sam 23 novembre 2024 - 00:11

L’histoire tragique d’Hypatie d’Alexandrie

Hypatie d’Alexandrie: quand une femme devient le témoin gênant de son époque.

Au cœur de son cénacle, Hypatie d’Alexandrie œuvre auprès d’hommes qu’elle inspire, forme, instruit à la sagesse. Mais une voix célèbre de la doxa chrétienne, le mal nommé Saint Cyrille, signe son arrêt de mort. La philosophe héritière de Plotin, mathématicienne et contemporaine de Socrate le Scolastique, est massacrée par les premiers chrétiens en 414. Sa fin tragique, sonne-t-elle le glas de la luxuriante culture alexandrine? Retour sur les pas de celle qui inspira en 2009 le réalisateur Alejandro Amenabar pour son film AGORA, et Maria Dzielka pour son essai très érudit: Hypatie d’Alexandrie.

Que symbolise Hypatie d’Alexandrie?

Il y’a des siècles plus tragiques que d’autres dans l’histoire de l’Antiquité; et la période de l’Antiquité tardive, c’est à dire, celle trois siècles après notre ère, est sans conteste la plus douloureuse pour les hellènes qui pratiquent encore le paganisme et cohabitent avec les premiers chrétiens.

Il devient difficile de fréquenter les temples païens dès 391. Les premiers chrétiens détruisent la citadelle du paganisme Le Sérapeion. Pourtant, on philosophe dans les rues d’Alexandrie et l’hellénisme sert au christianisme, de part la Beauté, l’imaginaire, l’érudition des lettres, le flamboiement de la pensée grecque. Néanmoins, cette tolérance va faire feu de tout bois pour des raisons politiques et des conflits d’intérêts entre Oreste le préfet d’Egypte et Cyrille le nouvel l’archevêque d’Alexandrie.

Ainsi, décennie après décennie, l’image mythique des Dieux grecs sombre jusqu’au martyre d’Hypatie, une des dernière femme à porter l’esprit brillant de Plotin et l’héritage de Ptolémée.

Mais l’Esprit de celle, mise à nue sur les marches du Temple, humiliée, torturée, symbole du fanatisme catholique, renait au Siècle des Lumières et à la période romantique. Nombreux sont ceux à rendre hommage à la philosophe: Voltaire, De Narval, Leconte de l’Isle, Hölderlin…tous avec affection, parfois avec rage ou candeur, font briller l’Esprit d’Hypatie d’Alexandrie. Jusqu’à notre époque où des chercheurs universitaires tentent de rétablir son travail dans les livres d’histoire. A sa juste place.

Quand est née Hypatie d’Alexandrie?

Historiquement, Hypatie d’Alexandrie est née vers 355 après notre ère, nous apprend l’universitaire Maria Dzielka qui consacre un ouvrage à la philosophe, et non en 370 comme il était communément admis jusque là. Elle est morte en 414 à l’âge de 60 ans. Nous sommes loin de l’image de la jeune et belle Vierge au corps aphrodisiaque, mutilée et martyrisée brossée par les romantiques. Et pourtant cette image d’Epinal perdure, car c’est la belle Rachel Weisz qu‘Alejandro Amenabar choisit pour incarner son Hypatie. Tout porte à croire qu’une légende ne peut se transmettre que si elle contient en elle même une part de fantasme, d’irréaliste beauté, de jeunesse bafouée, selon les goûts et les modes. Quitte à être historiquement incorrect.

Agora d’Alejandro Amenabar – Bande-Annonce VF – YouTube

De la légende à la Vérité historique

En réalité, toute sa vie, Hypatie la passe à Alexandrie auprès de son père le célèbre Théon. Grand mathématicien, astronome, commentateur d’Euclide et de Ptolémée, il transmet à sa fille l’excellence du raisonnement et le goût du questionnement de la science hermétique. Dans l’Antiquité, tous les mathématiciens s’intéressent à l’occultisme, à l’astrologie, à l’observation de la nature, aux mystères hermétiques et aux augures. Lui même passionné de littérature, Théon écrit des poèmes sur le thème de l’astrologie, dont deux qui sont attribués à Hermes en personne dans le Corpus Hermeticum. Un de ses poème s’intitule le Peri Heimarménès et fait gloire à l’Univers.

Et, c’est dans ce contexte d’érudition, mais aussi de recherche de perfection et d’Ethique que la jeune Hypatie grandit, s’inspire et collabore avec son père. Les commentaires de l’Almageste de Ptolémée et les Tables Manuelles astronomiques sont deux œuvres communes entre père et fille qui ont résisté aux assauts du temps.

Mathématiques, astronomie, philosophie, Hypatie touche à tout.

Alors que l’histoire encore ne retiendra que ce qui sied le mieux au pouvoir ecclésiastique pendant les siècles suivant la chute de Rome, Théon jouira d’une plus grande gloire que sa fille. Pur une raison précise: les ouvrages et commentaires d’Hypatie se sont perdus dans les dédales de la mémoire des historiens par le pluralisme des dons de la savante. Mais par quelques efforts de chercheurs tels que: Cameron, Toomer et Knorr pour ne citer qu’eux, l’héritage d’Hypatie et son contenu la rétablissent dans sa vérité histologique.

Au cœur d’Alexandrie, Hypatie est donc une experte à part entière dans de nombreux domaines. Beaucoup de ses contemporains dont Socrate le Scolastique et Damascius un siècle plus tard témoignent de ses vertus et de ses talents.

