sam 23 novembre 2024 - 10:11

Eloge de la brutalité

Ce titre a dû en faire sursauter certains.
Effectivement, on imagine que le franc-maçon n’est que sérénité, douceur, calme et je n’ose ajouter volupté. En même temps, nombres de maçons ou de profanes semblent déplorer que la franc-maçonnerie ne soit pas audible dans les débats politiques ou sociétaux et qu’elle ne propose plus rien. Ils considèrent qu’elle faillit à une de ses missions fondatrices : participer à l’amélioration matérielle, morale et spirituelle de l’humanité.

Le reproche vient rarement des obédiences dites « symbolistes » qui, comme la Grande Loge de France, considèrent que l’obédience en tant que telle n’a pas à avoir d’opinion sur les affaires du monde et qu’elle doit laisser à chaque maçon individuellement, fort de la connaissance et de l’amour acquis en loge, le soin de s’engager dans les combats profanes.

Pourquoi la franc-maçonnerie sociétale semble-t-elle ne plus avoir d’impact sur l’évolution du monde ?

Je vais tenter une explication qui tient justement de notre répugnance à la brutalité ou à tout ce qui s’y rapporte. Tout ce qui concourt au déni, à la cécité de ce qui dérange et qui va à l’encontre de nos préjugés ou de nos penchants idéologiques doit être privilégié, fut-ce par un pieux silence.

Et d’abord soulignons une confusion fréquente sur le terme de tolérance. La tolérance maçonnique concerne principalement l’expression des idées. La liberté de penser et la liberté d’expression font partie des fondamentaux de la franc-maçonnerie. Et c’est parce que nous savons qu’il n’y a pas de vérité ultime qui ne puisse être interrogée que nous avons besoin de tolérance dans nos débats en loge. Et si nous appliquons ce principe dans le monde profane, c’est une juste cohérence.

Personnellement, quand je reçois la vérité de l’autre, et qu’elle est très différente de la mienne, sans abandonner mes convictions, j’ai toujours tendance à me demander s’il n’y a pas une part de vérité dans l’expression de l’autre.

Sans doute le fruit d’une réflexion sur le pavé mosaïque, ou sur ma répugnance à établir des frontières définitives entre le Vrai et le Faux ou entre le Bien et le Mal. Et pourtant je n’aime pas le relativisme !

Après avoir fait l’éloge de la modération dans l’expression de nos vérités, il faut aussi reconnaitre que c’est une valeur qui n’est plus beaucoup rependue dans le monde profane.

Pour se faire entendre et pour que ses revendications soient prises en compte par les instances décisionnelles, il faut malheureusement élever le ton. C’est la loi de l’action sur le monde médiatique qui est souvent le seul relai des convictions et des espérances des citoyens. Les syndicats ont, avec la grève, l’expérience du rapport de force dans l’action.
L’exemple des gilets jaunes est aussi un bon exemple de la volonté d’instaurer une prise de conscience du pays sur les problèmes des travailleurs pauvres, de la France périphérique et de tous ceux dont les difficultés existentielles les mettent à la merci d’une simple augmentation de taxe sur les carburants.

Une autre cause de cette difficulté à affirmer haut et fort nos convictions dans le monde profane tient à une certaine idée de la sérénité. Cette sérénité résulte, consciemment ou non, de l’influence des sagesses orientales dont les finalités sont souvent de ne pas s’impliquer dans les combats du monde.

Le bouddhisme nous invite à nous détacher de nos souffrances terrestres par la méditation et la pratique d’une sagesse nous permettant d’échapper à l’attachement et au désir.                      
Le taoïsme est une doctrine du non-agir. C’est une sagesse qui nous invite à nous libérer de nos passions et à trouver sa voie en faisant un vide protecteur.                                        

Le confucianisme propose plus une philosophie et une morale qui associe le Bien à la voie du juste milieu.

Bref toutes ces influences nous invitent à la modération, à la retenue, à l’expression feutrée et à une humilité intérieure et extérieure qui correspond bien à la sensibilité maçonnique.

Malheureusement, ces attitudes, qui correspondent à des convictions louables, ne sont pas adaptées à l’action profane ou à l’influence des décideurs politiques.

En logique formelle, on affirme ne pas pouvoir concilier une chose et son contraire. Il en est de même entre l’efficacité du combat politique et l’expression feutrée des convictions. Toutes les ressources de la rhétorique ne parviendront pas à rendre audible une pensée exprimée avec retenue et modération. Cela convient parfaitement aux échanges en loge ou, par définition nous nous écoutons mutuellement avec bienveillance, mais cela n’a pas cours dans le chaos politico-médiatique de notre monde moderne. Il n’y a que deux solutions pour redevenir audible : changer le monde profane ou changer notre façon de communiquer.

Il me semble qu’il sera plus facile de commencer par changer notre façon de communiquer que de commencer par changer le monde. C’est par la première solution que nous parviendrons peut-être à la seconde qui reste l’objectif initial : participer à l’amélioration matérielle, morale et spirituelle de l’humanité.

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Jean-Robert Daumas
Jean-Robert Daumas
Dirigeant d'entreprise dans le monde profane, Jean-Robert DAUMAS est franc-maçon de la Grande Loge de France depuis près de 40 ans. Au sein de cette obédience, il a été président de la Commission d'éthique et est actuellement Président de l'UVRE ( Union des Vénérables Maître de Rite Ecossais ) Il assure également les fonctions de Secrétaire du Collège maçonnique et de Président de l'Université maçonnique.

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