ven 29 mars 2024 - 11:03

Le mot du mois : Parvis et Paradis

Le parvis. Les enclos paroissiaux bretons offrent de nombreux exemples de cette place située devant l’église, à l’origine protégée par des murs plus ou moins élevés, qui interdisent l’accès aux quadrupèdes qui iraient volontiers paître l’herbe tendre et les jolies fleurs qui ornent les tombes qui y sont parsemées. On est en terre sanctifiée, en sécurité sur ce parvis où les statues, sur chacun des côtés de la façade du sanctuaire roman ou gothique, racontent l’histoire sainte pour l’édification de ceux qui s’en approchent dans la révérence qui sied au pêcheur. Le but est de l’impressionner par la double représentation de la béatitude extatique et des supplices infernaux.

Qui se douterait, à ce titre, de l’origine du mot Olibrius ? Ce gouverneur de Gaule romaine du Ve siècle, bravache, incapable et fanfaron, se fit le tourmenteur de Sainte Marguerite, – ou Sainte Reine ?-, et faute de parvenir à la contraindre à abjurer sa foi, il la fit décapiter. C’est ainsi qu’on le représente sur le parvis des cathédrales.

L’église est un jardin clos, pour saints et martyrs, où se côtoient la vie et la mort, comme l’atteste la présence des tombes et des ossuaires.

Un jardin, tel le pairi-daeza, mot iranien dont est issu le *paradeisos grec, le paradis. Dans la tradition persane, on y trouve initialement des animaux sauvages, avant qu’il ne devienne un jardin plus pacifique.

La tradition chrétienne médiévale oriente cette notion vers le Jardin d’Eden (Genèse, 2,4 et 3,24).Quitte à intégrer dans une visée eschatologique (qui définit la fin des temps), quelque peu abusive, le roi macédonien Alexandre le Grand (356-323 av. J.C.)… Ainsi les Voyages au Paradis racontent-ils comment, après sa conquête de l’Inde, il s’embarque sur le Gange avec 500 hommes et atteint, un mois plus tard, une cité emmurée où séjournent les âmes des Justes jusqu’au Jugement dernier…!

La grande question des cartographes et des géographes chrétiens a toujours été de localiser cet Eden. Le Paradis terrestre y est figuré avec Adam et Eve et le serpent entourés d’une haute muraille ou de montagnes, un jardin des délices ceint d’un mur de feu qui s’élève jusqu’au ciel. Au centre de ce paradis, un Arbre de vie procure l’immortalité. Mais on ne saurait oublier que le désert, qui sépare ce jardin de l’homme, est rempli de bêtes sauvages et de serpents.

Le jardin des délices, Eden en hébreu, est placé par Dieu sur une hauteur, sur les bords de l’orbite lunaire, pour que le Paradis soit protégé des eaux du Déluge. Quatre fleuves “paradisiaques” y figurent sur les cartes chrétiennes les plus anciennes, vers 550, qui coulent sur une Terre évidemment plate, Indus, Nil, Tigre et Euphrate.

L’islam, n’échappant pas à la tradition, promet dans le paradis des fleuves de vins qui n’aigrissent pas et de lait qui ne caille pas. Et une profusion de vierges consenties, sinon consentantes.

Détail amusant, le paradis désigne aussi le « poulailler », dernier étage d’un théâtre, d’où s’échappent les apostrophes jubilatoires et gouailleuses du public peu fortuné ! Il n’est que de se régaler du film de Marcel Carné, Les Enfants du paradis.

Parvis de l’église, parvis du théâtre, le mot s’est inversé par rapport à la notion de paradis. On y est à la porte et non dans l’enceinte, dans l’impatience d’être admis au spectacle, profane ou sacré.

Parce que l’entrée du profane souillerait la sacralité de la nef, c’est sur le parvis des cathédrales, au Moyen Âge, qu’on représente annuellement les Mystères et les Passions, dans un décor de pierres sculptées, hiératiques et évocatrices. Sujet religieux mais théâtralisation humaine. Parvis pluriels que hantent aussi les mauvais compagnons, les impétrants, avant de franchir la barrière des colonnes du temple.

Ne nous privons pas, pour conclure, des préventions qu’a souvent suscitées la pratique un peu trouble du jardinage. Edifiants sont, à ce propos, les Conseils pratiques de jardinage pour les dames, d’une certaine Anglaise, Mrs Loudon, en 1841 :  une femme respectable peut jardiner toute seule, avec précautions et sans surveillance masculine, mais sans trop d’énergie, en utilisant des outils légers et surtout en ne restant jamais debout au-dessus d’un terrain humide, de peur que les émanations humides et malsaines ne remontent le long de ses jambes… (sic)

Décidément, Adam aurait mieux fait d’en prendre connaissance, avant de laisser Eve gambader, nue, à la merci du serpent…

Annick DROGOU

Le parvis, c’est le déjà là et le pas encore. C’est l’espace intermédiaire, un sas entre le profane et le sacré. Mais à la différence de la porte qui tourne sur ses gonds, porte « cardinale » qui nous fait passer subitement d’un espace à l’autre, le parvis suppose une démarche progressive, il est lui-même un espace qui s’étend et un temps qui se déroule pour le passage.

Traditionnellement, les parvis sont ces places ou cours devant un édifice sacré, parvis de cathédrale, parvis virtuel et symbolique d’avant la tenue maçonnique ou triple parvis du Temple de Jérusalem qui comptait le parvis des gentils, celui d’Israël et enfin le parvis des prêtres. Tout est affaire d’intervalle. Le parvis n’existe jamais tout seul. Bien qu’il s’agisse d’un espace ouvert, il a toujours besoin d’un adossement. Et ce n’est pas un lieu où on s’établit. Même si on peut s’y attarder, on finit toujours par le traverser et en ressortir.

Où commence le parvis ? On sait où il finit : dans l’espace sacré, mais faut-il fixer une limite à l’ouverture du parvis ? Il commence dès que nous imaginons l’espace par rapport au sacré. Faut-il et peut-on espérer l’extension de son domaine ? Tout est parvis à celui qui regarde le temple qu’il connaît déjà. Le parvis est alors un lieu d’accommodement comme on dit que nos yeux, passant subitement de la lumière à l’ombre, doivent accommoder.

S’il partage l’étymologie du paradis, le parvis n’est jamais un enclos. Il est associé à l’espace urbain, aux communs, quand bien même ce serait déjà la « Cité de Dieu ». Vive le parvis, ce lieu d’urbanité et de fraternité, place publique ouverte sur trois côtés, accessible à tous, espace de la rencontre qui invite au franchissement, invite seulement sans capturer, sans enfermer et nous place toujours devant l’essentiel, si on veut bien le reconnaître pour tel.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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