On l’appelait Le Lion et il fut un des premiers à donner ses lettres de noblesse à un instrument né huit ans après lui, le vibraphone.
Lionel Hampton est né à Louisville dans le Kentucky le 20 avril 1908. Sa mère qui l’éleva seule, déménagea pour Birmingham en Alabama (Ville qui sera le théâtre d’un horrible attentat du Ku-Klux-Klan, dans une église provoquant la mort de 4 fillettes en 1964). Plus tard il passa son enfance à Kenosha dans le Wisconsin avant que la famille ne déménage pour Chicago en 1916. C’est durant cette période de sa jeunesse, qu’il prit ses premiers cours de xylophone avec Jimmy Bertrand et commença à jouer de la batterie.
Il commença justement sa carrière en tant que batteur dans un groupe local. Entre 1927 et 1928, il partit ensuite en Californie pour jouer du Dixieland avec les Blues Blowers. C’est durant ses années à Chicago qu’il assista à un concert de Louis Armstrong dont les solos enflammèrent le public jusqu’à la démence. Il enregistra son premier album dans le groupe les Quality Serenaders dirigé par Paul Howard, partit ensuite pour Culver City où il tint la batterie dans l’orchestre de Les Hite au Sebastian’s Cotton Club. C’est à ce moment là qu’il se fit remarquer en jouant de la batterie avec plusieurs baguettes, jonglant avec, les faisant virevolter en l’air, les faisant tourner dans ses mains, tout en conservant un tempo infaillible. Parallèlement il se mit à étudier et pratiquer le vibraphone, instrument inventé depuis une petite dizaine d’année seulement. Il jouait également du piano comme sur un vibraphone avec deux doigts en guise de mailloches (la disposition des notes étant similaire sur les deux instruments)
En 1930, Louis Armstrong vint en Californie et collabora avec l’orchestre de Les Hite pour jouer en public et enregistrer. Louis fut très impressionné par le travail d’Hampton, qui lui joua par cœur un de ses chorus (solo), et lui demanda de jouer derrière lui pendant qu’il chantait. C’est ainsi qu’il débuta sa carrière en tant que vibraphoniste et popularisa cet instrument par la même occasion.
Pendant son engagement avec Les Hite, il joua également avec Nat Shilkret. Pendant l’année 1930, il étudia la musique à l’université de Southern California. En 1934 il forma son propre orchestre et fit une apparition dans le film du chanteur/acteur Bing Crosby, « Pennies From Heaven » avec Louis Armstrong également.
Benjamin David « Bonhomme » le Roi du Swing*
En novembre 1935, *Benny Goodman vint jouer avec son orchestre au Palomar Ballroom de Los Angeles. Le producteur et découvreur de talents John Hammond, l’emmena écouter Lionel et Benny l’invita immédiatement à jouer dans son trio qui devint rapidement un quartet, avec le magnifique pianiste Teddy Wilson, et le non moins impressionnant batteur Gene Krupa.
Cette rencontre est particulièrement importante, car ce fut le premier groupe interracial (terminologie de l’époque, on dira mixte de nos jours) ce qui ne fut pas sans problèmes pour Benny, qui allait en rencontrer encore bien d’autres par la suite.
Durant ces quatre années de collaboration avec Goodman, Hampton devint une vedette dans cette époque de la « Swing Era », mettant le feu dans le sextet de Benny, avec des concerts mémorables, tel celui du Carnegie Hall en 1938, et enregistrant de magnifiques sessions de « All Stars » sur le label Victor. C’est également pendant cette période que Benny engagea un pionnier de la guitare électrique en la personne du génial Charlie Christian.
1940… 1950… 1960… 1970
Après ces années fructueuses, il rompit amicalement sa collaboration avec Goodman pour former son propre grand orchestre. Le succès va arriver très rapidement, avec notamment une composition qui fera sa marque de fabrique durant toute sa carrière musicale, le fameux « Flying Home ». Il jouera ce thème dans différents formats, en trio, quartet, l’enregistrera de nombreuses fois, mais c’est la version en grand orchestre qui aura la primeur enregistrée le 26 mai 1942 chez Decca.
