jeu 25 avril 2024 - 08:04

Henri Laborit, médecin prescripteur de sublimation

Médecin, chirurgien, neurobiologiste, philosophe, pionnier de l’eutonologie (agressologie), Henri Laborit (1914-1995) est un esprit curieux, passionné par le comportement social de ses congénères. Il ne se contente pas toutefois de l’observer : conscient que l’Homme est indépendant par nature et dépendant par nécessité, il cherche le moyen de résoudre cette contradiction.

Comment préserver le désir personnel de la loi du nombre ? Sans nourrir la prétention mégalomane de réformer radicalement la société agressive, sans soumission non plus aux « hiérarchies de dominance » qui la caractérise, comment permettre à l’individu de rester normal par rapport à lui-même ? Dit autrement, comment lui permettre de conserver son autonomie d’action selon sa volonté, tout en vivant parmi les autres ? Le premier geste du chercheur est avant tout de soulager la souffrance physique et morale. Il révolutionne la chirurgie et la psychiatrie avec l’introduction dans les années 1950, de la chlorpromazine (Largactil), premier neuroleptique au monde, ainsi que plusieurs autres psychotropes.

Les effets de ces molécules sont spectaculaires en milieu hospitalier spécialisé. Elles libèrent les malades atteints de catatonie (état de passivité et d’inertie motrice) caractéristique de la schizophrénie : ils communiquent derechef. Par ailleurs, ceux affectés d’agitation maniaque retrouvent leur calme et l’atmosphère bruyante, voire furieuse, des asiles psychiatriques est radicalement changée. Ces lieux redeviennent tranquilles. La psychothérapie, de nouveau possible, redonne sa place à la parole normalement échangée, entre soignants et soignés.

S’il est satisfait de constater l’action bénéfique des neuroleptiques sur les malades mentaux, Henri Laborit veut aller plus loin ! Il est persuadé que nombre de maladies trouvent leur source dans l’inhibition de l’action, consciente ou inconsciente. Il remarque précisément que les personnes concernées, « réfugiées dans la démence » sont dans un état d’équilibre biologique en milieu protégé qui leur permet d’éviter nombre de maladies graves. (Ex : les statistiques démontrent la faible incidence du cancer et des pathologies somatiques chez les psychotiques).

Ce qui lui fait dire : « Nous négocions notre instant présent avec tout notre apprentissage, nos automatismes, tout ce monde inconscient qui vit en nous et constitue ce qu’il est convenu d’appeler une personnalité humaine. C’est cet ensemble invisible, inconnu, qui décide de mon inhibition ou de mon action à un moment donné de mon histoire et qui va donc présider à ma santé ou à ma maladie. Mais alors qui est malade et par rapport à quelles normes? Est-ce l’individu à son niveau d’organisation psychobiologique, ou l’environnement social qui l’englobe ? ». Surgit ici la question de notre libre arbitre.

Chaque franc-maçon, chaque franc-maçonne devrait lire le best-seller d’Henri Laborit : Eloge de la fuite. Dans ce livre, il pose nos interrogations majeures et y apporte ses réponses, dictées par une grande finesse intellectuelle. La liberté, les autres, le travail, le sens de la vie, le passé, le présent, l’avenir, la foi, la mort. Autant de séquences de la condition humaine, génératrices de l’angoisse existentielle !

Cette peur sourde, inexprimable au quotidien, que les froides relations dans notre société moderne de production, enferment encore plus chacun, chacune, prisonnier de sa structure biologique. Angoisse ancestrale de ce monde incohérent, à la vraie angoisse de cette incompréhension de soi-même et des autres. Ces autres « moi » dont les mêmes désirs s’opposent aux nôtres et qui sont ainsi avec nous, les acteurs du rapport dominant-dominé, caractéristique de tout groupe !

Sachant que ceux qui y imposent leur supériorité créent et soumettent d’emblée des inférieurs, Henri Laborit déconseille au rebelle l’affrontement, lequel ne peut qu’engendrer une échelle hiérarchique de dominance. Dès lors que faire, sinon fuir ! Certes, il y a diverses formes de fuite : l’alcool, la drogue, la clochardisation, la folie, le suicide. Le retrait sur une ile déserte. La démission de son travail. En ces temps de chômage, celle-ci n’est pas la meilleure solution! Laborit propose une autre façon de fuir : l’évasion dans le monde de l’imaginaire. Soit tous les plaisirs de la pensée – de l’art à la philosophie, de la poésie à la créativité – pour résister à la pression sociale. A condition, bien sûr, de déboucher en toute sécurité, sur le « gouvernement et la réalisation de soi » !

Sublimer, c’est s’échapper, certes. Les confréries initiatiques permettent cette aventure de l’esprit. A partir de sa riche mythologie, la franc-maçonnerie bien comprise – lorsque cordon n’est pas confondu avec galon – s’inscrit dans le « processus laboritien ». Elle est un magnifique moyen de gratification dudit imaginaire ! Mais si l’exercice de ses rites est manipulé par une hiérarchie de dominance – avec des dissensions concurrentielles et les entraves qui en découlent – la loge est transformée en prison : le franc-maçon et la franc-maçonne sont alors mis en inhibition d’action ! Et, nous dit Henri Laborit, s’impose à nouveau…la fuite salutaire !

    Extrait de son livre « Eloge de la fuite » Editions Robert Lafont – 1976 :

« Quand il ne peut plus lutter contre le vent et la mer pour poursuivre sa route, il y a deux allures que peut encore prendre un voilier : la cape (le foc bordé à contre et la barre dessous) le soumet à la dérive du vent et de la mer, et la fuite devant la tempête en épaulant la lame sur l’arrière avec un minimum de toile.

 La fuite reste souvent, loin des côtes, la seule façon de sauver le bateau et son équipage.

Elle permet aussi de découvrir des rivages inconnus qui surgiront à l’horizon des calmes retrouvés. Rivages inconnus qu’ignoreront toujours ceux qui ont eu la chance apparente de pouvoir suivre la route des cargos et des tankers, la route sans imprévu imposée par les compagnies de transport maritime »

Vous connaissez sans doute un voilier nommé « Désir » !

Henri Laborit nous rappelle que la culture du silex taillé reliait l’homme primitif au cosmos. Les pratiquants de l’Art Royal d’aujourd’hui sont ainsi invités, en taillant leur pierre, à lever souvent les yeux vers la voûte céleste. Pour s’enfuir dans les étoiles et maintenir cette reliance !

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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