jeu 12 décembre 2024 - 03:12

Propos sur la Morale

La morale pour Platon, c’est la connaissance des règles du jeu qui comprend également la politique et le droit d’une société. Dans La République, Platon explique que la morale consiste, non pas en ce que veut le peuple, mais en ce que le juste et la justice soient ajustés à l’ordre intelligible du cosmos.

Également en référence à Platon, en vue de la reconstruction de la cité, la mystique Simone Weil appelle «le soleil du Bien» à se lever ; pour elle, une nouvelle civilisation, plus humaine, respectant véritablement l’être humain ne peut naître que s’il existe une ferme volonté collective de faire le Bien.

Cette vie morale est indissociable de la liberté. Au-dessus des institutions destinées à protéger le droit, les personnes, les libertés démocratiques, il faut en inventer d’autres, destinées à discerner et à abolir tout ce qui, dans la vie contemporaine, écrase les âmes sous l’injustice, le mensonge et la laideur.

Pour Nietzsche, la morale est la force des faibles coalisés, elle est mortifère car elle interrompt l’élan vital, tout en ne récusant pas l’idée de bon et de mauvais, affaires de circonstances.

Aux exigences des bonnes mœurs citoyennes, la Franc-maçonnerie ajoute des exigences qui lui sont propres, et tout d’abord l’esprit du lien fraternel. «L’Ordre des Free-Maçons fut institué pour former des hommes et des hommes aimables, de bons citoyens et de bons sujets, inviolables dans leurs promesses, fidèles adorateurs du Dieu de l’Amitié, plus amateurs de la vertu que des récompenses… De sorte que notre Institution renferme toute la philosophie des sentiments et toute la théologie du cœur» écrit le Chevalier Michel de Ramsay dans son fameux Discours de 1737.

Car, comme l’écrit Chevillon dans  Le vrai visage de la maçonnerie, «l’amour prend sa source dans l’universelle fraternité des êtres appelés à une même fin. De cet amour résultent la compassion, la miséricorde, la bonté, la charité et toutes les vertus. Par conséquent, le maçon doit déraciner en lui-même l’égoïsme et avec lui tous les vices dont il est le support, cultiver et élargir sans cesse l’amour et les vertus capables de fleurir sur cette tige embaumée».

Le mot hébreu «tsidakati» (צִדְקָתִי), peut se traduire par «ma droiture», sa racine signifie tout à la fois : innocence, justice, vérité, bonté, faveur, grâce, clémence, bienfait, délivrance !

C’est une aspiration vers un état de perfection, une façon idéaliste de concevoir un futur-être pour l’initié et l’humanité, avec ses kyrielles d’utopies sous-jacentes dont le temple idéal de l’humanité. Ce qui lui est particulier c’est le véhicule ; c’est-à-dire le rite initiatique. Ce dernier est en effet une allégorie élaborée de la vie qui engendre, chez l’initié, une profonde méditation, une perception et une action intérieure grâce auxquelles l’homme se révèle à lui-même, dépasse ses propres limites et son soi.

Comme pour Kant, la soumission au précepte moral est d’origine interne et procède de la seule voie de la conscience. La loi morale est obéie par respect pour l’impératif catégorique qui retentit en nous-mêmes : tu dois agir de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen.

Mais, ce qui fonde le jugement de quelque chose comme bien ou mal dépendrait-il des conséquences de cette action ou seulement de son intention ?

Paul Ricœur, définissant l’éthique comme la visée personnelle de l’action qui utilise les outils de la morale, ouvre des questionnements : L’éthique s’appuie-t-elle sur la morale ? Ou bien l’éthique se différencie-t-elle de la morale par le libre choix d’un individu qui est une prise de décision spontanée et libre, conforme à la conception du bien et du mal qu’il se fait, sans référence à une morale? «La morale : c’est un code de la société destiné à permettre la survie de l’individu ; l’éthique : c’est un code individuel destiné à permettre la survie de la société»  (Théodore Sturgeon, Les plus qu’humains, p. 289, 1990).

La définition d’Emmanuel Lévinas éclaire particulièrement ce concept. L’éthique n’est pas seulement un discours formaliste mais une attitude. L’éthique ouvre la possibilité de passer de l’émotion à l’action. Pour Lévinas, on n’est pas homme instinctivement. «On devient homme par la réflexion que l’on a soi-même sur l’homme». Désirer le bien dans l’élan naïf du cœur est nécessaire, mais n’est pas suffisant. La passion, dit-il, doit se méfier de son pathos, devenir et redevenir conscience. Ainsi définie, l’éthique constitue le fait de culture par excellence. Le maître mot de la définition de l’éthique est donné ici à l’étude : la conscience. «L’appartenance à l’homme en tant qu’homme suppose la tradition, la littérature et la science. La justice est difficile à l’ignorant. L’humanisme est une extrême conscience.» L’éthique, c’est «la morale plus l’étude». Nous retrouvons ici l’union de l’âme et du cœur, de l’esprit et du corps. Cette définition s’applique pleinement me semble-t-il à une démarche maçonnique adogmatique et à visée de réflexion sociale. Parler avec son cœur et son vécu émotionnel ne permet pas seul de répondre à la question : «à quoi me servent, en tant que citoyen, les outils symboliques que je manipule ?». De plus, l’émotion ne demeure souvent que le produit de notre vécu et donc de notre égo. L’émotion est furtive, changeante et manipulable, surtout lorsque l’on se déplace sur les questions de politiques et de normes sociales. L’abstraction de la réflexion construit la réflexivité de la perception, le miroir de l’esprit, peut-être est-ce cela la conscience.