Durant cette période, il jouera avec les plus grands noms du jazz, comme Louis Armstrong, mais avec des novateurs dès les années 50 tels que Charlie Mingus, Johnny Griffin, Wes Montgomery, Dizzy Gillespie, Kenny Dorham. Il embauchera une pléiade de musiciens prestigieux dont la liste ressemble à un bottin, mais j’en citerai quelques uns afin de situer le niveau d’excellence : Illinois Jacquet (qui jouera longtemps avec le TCF :. C. Basie), Arnett Cobb, Slim Gaillard, la chanteuse Dinah Washington, James Moody, Clifford Brown, Gigi Gryce, Art Farmer, Quincy Jones, Annie Ross, Oscar Peterson, Buddy De Franco, Stan Getz, Art Tatum, Charlie Parker, Chick Corea (oui vous avez bien lu !) … On pourrait presque citer ceux avec lesquels il n’a pas joué pour aller plus vite.
Suite et fin
Les années 80 marquent le déclin d’Hampton et ses groupes. Malgré les succès de ses concerts, il ne retrouvera jamais la notoriété et la popularité des décennies précédentes.
Mais il continuera d’enregistrer, dont certains disques seront des surprises intéressantes, comme celui consacré à la musique de Charlie Mingus, avec Mingus lui-même à la contrebasse, déjà bien malade, et d’autres encore plus étonnants comme celui enregistré en public en 1988 avec le gratin du jazz moderne dont voici la liste incroyable : Chick Corea piano, Jack DeJohnette batterie, Woody Shaw Trompette, Hubert Laws flûte, Dave Holland contrebasse. Non seulement le casting est époustouflant, mais la thématique l’est tout autant avec des thèmes comme « Passion Dance » du pianiste Mc Coy Tyner (le pianiste du quartet de John Coltrane), mais Hampton dont le style était déjà fixé dans les années 30, ne renonce pas à s’approprier un langage nouveau et rivaliser avec la jeune garde de l’époque.
Il fonda son propre label en 1977/78 « Who’s Who In Jazz » et à partir de 1984 joua régulièrement à l’Université d’Idaho, qui devint le « Lionel Hampton Jazz Festival » annuel.
Ceci ne l’empêcha pas d’embaucher de nombreux prestigieux musiciens, comme Frankie Dunlop (qui collabora longtemps avec TH. S. Monk), Arvell Shaw, ou George Duvivier, jusqu’à ce qu’il subisse un AVC sur scène à Paris en 1991. Cet accident combiné à de longues années d’arthrose l’obligea à se retirer des tournées, ce qui ne l’empêcha pas de jouer au Smithsonian National Museum of American History en 2001 peu avant sa mort.
Il succomba d’une crise cardiaque au Mount Sinaï Hospital de New York le 31 août 2002. Lors de ses funérailles, le trompettiste Wynton Marsalis joua en compagnie du David Ostwald’s Gully Low Jazz Band à la River Church de Manhattan et le cortège démarra du Cotton Club de Harlem.
Encore quelques informations
Dans les mémoires de Quincy Jones, quelques musiciens racontaient à quel point la femme d’Hampton, Gladys (Riddle), était dure en affaire et qu’il ne fallait pas rigoler avec elle. Mais si les musiciens voulaient jouer avec Lionel, il fallait passer par ce cerbère. En somme Lionel s’occupait de la musique et Gladys des affaires.
Autre anecdote curieuse, Lionel offrit des vibraphones à un petit musicien âgé de cinq ans qui s’appelait Roy Ayers. Quand on sait la carrière dont il fit l’objet, et surtout du pillage qu’il subit de la part des rappers, et autres bidouilleurs sonores du genre, la symbolique est assez savoureuse.
Il s’intéressa dans les années 50 au judaïsme et donna beaucoup pour Israël. Il composa d’ailleurs en 1953 la suite du “Roi Salomon” (King Solomon Suite) qu’il joua en Israël avec le Boston Pops Orchestra. En 1997 il échappa sans une égratignure à l’incendie de son appartement où l’ensemble de ses biens furent totalement détruits.
Lionel Hampton s’impliqua également dans la construction d’immeubles à loyer modéré, principalement à Harlem dans les années 70 et 80.
