard de l’autre » qui lui fait face. Si le franc-maçon, la franc-maçonne, est invité(e) à la réflexion solitaire, il, elle, n’est ainsi jamais livré (e) à la solitude ! Il, elle est toujours en compagnie. Et accompagné (e).
A dire vrai, il y a très peu de lieux de réunions aujourd’hui où un individu est à même, à la fois, de pouvoir exprimer sa pensée, de prendre la parole, d’être entendu et écouté sans être interrompu. Sans être conspué, sans être critiqué, sans être désavoué. Les débats et interviews télévisés sont souvent l’exemple de ces séquences « passionnées » de communication « malmenée ».
La loge maçonnique, elle, fait partie de ces espaces privilégiés où – le respect de la personne primant – celle-ci peut en toute liberté et bien sûr en respectant les autres elle-même, développer un argumentaire, profitable à tous et toutes. Et ce, dans un silence remarquable, en l’occurrence signe d’attention et de bienveillance des auditeurs. Ce climat exceptionnel bénéficie aux locuteurs en deux occasions principales : lorsque, conférencier (e) d’un soir, un frère ou une sœur présente une « planche » et quand « la parole circule » pour faire place aux commentaires individuels corrects après l’audition dudit exposé. Une parfaite démonstration de l’expression et l’échange verbal ordonnés, donc possibles entre les Hommes, sans qu’ils soient forcément du même avis.
Trouver notre place parmi nos semblables, y être accepté et reconnu, utile et satisfait, c’est notre souhait. Nous y réaliser, c’est notre bonheur ! Cette sensation d’accomplissement, de plénitude, de proximité avec l’autre, cet autre Moi, nous l’éprouvons, avant la fermeture des travaux, lors de ce moment si particulier et chaleureux qu’est la chaîne d’union, en soi un cercle d’Amour.
Serrés les uns contre les autres, les pieds en équerre, nos mains jointes, nous sentons passer une énergie bienfaisante alors que résonnent les paroles d’espérance, prononcées par le Vénérable Maître. Chacun, chacune, se recueille dans son temple intérieur. Avant de repartir vers le monde profane, nous sommes invités à nous élever vers notre Idéal. Il faut toujours avoir un rêve d’avance.