ven 26 avril 2024 - 13:04

Ahiman Rezon

Les maçons Ancients se présentent au XVIIIe siècle, sous la forme d’un regroupement assez disparate de petites loges indépendantes les unes des autres et regroupées autour de ce que Patrick Négrier appelle le Rite du Mot de Maçon. Le regroupement de ces Loges d’«Antients» fut réalisé par six d’entre elles, indépendantes, sous l’égide de Laurence Dermott, artisan fourreur et intellectuel bourgeois d’origine irlandaise. La véritable appellation de cette assemblée fut, d’abord : La plus Ancienne et Honorable Fraternité des Maçons libres et acceptés, puis, Grande Loge des maçons libres et acceptés selon les anciennes Institutions.

Laurence Dermott précise dans une lettre aux membres de la confraternité (ajoutée à la 3ème édition de sa Constitution Ahiman Rezon), sur la différence qui existe entre l’ancienne et la moderne Maçonnerie en Angleterre : «les maçons de métier…furent formés en 1410 sous les nom et titre de Société des Francs-maçons, et William Hankstow second roi d’armes, leur accorda des armes en 1477. Les maçons modernes se sont arrogé ce titre ; mais, seule la Confrérie susdite a le droit de prétendre au nom de francs-maçons d’Angleterre. Jamais les anciens et acceptés maçons ont-ils prétendu à un autre titre ? Celui qu’ils ont adopté est le titre de Francs et acceptés maçons.»

La Constitution, écrite par Lawrence Dermott, est publiée pour la première fois en 1756. Elle est, pour les Ancients, le correspondant de ce que sont les Constitutions dites d’Anderson sont pour les Moderns. Elles sont dédicacées à William Comte de Blessington. Le titre complet de l’ouvrage de 1756 présente son contenu [à lire pour comprendre les Ancients] : Ahinam Rezon Ou Aide à un Frère montrant l’excellence du secret, et la Cause ou Motif premiers, de l’Institution de la Franc-maçonnerie, les principes de l’art, et le profit découlant de leur respect absolu,  quels genres d’hommes devraient être initiés à son mystère  et quelles sortes de maçons sont aptes à gouverner les loges,  leur Conduite à l’intérieur et à l’extérieur de la loge.  De même, les prières dites dans les loges juives et chrétiennes,  L’ancienne façon de constituer de nouvelles loges, et tous les devoirs, etc.  Avec les anciens et les nouveaux règlements,  La façon de choisir et d’installer le Grand-Maître et les Officiers, et d’autres détails utiles trop nombreux à citer ici.  À quoi il faut ajouter  la plus importante collection de chants maçonniques jamais publiée, et maints prologues et épiloques amusants. Et  Temple de Salomon, oratorio,  tel qu’il a été représenté au profit des francs-maçons.

Une deuxième édition fut publiée en 1764 avec ce titre : Ahiman Rezon : ou une aide pour tous ceux qui sont ou seraient des maçons libres et acceptés ; contenant la Quintessence de tout ce qui a été publié sur le sujet de la Franc-maçonnerie, avec de nombreux ajouts, ce qui rend cet ouvrage plus utile que tout autre livre de constitution existant actuellement. Par Lau. Dermott, secrétaire. Londres, 1764.

Une troisième édition a été publiée en 1778, avec le titre suivant : Ahiman Rezon : ou une aide à tous ceux qui sont ou seraient des maçons libres et acceptés (avec de nombreux ajouts). Par Lau. Dermott, DGM Imprimé pour James Jones, Grand Secrétaire ; et vendu par Peter Shatwell, sur le Strand. Londres, 1778.

Ahiman Rezon ( אֲחִימָן רְזוֹן) pourrait signifier, inspiré par Ligou, que pour comprendre l’Art Royal, Dermott a demandé son aide (en hébreu «aide-moi», Ezor (עזור), d’où le néologisme Rezon (רְזוֹן) à Ahiman (אֲחִימָן), un des gardiens de la Porte du [palais du] Roi cités dans la Bible (1Chroniques 9,17).

On trouve également cette hypothèse de Mackey qui a consacré plusieurs pages dans son Encyclopédie (à partir de la p.83/2132) sur les conjectures de la signification d’Ahiman Rezon pour retenir : «Ahiman Rezon» qui signifie en hébreux ahim=frères, manah=choisir, ratzon=loi, volonté, donc le titre signifierait : la volonté de Frères sélectionnés – la loi d’une classe ou d’une société d’hommes qui se sont choisis ou sélectionnés parmi le reste du monde comme Frères.