Il fut un soutien pendant de longues années du parti républicain (celui de Lincoln, ceci mériterait une longue analyse, car le parti républicain était très moderniste à ses débuts, et il y eut une inversion au milieu du 20e siècle où ce fut le parti démocrate qui incarna mieux les valeurs de progrès). Mais finalement il changea pour les démocrates, ne se reconnaissant plus « en tant que modéré » (selon ses propres mots) dans les valeurs des républicains.
Il fut membre de la franc-maçonnerie Prince Hall, membre des hauts-grades du rite écossais (33è degré) au Consistoire du Roi David n° 3 (King David Consistory) de la Vallée de New York City et membre d’une loge de recherche de New York. Sa date d’initiation est inconnue.
Sa discographie est également impressionnante. Elle démarre en 1937 et court jusqu’à 2001 sans interruption, malgré une santé précaire à partir des années 90 et compte environ 305 disques officiels.
Ses récompenses se comptent au nombre de 29, dont une à titre posthume décernée en 2021, il s’agit du « Grammy Lifetime Achievement Award », et celle de 1987 la « Roy Wilkins Memorial Award from the NAACP ».
Il apparaît également dans 11 films et documentaires dont, « Pennies From Heaven » de Norman Z. Mc Leod en 1937, « A Song Is Born » la comédie d’Edward Hawks en 1948.
Il fut une pierre majeure à l’édification du jazz, faisant le pont entre les anciens et les modernes pendant de nombreuses années.
De nombreux jazzmen modernes, dont évidemment Gary Burton, Bobby Hutcherson ou Roy Ayers (cité plus haut), se revendiquent de son influence.
Vous pouvez réécouter mon émission Jazzlib’ (dont trois volets furent consacrés au vibraphone) en podcast, dont une bonne partie dédié à Lionel Hampton, sur les liens suivants : https://www.anarchiste.info/radio/libertaire/emission/jazzlib/2021/07/15/, https://www.anarchiste.info/radio/libertaire/emission/jazzlib/2021/08/05/ et https://www.anarchiste.info/radio/libertaire/emission/jazzlib/2021/09/16/
Á lire :
Jazz et Franc-Maçonnerie une histoire occultée, Yves Rodde-Migdal, éditions Cépaduès
Noirs et Francs-Maçons, Cécile Révauger, éditions Dervy
Le défi maçonnique américain, Alain De Keghel, éditions Dervy
Á voir :
Je vous ai sélectionné une infime partie de ce que l’on peut trouver sur la toile, mais elle permet de comprendre l’évolution et la longévité d’un musicien exceptionnel et bien oublié aujourd’hui.
Lionel Hampton, Antibes Jazz Festival, Juan-les-Pins, France: Martin Banks, Benny Bailey tp; Bobby Plater as, fl; Ed Pazant ts, cl; Pepper Adams (que l’on surnommait « The Knife » – Le Couteau), Cecil Payne bs; Billy Mackel g; Lionel Hampton vib, voc; Lawrence Burgan b; Floyd Williams dm.
L’incroyable version de Passion Dance (Composée par le pianiste Mc Coy Tyner), avec Chick Corea au piano, Jack DeJohnette à la batterie, Dave Holland à la contrebasse (ces trois là firent partie de la section rythmique du quintet de Miles Davis dans les années 70), Woody Shaw trompette et Hubert Laws à la flûte, qui représentaient le gratin du jazz moderne.
Extrait du film « A Song Is Born » avec Dany Kayes, (traduit en français par « Si bémol & Fa dièse »), dans lequel Benny Goodman joue le rôle d’un musicien classique un peu coincé ; on peut voir une belle brochette de jazzmen comme Louis Armstrong, le fantastique pianiste juvénile Mel Powell, Tommy Dorsey, Charlie Barnet, le Golden Gate Quartet, Page Canavaugh Trio, etc
Yves Rodde-Migdal 4/08/2022
Tout m interresse la magie du travail d une encourageante volonté passionnante à la vie musicale( 3 bises
Merci pour cette précision.
Frat YRM
Concernant Bro. Lionel Hampton, alias « le roi des vibrations », il est vrai que la date de son initiation n’est pas connue, mais pour sa Loge symbolique, il semble avoir été membre de la Prince Hall « Boyer Lodge No. 1 », à l’Orient de New York.