sam 12 octobre 2024 - 18:10

La fabuleuse histoire de l’épopée de Gilgamesh

Et dire que l’épopée de Gilgamesh aurait pu tomber dans l’oubli, recluse à jamais dans les archives du British Muséum! C’était sans compter sur l’audace, la pugnacité d’un homme qui comme le héros d’Uruk surpassa sa condition sociale et sa condition humaine. Récit de la mise en lumière du premier récit de l’humanité par George Smith. Et d’une Epopée qui continue son périple, comme si son caractère romanesque devait veiller sur le sommeil des hommes pour que jamais ils n’oublient leur premier berceau.

Comment l’épopée de Gilgamesh a bien failli ne jamais être traduite.

Londres 1840

Le jeune George Smith, issu de la classe moyenne de l’Angleterre victorienne est un doux rêveur. Mais rêver est presque anachronique en ce siècle austère gorgé d’ennui et les hivers londoniens s’étirent lentement dans la brume mêlée aux fumées des usines. Le Mythe de Sisyphe s’abat partout en Europe, la vie est rude. Et les cadences infernales lourdes comme l’enclume sabordent les plus grands rêves des idéalistes. Le travail à l’usine est le lot commun et la norme pour toutes les familles peu fortunées. George Smith est un élève brillant, pourtant il ne fera jamais d’études supérieures. Sa famille n’en n’a guère les moyens. La réalité souffre toujours du contingent de la nécessité. Le jeune George ne se plaint pas et s’estime heureux lorsqu’il trouve à quatorze ans une place comme apprenti imprimeur dans un atelier de gravure sur billets. C’est toujours mieux qu’une usine de biens manufacturés ou pire une usine d’armement! George est patient, minutieux et il a le soucis du détail, le sens de l’observation. Son patron est content de lui.

Il a surtout cette chance de travailler face au British Muséum. Pendant que ses collègues traquent le repos après le déjeuner dans la poussière de l’atelier, le jeune Smith caresse des yeux l’éternité dans les allées du musée et ses splendors veritatas. Son goût se porte sur la civilisation assyrienne. Le conservateur du musée le prend en amitié et lui fait part des dernières découvertes archéologiques. Et vante surtout celles des français dont la très célèbre expédition d’Egypte de Bonaparte. Le monde a les yeux tournés vers l’Egypte. Mais George préfère de loin les écritures cunéiformes et les tablettes exhumées par les britanniques en 1840, au cœur d’une cité encore mystérieuse aux abords de Mossoul en Irak. Sans le savoir, l’Angleterre dispose du premier récit de l’humanité au fond de ses archives. Et face à l’enthousiasme et l’insistance du jeune Smith, les instances du musée ne vont pas tarder à lui confier la traduction de l’épopée de Gilgamesh.

George Smith. Traducteur de la tablette XI de Gilgamesh

Le réveil de Gilgamesh après 4500 ans de sommeil dans la poussière

Comme pour les hiéroglyphes égyptiens, l’assyrien demande de partir de zéro et toutes les bonnes volontés sont à l’époque bienvenues. Pendant quelques années John Smith se forme à l’écriture cunéiforme. Devenu père de famille et tout en continuant son travail à l’imprimerie, il étudie, compare les jeux d’écriture souvent tard le soir. Un historien de renom, Henry Rawlinson le prend sous sa coupe. En 1866, Smith parvient à préciser une pièce fondamentale qui permet un pas de géant dans la connaissance de ces énigmatiques signes: la date de l’hommage rendu à Salmanazar II par le roi Jéhu du Royaume d’Israël. A compter de cette date, le destin de George Smith semble lié à l’archéologie et sa condition sociale s’en trouve amplement dépassée.

1872: Traduction de la tablette XI de l’épopée de Gilgamesh

Gilgamesh TABLETTE XI

En décembre 1872 peu de jours avant Noël , George Smith donne enfin lecture de sa traduction de la tablette XI de l’épopée de Gilgamesh. Le cœur battant, il présente ses années de labeur au premier ministre britannique et devant un parterre de personnalités publiques ébahies par la nature du texte:

Ils (les Dieux) ont établi la vie et la mort, mais le jour de la mort ils ne la révèlent pas

tablette XI de l’épopée de Gilgamesh signée par le grand scribe Sin-Leqi-Unninni

Smith enchaine sa traduction par le récit d’un déluge qui a des traits communs avec le déluge biblique. L’assemblée comprend que ce moment a le parfum exquis de la postérité historique. Et surtout, que l’histoire de l’humanité est consignée dans cette petite tablette d’argile. Dès lors, Smith est nommé assistant au département d’assyriologie et quitte définitivement la poussière de l’imprimerie au profit de la poussière des siècles du sol irakien et syrien. En 1876 il décédera de dysenterie lors d’une campagne de fouilles à Alep. Ses travaux ont marqué l’histoire de l’archéologie et tracé la voie à d’autres assyriologues .

Un grand récit se devait d’avoir sa Grande Histoire !

La folle histoire d’une tablette XI vieille de 3500 ans

En 1991, l’Irak ploie sous le tumulte et le chaos de la première guerre du golfe. Une tablette d’argile du premier récit de l’humanité s’offre alors une seconde épopée inattendue dans la clandestinité. Il s’agit d’une version assyrienne de la tablette XI que Smith a traduite dans le passé. La tablette est subtilisée dans le chaos de la guerre et quitte l’Irak par le biais de trafiquants d’œuvres d’art. Elle aurait été vendue à une mystérieux collectionneur britannique qui l’aurait à son tour revendue avec de faux papiers à un collectionneur américain en 2004 pour la modique somme de 50.000 euros.

Comment la tablette se retrouve au musée de la Bible à Washington

Dès 2005 la tablette volée de l’épopée de Gilgamesh se retrouve exposée au musée de la Bible de Washington. Peu d’informations circulent quant à son acquisition par le musée américain qui restera soucieux de préserver le mystère. Pour que la tablette retourne en Irak, le ministre des affaires étrangères saisit l’Unesco. Mais les pourparlers s’enlisent durant dix longues années. La tablette a été restituée à l’Irak il y’a quelques mois. Un moment historique pour la culture irakienne qui n’en finit pas de voir son territoire violé et son patrimoine pillé, quand il n’est pas tout simplement détruit par des barbares.

A lire, l’indispensable traduction de Jean Bottero de l’épopée de Gilgamesh

C’est l’âme de l’archaïque population de nos plus vieux parents discernables au loin, qui nous est, de la sorte, entrouverte par la lecture de ce chef-d’œuvre immortel, ruine superbe et opulente.

l’épopée de Gilgamesh. Jean Bottero

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Christelle Manant
Christelle Manant
Christelle Manant est consultante en rédaction web SEO. Elle est également auteure d’un livre « la lumière brille dans les ténèbres… » paru aux éditions Maïa, qui relate le parcours de 3 personnages en quête de paix et dans lequel chacun se vautre dans les 7 péchés capitaux tout en cheminant entre Rennes le Château et la Calabre, en compagnie du génial Dante Alighieri (la divine comédie), jusqu’au point de solitude, où chacun doit apprendre à vivre avec sa part d’ombre et sa part de ténèbres. Par ailleurs, elle a suivi l’enseignement du regretté Jacques Bouveresse sur « la nécessité et la contingence chez Leibniz » et s'est tourné vers la sémiotique et l’ontologie du pragmatisme peircien avec Claudine Tiercelin (Collège de France) en 2021.

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