Cependant, à la lecture de ladite Constitution de 1756, Dermott rapporte qu’ayant eu l’intention d’écrire l’Histoire de la Franc-maçonnerie, il fit un rêve dans son sommeil où il rencontre quatre frères venus de la ville sainte de Jérusalem; Shallum, Ahiman, Akhub et Talmon (établis à la Porte du Roi, à l’Est. Ce sont là les portiers des camps des Lévites, versets 17 à 34) : je leur ai dit que j’écrivais une histoire de la maçonnerie, et j’ai demandé leur aide, etc. Une HISTOIRE de la Maçonnerie ! (dit Ahiman) depuis le Jour de la Dédicace du Saint Temple jusqu’à présent, je n’ai pas vu d’Histoire de la Maçonnerie, [xii] bien que certains aient prétendu (pas seulement) décrire la Longueur, la Largeur, la Hauteur, le Poids, la Couleur, la forme et la substance de chaque chose à l’intérieur et autour du temple ; mais aussi pour en dire la signification spirituelle, comme s’ils connaissaient l’esprit de celui qui a donné des ordres pour ce bâtiment, ou l’a vu terminé. Et Ahiram lui explique : Par quoi il apparaît clairement que tout le Mystère a été communiqué à un très petit nombre à cette époque ; qu’au Temple de Salomon (et pas avant) elle reçut le nom de Franc-Maçonnerie, parce que les maçons de Jérusalem et de Tyr étaient alors les plus grands cabalistes du monde ; que le Mystère a été, pour la [xv] majeure partie, pratiqué parmi les Constructeurs depuis le Temps de Salomon.

L’illustration de ce rêve se trouve peut-être sur le frontispice de la 4ème édition de 1780 où l’on voit le Maître, tenant un compas, enseignant les secrets de l’Art royal à un compagnon (bavette baissée) semblant prêter serment (on y remarquera le théorème de Pythagore). En effet, cette Constitution insiste tout particulièrement sur «l’excellence du silence et avec quel soin il faut le garder» lui consacrant l’ouverture du texte.

La vision de Mackey concernant l’origine hébraïque du titre de l’ouvrage n’est pas partagée par tous. Les auteurs ultérieurs à l’auteur américain voient en Ahiman Rezon une étymologie espagnole : Ahi (prononcé Ah-ee) est démonstratif et signifie « là », pointant vers une chose ou un lieu, man viendrait de monta, traduisible par «le compte» ou «le montant», dans le sens d’une somme totale. Enfin, Razon ou Rezon signifie en espagnol «raison, principe, justice», la justice étant le mot utilisé afin d’exprimer la loi. D’après l’origine hispanique, le titre se traduit par «Il est le compte-rendu complet de la loi.»

On dénombre de nombreuses éditions jusqu’en 1813.

La seconde parution de 1764 présente pour la première fois le blason de la Grande Loge des anciens.

Le frontispice de la 3ème édition de 1778 est explicite. «Les trois figures sur le dôme représentent les grands maîtres du tabernacle. Les deux figures couronnées avec celle à leur droite représentent les trois grands maîtres du saint temple de Jérusalem. Les trois personnages de gauche représentent les trois grands maîtres du second temple de Jérusalem. Les trois colonnes portant des tabliers de Maçons aux armes d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse et soutenant l’ensemble du tissu, représentent les trois Grands Maîtres… qui ont sagement et noblement formé une triple union pour soutenir l’honneur et la dignité de l’Ancien Métier, pour lequel les noms de seigneurie seront honorés et vénérés tant que la franc-maçonnerie existera dans ces royaumes».

C’est à partir de la deuxième édition que Dermott commença ses attaques sévères contre les Moderns, par exemple, faisant plaisamment remarquer que ceux-ci auraient vu dans les initiales des colonnes deux variétés de rhum, Barbade et Jamaïque et autres propos pamphlétaires à propos de leurs banquets.

Par une lettre aux membres de la confraternité -ajoutée à la 3ème édition de sa Constitution- sur la différence qui existe entre l’ancienne et la moderne Maçonnerie en Angleterre, les marches des Moderns furent ironiquement critiquées par Laurence Dermott : «on inventa encore des marches tellement ridicules, que je crois que la première a été imaginée par un homme qui souffrait horriblement de la sciatique, la deuxième par un marin très accoutumé au mouvement d’un vaisseau et la troisième par un homme qui, pour se recréer, ou par une suite d’abus de l’usage des liqueurs, s’est habitué à danser le Paysan ivre.» 

Avouez que cela n’a pas manqué de vous faire sourire !

Remarquons aussi qu’Ahiram fut un roi phénicien de Byblos qui régna vers 1000 av. J.-C., certainement sans rapport avec Dermott puisque son sarcophage ne fut découvert qu’en 1923.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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