ven 22 novembre 2024 - 07:11

La spiritualité maçonnique (Episode 3/3) : Les réalités existentielles

Il convient de rendre au mot « spiritualité » …sa liberté d’expression, trop longtemps confisquée par les cultes ! De leur côté, les règles spirituelles sont à considérer, nous l’avons dit, avec ou sans Dieu. Avec ou sans religion. Il en est de même pour la spiritualité maçonnique, déiste ou laïque, selon les options. N’omettons pas ici les réalités existentielles. Pour leur part, elles évoquent la réalité vécue, le « quotidien » individuel avec son lot de joies certes, mais aussi de tourments divers, personnels, familiaux, professionnels, de problèmes financiers, auxquels s’ajoutent maladies et deuils des êtres chers, qu’il faut assumer. Autant d’épreuves qui demandent amour, volonté, courage. Et qui nous renvoient à notre propre condition en marche, vieillissement puis finitude !

En ce sens, il est intéressant de ne jamais perdre de vue les motivations, les espoirs, qui animent le citoyen, la citoyenne qui viennent frapper à la porte du temple maçonnique ! Le premier mobile, nous le savons, est, avec la curiosité, le principe de plaisir. Il faut, en tout investissement, des joies annoncées ou imaginées, des surprises, des enthousiasmes. Pour mieux être !

C’est à remarquer : La franc-maçonnerie est une des rares sociétés initiatiques occidentales qui, précisément – comme la philosophie – propose devant la part négative de ce constat, non seulement une « aide à vivre », mais ose aussi aborder cette mort qui nous guette et invite à nous y préparer. Vaincre la mort, ou plutôt « l’idée de la mort », c’est de fait, adoucir cette certitude et glorifier la vie. Pour la vivre pleinement, telle une éternité, ici et maintenant ! Afin d’évacuer la peur précitée.

Malgré notre destin, pétris de désirs – donc de curiosité, d’un besoin d’étonnements et de découvertes – nous avons envie de positiver « l’humain ». En quelque sorte, par notre « vouloir vivre » de le rendre immortel ! Avec des rencontres joyeuses, à la fois « énergisantes », enrichissantes et rassurantes ! Avec des acquisitions nouvelles transposables dans la cité. Pour partager en groupe les effets bénéfiques de la trilogie républicaine précitée, trois valeurs existentielles, s’il en est ! Pour trouver du sens à cette vie, à la fois mystérieuse et si précieuse. C’est cette quête de signification, de raison d’être, qui nous fait aller de l’avant. Et plus loin, dans le cadre même de la devise républicaine !

En toute Liberté, et précisément dans le cadre de la liberté d’association (Loi 1901) qui permet à l’initié(e) de participer, dans la ou les organisations maçonniques de son choix, séparément ou en même temps, à la construction de la société idéale.

En toute Egalité, avec une échelle des degrés synonyme d’équité, donc accessible à tous les initié (e).

En toute Fraternité, dans le respect de la mixité, donc de la sororité qui s’ajoute à la devise républicaine.

Avec la trilogie républicaine, nous venons de considérer trois types de valeurs, morales, spirituelles, existentielles, au sens même de cette « vie de l’esprit » qui constitue la spiritualité, dans notre cadre maçonnique. Nous ne pouvons faire l’économie de l’appréhender avec l’optique de la philosophie, celle-ci étant elle-même une spiritualité laïque, en ce qu’elle aborde la « vie bonne » sans passer par Dieu et la foi.

C’était sans doute à prévoir : L’inféodation totale de l’Homme au divin depuis Abraham, David puis Salomon et ses suivants, au fil de l’écriture de la Bible a fini en son temps par soulever une opposition intellectuelle. Précisément, il y a 2500 ans, lorsque la cité démocratique grecque vient concurrencer la cité sacrée (Athènes contre Jérusalem). S’affrontent ainsi hommes de raison et gens de foi. Et nait dans l’antiquité judéo-grecque un débat théologique complexe, toujours pas clos aujourd’hui : celui du libre arbitre et de la grâce divine.

Un combat en vérité ! Il oppose aujourd’hui les Créationnistes aux Darwinistes. Dans l’antiquité grecque ce sont les Stoïques (ou Stoïciens) qui « ouvrent le feu » en déclarant que le divin, c’est l’univers constitué (le Cosmos) et non un Etre suprême. Une thèse que « revisitera » plus tard Baruch Spinoza pour qui Dieu, nous l’avons vu, c’est la Nature.

