ven 26 avril 2024 - 12:04

Le mot du mois : Ésotérique, exotérique

S’il est une caractéristique universelle, toutes cultures et époques confondues, c’est le goût du secret. Et le jeu des questions qui l’accompagnent. Qu’est-ce qu’on cache, qu’on tient particulièrement à cacher ? Pourquoi cet élément plutôt que tel autre ? Cela tient à la nature même du secret, à la fois marque d’une distance par rapport à la foule ordinaire, aussi bien que source de sécrétion d’un corpus commun à ceux qui vont le partager jalousement.

D’où l’opposition entre deux adverbes en grec, *ésô  et *éxô, ce qui est à l’intérieur et ce qui est à l’extérieur.

Esotérisme, exotérisme, ces deux mots parallèles ne présentent ni originalité ni diversité étymologique, une simple adjectivation des deux adverbes. Cette simplicité lexicale est inversement proportionnelle à la richesse qu’on accorde à leur contenu respectif.

Comme tout secret et le mystère qui l’entoure, l’ésotérisme se prête aux interprétations sournoises ou méfiantes, “complotistes” pourrait-on dire. S’il y a secret, il y a forcément “mauvaiseté”, mal caché, magie noire, satanisme et tutti quanti.

Doctrine plus ou moins élaborée des “choses intérieures”, l’ésotérisme se voit réservé aux seuls initiés qui en auraient appris les codes.

Dès l’Antiquité, grecque entre autres, une part de l’enseignement philosophique s’est ainsi distinguée par sa retraite affichée à l’encontre du monde extérieur, celui du profane, qui comme son nom l’indique, désigne celui qui, bloqué à la porte du sanctuaire, n’est pas admis dans l’enceinte sacrée. Ainsi se voit-il exclu de tout accès au pouvoir, tant royal et politique qu’intellectuel et doctrinal. Par exemple, en latin, *rex le roi “trace en lignes droites les frontières” entre l’intérieur et l’extérieur, acte fondateur de la construction d’un temple, d’une cité, d’un territoire. D’où le sentiment d’appartenance au groupe et, par antithèse, du rejet de la communauté ainsi délimitée.

L’ésotérisme primitif sanctionne le sacré, la communication avec le divin, le seuil interdit entre ce qu’on peut approcher et ce qu’on doit fuir, le tabou.

D’où l’idée de la secte, ce qui est coupé, séparé, que les disciples de Pythagore instaurent. Initiés, non initiés, d’un côté ceux qui savent, les fameux “sachants” à la mode, de l’autre, les ignares condamnés aux ténèbres de la non-connaissance.

A bien y regarder, un formidable pouvoir de ségrégation, d’ostracisme ! L’auteur syrien de langue grecque Lucien de Samosate (120-180) ne s’y est pas trompé en usant, sans doute le premier, de ce terme d’ésotérique, dans son dialogue, Sectes à l’encan, où il met en scène des enchères où sont vendus des philosophes célèbres vantés pour des caractéristiques fantaisistes, devant des acheteurs les plus ignorants.

Les “profanes” revanchards s’en sont ensuite donnés à cœur joie pour pister les divers arcanes de la pensée ésotérique, hermétisme, kabbales variées, illuminisme, alchimie, magie, divination, etc. Autant d’approches occultistes de ce qui reste le grand mystère, la mort.

L’obscur, le caché, l’extraordinaire exercent une fascination d’autant plus imparable qu’ils s’appuient sur un discours hors de portée du vulgum pecus. Croyances occultes, rituels inédits et difficiles à interpréter pour le non-initié, objets mystérieux, langage abscons – *absconsus en latin signifie “caché”. Ne surtout pas parler et agir comme le commun des mortels ! On n’est pas loin de l’accusation de recel de discours énigmatique, *ainigma en grec, ce qu’on dit à mots couverts, une parole significative difficile à comprendre. Recel, occulte, clandestin, un même sémantisme latin *celare, cacher.

Tout ceci peut apparaître rapidement comme une bimbeloterie de l’abracadabra kabbalistique et générer une méfiance, voire une hostilité de la part de ceux qui ne sont pas admis au partage.

La Franc-Maçonnerie en encourt fréquemment,- et dangereusement -, le reproche. Faute de dédramatiser en amont le vocabulaire et les symboles dont elle use en toute innocuité.

Il n’est pas inutile de rappeler que le compas fut longtemps considéré comme doué de pouvoirs occultes, voire de sorcellerie…

D’où la nécessité de “faire dans un exotérisme de bon aloi”, c’est-à-dire de clarifier ses intentions, non pas en dévoilant le secret intime que vit et assimile, par l’initiation, le néophyte, mais en dédiabolisant le concept de mystère. Des mots simples, une méthode symbolique offerte à la fresque imaginative de chacun. Qu’il la comprenne ou non, d’ailleurs.

Profanes, la porte vous est ouverte si vous désirez entrer dans la connaissance de vous-mêmes.

Annick DROGOU

Tu as dit “ésotérique“. Amateur de spéléologie, bienvenue à toi. Couvre-toi la tête d’un bon casque, allume ta lampe frontale et n’oublie pas tes cordes de rappel avant de plonger dans les gouffres oubliés. Visite l’intérieur de la terre…

Toujours des trésors cachés, des grottes Chauvet de la pensée, des messages laissés par la Tradition millénaire, signes et traces de ce qui nous restera éternellement inaccessible. Sous la surface des mots, dans l’épaisseur tellurique de la pensée, tu pars à la découverte.  Exploration fascinante et terrifique. Dès les premiers mètres sous terre, tu crois avoir tout vu mais le meilleur est encore à venir. Toujours plus profond, toujours plus loin. Attention au risque des surinterprétations, aux fausses routes et aux impasses, voire aux culs-de-basse-fosse doctrinaux. L’émerveillement devant une cathédrale souterraine du néolithique n’est jamais à l’abri des faussaires de l’art pariétal et le manque d’air peut t’enivrer dans le confinement des lumières voilées.

Tant de choses qui nous paraissent ésotériques parce que nous n’en avons plus les codes et à cause de notre incapacité à accéder, à accepter la patiente infusion de savoirs profonds, l’autre accès à la connaissance. Rien de commun entre l’exploration minutieuse d’un spéléologue opiniâtre et la visite par effraction d’un touriste en voyage organisé au Gouffre de Padirac. Notre société d’ascenseur ignore les lentes descentes avec cordes de rappel.

Car l’authentique message ésotérique n’est pas un rébus culturel à comprendre extérieurement ; c’est une injonction spirituelle à vivre de l’intérieur, au plus profond, en se gardant de toutes les illusions miroitantes. Jamais sûr d’avoir compris. Encore un voile à lever, une couche à gratter, une surface à traverser. Ce qui est en bas est toujours en haut, infiniment…. Comprenne qui pourra.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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