Le bullshit c’est un propos trouble, apparemment dénué de sens , dont le but principal est de valoriser son auteur. Se rangeant parmi les demi-vérités, il est plus ardu à détecter et à désarmer que le complotisme. Connaître le phénomène aide à y résister.
Le terme générique bullshit, en francophonie nous le voyons comme un synonyme de connerie, qui existe depuis bien longtemps. Mais voici que les réseaux sociaux ont étendu leur domination sur la communication humaine, et ceci a contribué à spécialiser quelque peu la définition de la chose.
On nous a longuement entretenus des dangers de la prolifération virale des fake news. Le mot nous évoque un tissu de contrevérités intentionnellement lancées sur la toile. Par qui donc ? Par de vilains trolls, parfois payés par des puissances malveillantes qui cherchent à nous démoraliser, nous diviser, etc.
La parade est une vigilance, par des amoureux de la vérité comme les francs-maçons. Les debunkers et autres zététiciens sont là pour ça, et nos autorités mettent en place les armes juridiques ad hoc.
Le bullshitteur est une version édulcorée du complotiste partageur de fake news. Il ne cherche pas à vous persuader à la hussarde comme ses cousins intégristes. Il se contentera de vous éblouir par son savoir encyclopédique. Et oui, il adore le vocabulaire rare et les références à des auteurs connus mais peu lus. Il souhaite obtenir du prestige à vos yeux mais ne veut surtout pas être démasqué ou raillé, c’est pourquoi il choisira un tissu de demi-vérités difficiles à réfuter.
Jeune apprenti ou compagnon, il est bien possible que vous en ayez croisé comme surveillant. La probabilité augmente si l’ésotérisme est à l’honneur dans votre atelier.
La raison principale du succès du bullshit, c’est que ça marche. Et si les « victimes » sont nombreuses, c’est qu’elles y trouvent un bénéfice : par exemple, la confirmation de croyances intimes, ou un sentiment d’appartenance à une communauté de convictions.
Des études ont montré que l’intelligence protège plutôt mal contre la mise sous influence des bullshitteurs.
La raison semble être que l’intelligence produit deux effets antinomiques, qui du coup s’annulent mutuellement. Le premier effet est une meilleure “filtration”, l’intelligence décelant ” le vide derrière le bla-bla”. Le second effet est que l’esprit intelligent sait que l’explication correcte d’une situation ne se voit parfois pas facilement . Il est donc plus ouvert aux situations et déclarations inhabituelles et ne les rejette pas d’office .
Néanmoins c’est parmi les personnes à la pensée intuitive que le bullshit trouve la meilleure réceptivité.
Parmi les techniques utilisées par les bullshitteurs, les citations de célébrités est une des plus connues. Plus remarquable est leur usage des domaines où la science est encore lacunaire . Comme dans les exercices scolaires « complétez les mots manquants », le bullshitteur mettra une explication plausible mais allant dans son sens. Le cas typique est une corrélation déguisée en causalité.
Autre technique : pousser un peu le curseur. On reprend un argumentaire existant, on en exagère les termes, puis on en souligne l’absurdité et l’outrance pour le discréditer.
On peut aussi renforcer une croyance répandue en la renommant « sagesse populaire », tous les populistes savent cela.
Il arrive qu’on veuille faire adopter son point de vue alors que beaucoup d’alternatives se présentent. La solution est alors de présenter des choix fermés permettant l’élimination de possibilités gênantes. Exemple : « tu es avec moi ou tu es contre moi ».
Cette existence d’autres voies est mise à profit par le bullshitteur coincé par de bons arguments. Comment ? En allumant un contre-feu, c’est-à-dire déplacer la discussion sur un terrain différent.
Je vous ai gardé la meilleure arme pour la fin.
Imaginons un vieil érudit, tout à sa joie d’épater un cercle de jeunes adeptes par ses vastes connaissances . Et la connaissance, c’est tellement plus classe que le savoir, n’est-ce pas ?
Mais voilà qu’est posée une question un peu vache, par un adepte qui laisse paraître qu’il n’est pas dupe de l’esbroufe. Que faire ?
La solution : « tu comprendras quand tu auras le bon grade ».
Bon, je dis ça, je dis rien. A bientôt !