Quand Athènes et Rome se rejoignent : Pour leur part, lesdits Stoïques, à savoir Sénèque, Epictète et Marc-Aurèle, proposent un monde pensé sans Dieu, à l’opposé de celui du Christianisme débutant, promu par Paul de Tarse. Il s’agit donc de penser, réfléchir, spéculer, oui, mais sans le concours d’une transcendance. Et de parvenir ainsi à la vie bonne, à la sagesse, laquelle accepte la finitude humaine avec le concours lucide de la seule et unique raison. Ainsi naît la « spiritualité sécularisée », c’est à dire profane. D’une spiritualité, une autre. C’est bien cette spiritualité « a-divine » qui revit avec les Lumières précitées pour progresser et s’écarter de l’emprise religieuse. Et c’est bien ce même concept que plusieurs philosophes contemporains ont repris au XXème siècle : Vladimir Jankélévitch, Luc Ferry et André Comte-Sponville, entre autres, sous ce nom de « spiritualité laïque » pour marquer leur distance des Eglises.

Spiritualité laïque. Avec cette expression, ces penseurs contemporains désignent « une vie de l’esprit non conditionnée », une réflexion individuelle libre, devant nos problèmes existentiels. Abordable selon ces penseurs, par nos propres moyens – dont la volonté – sans concours divin. A savoir face au déroulement même de ces « choses de la vie » abordées plus haut qui nous façonnent et se répètent : l’Amour, l’éducation, le travail, la maladie, la souffrance, l’ennui, la solitude, les joies, les peines, l’amitié, le bonheur, la séparation, le vieillissement, la mort, le deuil…

Autant de circonstances, d’états d’âme, d’expressions de l’humain, au fil des jours qui interrogent, agressent ou gratifient notre psychisme. Autant de faits à accepter, de « matière à penser », pour la philosophie, mais aussi pour la franc-maçonnerie. Laquelle, par porosité, a emprunté « à sa mère » cette spiritualité laïque, également porteuse de sens. Les thèmes essentiels de réflexion viennent souvent du quotidien ! Une distinction à opérer : Philosopher ne signifie pas s’isoler dans les hautes sphères de la cogitation. Maçonner ne veut pas dire s’observer de l’intérieur et s ‘y retrancher. Il y a une différence entre intellectualiser et penser. La loge n’est pas un sous-marin ! Il existe bien un « philosophie réaliste » comme il existe une « maçonnerie pratique ».

Nous le répétons, la vie est une suite d’épreuves initiatiques, donc nouvelles : l’Homme a besoin d’inattendu. Comme il peut éprouver à la fois un désir d’éthique (discipline personnelle à différencier de la morale, ensemble des règles de conduite collective) et de métaphysique. Les deux sont à même de produire pratiquement une façon d’être, de penser et de faire :

Progression de soi, considération d’autrui, sentiment de « faire partie » d’un tout, conscience du sacré, découvertes, sens de l’esthétique, art de la contemplation, amour de la vérité, contrôle des passions, introspection, apaisement de l’âme, acceptation du destin, etc.

Contact. Le philosophe et le franc-maçon se retrouvent ici sur ce mode de vie tout à fait identique pour « partager une sagesse » en société. Sans prétendre devenir un sage pour autant ! Il est bon de le redire : Pas question pour nous de changer notre personnalité. Pas question donc de « tuer notre ego » – une ineptie trop souvent entendue ! – mais de le maîtriser. Et d’ouvrir les yeux ! Pour mieux voir le monde. Pour mieux l’interpréter. Puis, si possible, le transformer, même modestement, quand il y a lieu ! Pour bien y vivre, avec soi-même et nos semblables. C’est la visée de toute spiritualité affranchie, en mouvement.

« La pensée, c’est l’esprit debout » dit Victor Hugo.

(Extrait du livre : Une traversée de l’Art Royal – Gilbert Garibal – Editions Numérilivre)

Épisode 1 : https://450.fm/2022/07/04/la-spiritualite-maconnique-episode-1-3/
Épisode 2 : https://450.fm/2022/07/05/la-spiritualite-maconnique-episode-2-3-les-regles-morales/
Épisode 3 : https://450.fm/2022/07/06/la-spiritualite-maconnique-episode-3-3-les-realites-existentielles/

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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