Le « besoin de spiritualité » ne se limite pas à la croyance céleste. Il s’exprime aussi en termes de réflexion. Précisément, le franc-maçon, la franc-maçonne, trouvent leurs supports de réflexions, d’abord dans le contenu des rites : rituels, mythes, allégories, symboles, légendes. Ce sont des outils, des boussoles pour nous orienter sur le territoire. Mais ils ne sont pas le territoire. Ils nous donnent le sens et du sens, mais pas la réalité ! Encore moins le réel, ni la vérité ! Il s’agit donc de faire entrer en résonance leurs logiques et leurs morales – si elles sont adaptables – avec la société des Hommes et des Femmes, en pleine mutation.
Le parcours d’une vie enseigne qu’il y a autant de logiques et de morales que de sociétés et d’époques, c’est à dire de philosophies et de points de vue. A l’école de notre enfance, entre quatre murs protecteurs et devant le tableau noir, ces mots étaient inoffensifs. Nous faisions de l’analyse logique après la dictée.
La citation d’un écrivain (Ex : Soyez meilleurs, vous serez plus heureux, dixit François Gaston de Lévis) nous servait chaque jour de leçon de morale. Et la preuve par neuf nous démontrait la justesse de notre raisonnement arithmétique. Voire que la vérité était dans les chiffres ! Et le bonheur pendant la joyeuse turbulence des récréations !
C’est plus tard que tout se modifie, en entrant dans un autre jeu, celui de la vie ! Adultes devenus, nous constatons que le « camarade de classe » est maintenant « l’Autre » dans sa grande diversité signifiante et agissante (Ethnies, coutumes, religions, individualismes, pouvoirs et leurs abus, etc) et qu’il faut – malgré ces différences et contraintes – effectivement cohabiter dans ce grand village agité qu’est la planète.
De mon vécu des inquiétantes années 1930-1940, je retiens qu’une partie importante d’un grand pays comme l’Allemagne, éduqué et cultivé s’il en est, est alors hypnotisé par les vociférations d’un fou furieux. Celui-ci, le sinistre Hitler, considère comme logique tous les paramètres normatifs à sa convenance (revanche de la guerre précédente, difficultés économiques, pureté de la race aryenne à protéger, etc.) pour en tirer une épouvantable « rationalisation » : l’extermination des Juifs !
Impensable mais vrai, l’un des plus grands philosophes du XXème siècle, Martin Heidegger, que l’on peut supposer intelligent, adhère à cet antisémitisme ! Sa compagne de route, Anna Arendt, philosophe talentueuse elle-même, ouvre les yeux à temps et bifurque pour décrire ce que, effarée, elle découvre : la banalité du mal. Dit autrement, il est tout à fait logique de tuer son semblable quand on en reçoit l’ordre d’un supérieur et que l’on est obéissant et scrupuleux. C’est normal, banal, on ne fait que son devoir (encore un mot dont il faut se méfier, n’en déplaise à Kant !) La logique et la morale détruisent ici tout discernement!
Les sinistres exécutants de l’holocauste avaient aussi une logique : « Mon honneur est ma fidélité ». De leur côté, les militaires, de vert-de-gris vêtus, portaient un ceinturon – à hauteur de mes yeux de gamin – dont la boucle arborait leur morale : Gott mit uns (Dieu avec nous). Bilan en 1945 de ces logique et morale funestes : 6 millions de morts.
D’un tableau noir, un autre tableau, affreusement noir. Il est aisé de comprendre que l’on puisse se méfier aujourd’hui de ces deux mots qui n’auraient jamais dû quitter la salle de classe !
Penser que les doctrines, l’instruction et le progrès peuvent seuls parfaire l’Homme est la grande illusion des Lumières… et des francs-maçons ! Parce que l’Homme est autant capable de haine et d’égoïsme, que de bonté et d’amour, il nous reste, pour éliminer (en tout cas réduire) notre part d’ombre, encore et toujours, à apprendre et mettre en pratique notre trilogie républicaine : Liberté, Egalité, Fraternité.
Alors que des mouvements politico-religieux sont en train de prendre le relais du nazisme, alors que, contre toute attente, divers gouvernements étrangers songent au XXIème siècle à interdire la franc-maçonnerie, quelques grandes organisations maçonniques françaises, ont aussi leur logique et leur morale. Contre toute attente, elles s‘enferment sur elles-mêmes en prohibant la communication inter-obédientielle, lorsqu’elles devraient être précisément et totalement axées sur les dangers qui menacent les francs-maçons. Plus que jamais invités à être unis, toutes instances confondues et les coudes serrés !
En termes de règles morales, la jeune génération d’initiés (es) qui n’a pas connu le fascisme doit réagir et refuser net cette conduite fautive. Encore convient-il qu’elle soit informée du passé ! Aux Maîtres de loges, aux Surveillants de dispenser cette information si nécessaire, aussi importante que les rituels ! De toute urgence ! Ce n’est pas faire de la politique en loge que de s’intéresser et comprendre les mouvements du monde. Pour mieux y évoluer !
Les mots sont des caresses ou des balles. Nous venons de voir que, en termes de valeurs – profanes et maçonniques, il faut s’entendre – comme toujours – sur le sens de ces mots…à même de devenir des maux ! Les valeurs morales concernent avec le respect en premier lieu, le vrai, le bien et le beau, le souci de l’autre, donc, la générosité, la bonté. Mais elles peuvent constituer aussi le détestable, le mauvais, le mal, contre l’autre, bref, la méchanceté. Question de points de vue, d’intentions. Et d’actions !
C’est vrai que cette incapacité des obédiences à parler toutes d’une seule voie me navre. Récemment notre T.F.P.M. a dû faire une “entorse” à la “règle” pour pouvoir accepter en L. un F. du G.O. pendant une T. au 4ème de la G.L.D.F. Bravo à lui mais je trouve cela navrant.