Devenir Franc-maçon c’est aussi apprendre, par l’étude analogique des outils symboliques à passer du ressenti à l’engagement. Mais la réflexion en sens inverse est aussi possible : l’émotion est nécessaire, l’intellectualisation extrême ne construit pas le travail de connaissance humaniste de soi. L’identification de la globalité de chaque individu comme phénomène implique le dépassement d’un existant émotionnel non renié, mais assumé[1]

La connaissance de la symbolique des outils, des mythes utilisés et des rituels atteste que la Franc-maçonnerie veut, par leur approfondissement, permettre d’accomplir une œuvre de perfectionnement de soi en favorisant l’ouverture de la conscience. La Franc-maçonnerie se définit elle-même comme un système de philosophie morale,  à visée personnelle, enseigné sous le voile de l’allégorie au moyen de symboles ; elle est une proposition d’éthique.

La Franc-maçonnerie est une pratique des vertus et un idéal avec sa spécificité quant à ses sources, sa finalité, son contenu, son domaine et sa sanction. La Franc-maçonnerie est un syncrétisme des vertus cardinales héritées de la Grèce antique, des vertus théologales obtenues de la chrétienté et des apports moraux des Lumières du XVIIIe siècle, mâtinés de modernité ; elle est une philosophie apportant des réponses à la question de la vie bonne. Pour le franc-maçon, la morale s’apparente au respect d’autrui auquel s’ajoute, surtout, quelque chose de l’ordre de la bonté, de la bienveillance, de la bienfaisance et de la prudence. À creuser un tombeau pour les Vices, on pourrait oublier d’ériger des autels à la Vertu !

«La Maçonnerie trouve dans ses traditions un idéal moral que nous croyons au moins égal sinon supérieur à celui des religions ; cependant, si les maçons disaient qu’il y a parmi eux plus de vertu effective, c’est-à-dire moins de défaillances que dans un groupe quelconque d’honnêtes gens, nous serions les premiers à rire d’une si outrecuidante sottise.» (Pierre Tempels). 

Les Codes maçonniques

Il s’agit de textes où on y entend aussi la notion de préceptes, de devoirs maçonniques

Le Code maçonnique serait d’origine belge (gravé initialement sur une médaille avec le titre de Préc\ maç\)  pour répondre aux accusations d’hérésie, de satanisme et de complotisme des francs-maçons qui ont conduit à leur excommunication de l’église en 1837.  Cependant, ce Code possède une antériorité, maçonnique, dans un texte allemand de 1784, Taschenbuch für Brüder Freymaurer auf das Jahr en 1784 [2] .

Certains ont prétendu que ce code fut repris par Grillot de Givry, ajoutant un texte à la fin, avec des références à l’alchimie et à l’ésotérisme, tranchant avec l’esprit moraliste de l’époque[3]. Dans son ouvrage Grand Œuvre, XII Méditations sur la voie ésotérique de l’Absolu, ne se trouve que cette partie, à la Méditation VI !

Les herméneutiques, les interprétations des mythes prennent plusieurs directions, mais la plus communément admise et la plus répandue est l’herméneutique moralisatrice. Les créateurs du mythe d’Hiram ont voulu enseigner des vérités morales. Cette herméneutique est aussi propédeutique, le mythe maçonnique a des visées pédagogiques ; se perfectionner, pratiquer la bienfaisance et respecter ses engagements sont les piliers sur lesquels s’appuie l’idéal d’un maître…

Le code maçonnique est une doctrine qui trouve tout son sens par l’engagement et le comportement du franc-maçon en loge et dans la vie profane. Le Code maçonnique constitue, surtout, une référence pour appréhender et comprendre  une exigence morale, il est presque une admonition.

Il existe plusieurs codes maçonniques dont les deux exemples ci-dessous montrent le visage spécifique qui différencie sans opposer deux courants : celui qui se réclame de la Régularité de la GLUA (en trois points, croire en Dieu, pas de femme, pas de discussions politiques) et les autres.


[1] Note 17 de l’article La Louve (Lewis) et ses compléments

[2] Remarque faite dans le commentaire 22, par Daxad le 29 mai 2020. Accès réservé aux abonnés.

[3] Robert DUFAUT, Réflexions sur le Code maçonnique.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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