ven 22 novembre 2024 - 16:11

Francs-maçons : quelques anecdotes autour de Bruxelles

De notre confrère rtbf.be – Par Gérald Decoster

Dans « Retour aux sources », autour du documentaire « Franc-maçonnerie. L’obsession des Dictateurs », Élodie de Sélys vous propose une passionnante discussion sur la question avec l’historien Hervé Hasquin et le philosophe Arnaud de la Croix.

La franc-maçonnerie est un sujet qui captive encore et toujours un vaste public, entre mystères, ésotérisme, puissance et influence avérés… ou pas ? Pour ses adeptes, cette philosophie n’a rien de secrète, elle est discrète… Nombre de francs-maçons ne cachent pas leur appartenance à une Loge. C’est le cas d’Hervé Hasquin mais aussi de Jean van Win, auteur de l’ouvrage « Bruxelles maçonnique : faux mystères et vrais symboles »… Car la discrétion cultivée autour de la maçonnerie donne lieu à diverses interprétations de sites et monuments…

Au registre des pseudos – ou avérés – éléments maçonniques que recèle Bruxelles, la première place du podium revient à son parc. Conçu au cours du dernier tiers du XVIIIe siècle dans le grand plan de réhabilitation du site de l’ancien palais du Coudenberg détruit par l’incendie de 1731, nombre d’auteurs voient dans son plan la majeure partie des outils de la Loge : ciseau, compas, équerre, maillet, marteau, niveau, perpendiculaire, règle (ou levier) et truelle…

Jean van Win n’est pas seul à penser que l’arrière-plan maçonnique du parc de Bruxelles n’est que pure élucubration. L’auteur y voit l’usage probable de la Croix de Lorraine, ancienne version, avec ses deux traverses d’égale longueur. Selon lui, le tracé du parc serait purement urbanistique, ce qui est exact : l’espace vert a été pensé comme articulation principale du nouveau quartier, destiné à faciliter la circulation en dégageant des perspectives vers divers artères et bâtiments marquants existant ou à venir.

Extrait de " Description de la ville de Bruxelles enrichie de plan de la ville et de perspectives " – George Fricx, 1782. Académie Royale de Belgique.
Portique de la place Royale, vers le Sablon.

Il y a d’abord le futur palais des États de Brabant, l’actuel palais de la Nation, édifié en 1783. De l’autre côté, il y a la place Royale, qui finira par s’ouvrir sur la rue de la Régence en 1827 avant d’être prolongée en 1872 vers le palais de Justice de Poelaert. Autre axe en devenir, la rue Héraldique qui allait se dessiner entre les futurs hôtels Bender et Belgiojoso qui, plus tard, seront réunis pour constituer le palais royal de Guillaume Ier des Pays-Bas, notre futur palais royal… Enfin, le dernier axe s’ouvre sur le nouveau quartier à édifier en dehors des anciens remparts, via l’actuelle place du Trône…

Quant à l’actuel palais de la Nation, sièges de la Chambre et du Sénat, il recèle bel et bien quelques éléments de toute évidence maçonniques. Le fronton du palais a été sculpté par le franc-maçon Gilles-Lambert Godecharle. Voici sa clé de lecture : au centre, la Justice distribue les vertus avec l’aide de la Sagesse et avec celle de la Force, condamne les Vices, une image se retrouvant dans les anciens rituels maçonniques : « Que venez-vous faire en loge ? Je viens construire des temples à la vertu et creuser des cachots pour le vice ».

Corps central du Palais de la Nation, Bruxelles.

Corps central du Palais de la Nation, Bruxelles. monument.heritage.brussels-région de Bruxelles-Capitale/Inventaire du patrimoine architectural.

À gauche du corps central de l’édifice, le trophée sculpté à droite de l’entrée de la Présidence du Sénat est aussi parfaitement maçonnique. L’œil du Grand architecte de l’univers domine un compas, une équerre, la Bible et une colonne tronquée ; étrangement, on y découvre aussi le gourdin d’Hercule…

Via la place Royale, avant d’emprunter le Mont-des-Arts, le promeneur est dominé par la statue de Charles de Lorraine, gouverneur général des Pays-Bas autrichiens de 1741 à son décès en 1780. À côté se dresse ce qui demeure de son palais et sa chapelle où, la légende veut que des tenues maçonniques aient été organisées par le Gouverneur franc-maçon…

Jean van Win conteste formellement l’appartenance de Charles de Lorraine à la maçonnerie, pour la simple raison qu’il était Grand Maître de l’ordre Teutonique qui, dans ses statuts, interdisait à ses membres de faire partie d’aucun autre ordre !

