mar 23 avril 2024 - 13:04

Secrets et mythes des francs-maçons de Russie

De notre confrère fr.rbth.com – Par Georgui Manaïev, pour RBTH

Des ivrognes en armure au candidat à la présidentielle

Selon la légende, le premier franc-maçon de Russie ne fut autre que Pierre le Grand en personne. Nombreux sont les illustres citoyens russes soupçonnés d’avoir intégré leurs rangs, du poète Alexandre Pouchkine au chef du gouvernement provisoire postrévolutionnaire, Alexandre Kerenski. Néanmoins, dans l’histoire du pays, les loges maçonniques ont suscité des réactions très diverses, et ont à plusieurs reprises fait l’objet d’interdictions. Pourquoi les Russes avaient-ils peur des francs-maçons et ces derniers ont-ils eu une quelconque influence sur la politique gouvernementale ?

De l’Angleterre à la Russie

La franc-maçonnerie fit son apparition en Russie en 1731, lorsque le lord Lovell, grand maître de l’Obédience maçonnique d’Angleterre nomma le capitaine John Philips grand maître de Russie. La doctrine de Philips ne fut toutefois diffusée que dans un cercle restreint d’étrangers rentrés au service du trône de Russie. En réalité, une loge avait été créée en Russie parce que s’y trouvaient de nombreux représentants de l’élite marchande et politique anglaise, qui appartenaient à la franc- maçonnerie et qui exigeaient à la « maison mère » la possibilité d’y organiser des réunions maçonniques officielles.

Ce n’est que dans les années 1740-1750 que la noblesse russe commença à intégrer la confrérie. À cette époque, la franc-maçonnerie paraissait plus être une mode qu’une réelle vocation. Les membres de la première loge du pays, à la tête de laquelle se trouvait Roman Vorontsov, étaient des nobles aux noms célèbres, tels que Soumarokov, le comte Golovine, les princes Golitsyne… Avant que Catherine II ne monte sur le trône, la franc-maçonnerie était si populaire au sein de l’élite qu’elle attira fortement l’attention du gouvernement. En effet, non seulement l’ancien époux de l’impératrice, Pierre III, faisait preuve d’une grande bienveillance à l’égard des francs-maçons, mais en plus les loges maçonniques russes étaient contrôlées par les grandes loges étrangères, ce que le pouvoir tsariste voyait, à juste titre, comme un danger politique.

Des cérémonies à l’illumination

Les réunions maçonniques des années 1750-1760 en Russie se déroulaient selon le rite de la Stricte observance templière, mise au point par un ordre allemand de néotempliers. Ces assemblées ressemblaient par ailleurs plus à des représentations costumées : vêtus d’armures ornées de plumages, les frères se rassemblaient pour discuter des questions maçonniques (il était interdit d’y aborder des thèmes politiques). L’Agapè, le repas succédant à la discussion, était quant à elle généralement fort arrosée.

Au XVIIIe siècle , ces réunions « chevaleresques » étaient très en vogue auprès des nobles russes, qui étaient presque tous d’anciens militaires, mais elles avaient peu à voir avec la véritable franc-maçonnerie. Pour illustrer cela, l’homme d’État et poète Ivan Elaguine avoua par exemple avoir rejoint la confrérie uniquement « par orgueil » et par désir de s’assurer la protection des personnes haut placées fréquentant les cercles maçonniques.

Ivan Elaguine

Comme l’écrit le mémorialiste Ossip Prjetslavski, « lorsque dans une institution le choix d’une nomination dépendait d’un franc-maçon, et que l’un des candidats était également franc-maçon, alors, quelles que soient les circonstances conditionnant le choix, celui-ci penchait toujours en faveur du +frère+ ».

Elaguine fut toutefois déçu par le système de la Stricte observance templière et reçut, au début des années 1770, l’autorisation de la Grande Loge d’Angleterre de constituer une union maçonnique en Russie. Au même moment, à Saint-Pétersbourg, le baron allemand Reichel fonda lui aussi une union maçonnique soumise au système suédois Zinnendorf. Si le système d’Elaguine était principalement axé sur la recherche mystique du secret maçonnique, de leur côté les disciples du système Zinnendorf aspiraient exclusivement à l’accomplissement de soi. Malgré la multitude de loges (au XVIIIe siècle, Moscou en comptait à elle seule 27), les francs-maçons russes étaient en réalité peu nombreux ; l’union d’Elaguine par exemple n’en regroupait que 400 environ. Cela entraîna la fusion des deux branches en 1776, ce qui ne marqua toutefois pas la fin des frictions.

Alors que Saint-Pétersbourg était le théâtre d’une lutte entre Elaguine et Reichel, dès la fin des années 1770, les loges moscovites commencèrent à prendre de l’ampleur. Un rôle important dans ce phénomène fut joué par l’homme d’État et éditeur Nikolaï Novikov, qui fit notamment partie de la délégation de francs-maçons russes au convent de Wilhelmsbad (1782), où la Russie avait été reconnue comme une province maçonnique à part entière.

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