Quant aux cérémonies maçonniques dans la chapelle du palais, ç’aurait été tout bonnement impossible car, le rite de l’époque impliquait dans ses trois premiers Grades, l’utilisation d’épées dégainées, inadmissible dans un lieu consacré. De plus, pourquoi utiliser la chapelle alors que le palais, ancien palais de Nassau, acquis en 1756, dont l’aile remplacée par un bâtiment au goût du jour comptait suffisamment de vastes salles aptes à accueillir des cérémonies importantes ?

La superbe Rotonde du premier étage du palais possède un riche pavement. Au centre, une rose compose un échantillonnage des marbres que proposait la Belgique du temps de Charles de Lorraine. Autour d’elle, un damier de marbre blanc et noir fait penser au Pavé mosaïque se trouvant dans toute loge maçonnique… Vrai ou faux ?

Palais de Charles de Lorraine, la Rotonde. Palais de Charles de Lorraine/KBR Brussels.

La superbe Rotonde du premier étage du palais possède un riche pavement. Au centre, une rose compose un échantillonnage des marbres que proposait la Belgique du temps de Charles de Lorraine. Autour d’elle, un damier de marbre blanc et noir fait penser au Pavé mosaïque se trouvant dans toute loge maçonnique… Vrai ou faux ?

Jean van Win rejette totalement cette idée. Le Pavé mosaïque d’une loge est toujours rectangulaire. Le pavement du palais de Lorraine est d’un type assez répandu au XVIIIe siècle et n’est, en aucun cas, à comparer avec un hypothétique Pavé de Loge. Pas plus d’ailleurs que celui identique du salon Italien ou Rotonde du château royal de Laeken, par ailleurs restauré de fond en comble à la suite de l’incendie du 1er janvier 1879…

Enfin, autre idée : le fronton du château de Laeken, sculpté par Godecharle, serait d’essence maçonnique. Pour Jean van Win, il s’agit d’une allégorie d’ordre mythologique exprimant le temps qui passe. Mais, pour certains, les trois Parques qui déroulent le fil de la vie illustreraient l’appartenance d’Albert de Saxe-Teschen, époux de la gouvernante générale des Pays-Bas autrichien, Marie-Christine d’Autriche, sœur de Joseph II à une Loge.

Corps central du château royal de Laeken, Bruxelles.

Corps central du château royal de Laeken, Bruxelles. monument.heritage.brussels-région de Bruxelles-Capitale/Inventaire du patrimoine architectural.

Certes, le duc de Saxe-Teschen faisait bien partie d’une loge de Dresde, « Zu den drei Schwerdtern », « Les Trois Épées ». Ceux qui expliquent le point de vue maçonnique du fronton confondent avec la loge « Zu den Drei Schwestern », « Les Trois Sœurs », en relation erronée avec les trois Parques… un simple D devenu S change d’évidence, bien des choses !

Il reste difficile de prouver bien des hypothèses faisant de tel monument ou de tel un lieu ou un symbole maçonnique. Ainsi, Joël Goffin, dans son ouvrage « Le Quartier Royal de Bruxelles, un chef-d’œuvre maçonnique » (Édition Samsa) propose une étude fouillée sur le parc de Bruxelles et le quartier qui l’environne… Bonne découverte !

Quelques propositions de lectures ?

” Hitler et la franc-maçonnerie “, par Arnaud de la croix, Tallandier, 2020.

« Un roi franc-maçon : Léopold Ier de Belgique », par Jean van Win, préface d’Arnaud de la Croix, Éditions Télélivre, 2015.

À visiter : le Musée Belge de la Franc-Maçonnerie, 73 rue de Laeken, 1000 Bruxelles.

A voir dans « Retour aux sources », samedi 10 septembre à 20h35 sur La Trois, le documentaire « Franc-maçonnerie. L’obsession des dictateurs », de Luigi Maria Perotti, en deux parties entrecoupées par l’entretien d’Élodie de Sélys avec Hervé Hasquin et Arnaud de la Croix.

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