Citation de Socrate le Scolastique
Damascius-La vie d’Isidore

Son cénacle et ses compagnons

Une vie vouée à la recherche de perfection.

Bien avant la mort de Théon, Hypatie mène une vie d’ascèse et de quête philosophique, dans le grand sens du mot qui est donnée à cette discipline. Néoplatonicienne, elle estime que dans la recherche métaphysique, l’astronomie est la discipline la plus élevée. Encourageant ses élèves à construire un astrolabe pour examiner les astres célestes, elle escompte surtout éveiller les esprits de ses étudiants.

Elle leur présente les grands principes de la géométrie à partir d’Apollonius de Perge, d’Euclide et de Pythagore. Et pour l’arithmétique c’est Diophante d’Alexandrie qui est commenté, sans omettre le grand Ptolémée. Ses cours qu’elle présente connaissent un franc succès, on vient de Syrie, d’Athènes de Constantinople pour y assister.

En outre, Hypatie enseigne lors de conférences publiques auprès d’Oreste, figure impériale d’Alexandrie entre 412 et 414, personnage relié directement à la mort de la savante. En grande humaniste, elle tolère aussi dans son cénacle les étudiants chrétiens, n’étant en rien opposée à la doctrine christique.

Parmi ceux qui suivent ses brillants enseignements, quelques figures nous sont plus ou moins familières: Herculien, Synesios de Cyrène, Olympios…tous ses étudiants Hypatie les nomme: compagnons (hetairoi)

Les enseignements théurgiques et les mystères

Même si le concept d’enseignement théurgique n’est pas utilisé ni prononcé en tant que tel dans l’enseignement d’Hypatie, ses disciples écoutent avec attention ses commentaires sur Platon, Aristote, Pythagore, Plotin. Mais quelques uns ont le privilège de participer à l’enseignement des Oracles Chaldaïques (la bible du néoplatonisme), la philosophie de Jamblique et d’Hermes, pour élever leur conscience dans la recherche de la plus grande pureté spirituelle. Hypatie et ses disciples examinent les écrits qui ont le pouvoir de révéler le divin et le mystère de l’être, selon les doctrines les plus secrètes.

Synesios, instruit par Hypatie nous laisse un échantillon de ce qui est enseigné par la “guide divine” dans deux ouvrages remarquables: Les Hymnes et le traité sur les songes, en plus d’un correspondance avec sa guide spirituelle très dense et précieuse. Hypatie enseigne les mystères de l’être et dit d’elle même, tout comme le dirent Empédocle et Apollonius de Tyane: “je fus pendant un temps fille et garçon”. Les prèmices de l’alchimie ?

Notons toutefois que parmi toute la correspondance qu’elle entretient avec Synésios, il n’est jamais question de magie, de rituellie sacrificielle. Hypatie enseigne l‘hellénisme culturel et non religieux. La philosophe cherche l’Intellect tel qu’il est développé par la philosophie de Platon et non la dévotion. Il est par ailleurs tout à fait plausible selon sa dernière biographe en date, Maria Dzielka, qu’Hypatie ne croit pas en Dieu. Cela peut sans doute expliquer son refus de se convertir au christianisme. “Personne n’a vu Dieu”, écrira t elle à Cyrille. Quand on cherche la Vérité on n’a pas besoin de croire puisque la Vérité est inatteignable.

La fin tragique d’Hypatie d’Alexandrie

La tolérance est pour Hypatie une source féconde de pureté morale, mais tout le monde autour d’elle n’a pas la même hauteur de vue. Le paganisme fait l’objet d’un marchandage politique entre Oreste le préfet d’Egypte et Cyrille l’archevêque du temps de l’empereur Théodose premier, responsable de l’Edit en 391 qui interdit toutes les religions polythéistes et fait du christianisme la religion d’Etat. Et lorsque ce dernier meurt, en 395, son petit-fils Théodose II, ne fait rien pour tempérer le conflit entre chrétiens, juifs et païens. Aussi, après 412, le climat politique se tend considérablement dans la partie orientale de l’empire romain.

Amitiés et relations politiques d’Hypatie

La renommée d’Hypatie ne se limite pas qu’aux portes d’Alexandrie en cette année 414. Et ses nombreux disciples occupent à présent des hautes fonctions impériales dans l’Empire romain oriental. Hypatie conseille en recevant dans son cénacle tous les hauts digitaires. Néanmoins, Cyrille est l’ensemble du clergé perçoivent très mal son influence. Et le fait que les alliés d’Hypatie sont majoritairement chrétiens gêne aux entournures. Il faut donc trouver un moyen détourné pour se débarrasser de la païenne.

Et rien ne vaut mieux qu’une rumeur pour enflammer les esprits de la population et la laisser s’enfoncer dans la crasse superstition. Le tout…avec l’aide de Dieu…

Hypatie la sorcière maléfique?

Cyrille orchestre une sordide machination qui de son point de vue est un pieux mensonge nécessaire à accomplir pour la grâce de Dieu. L’hérésie d’Hypatie ne fait aucun doute pour lui. C’est une sorcière! D’ailleurs, si la païenne est tant écoutée et respectée c’est parce qu’elle séduit son auditoire en jetant des sorts, à commencer sur Oreste.

Cette fausse rumeur agit comme une trainée de poudre et se répand dans les ruelles. Le récit de Damascius sur la mise à mort d’Hypatie témoigne de l’horreur qu’elle a subi: “Au moment où elle sortait selon son habitude, un groupe compact et nombreux, de vraies misérables bêtes féroces, n’ayant pas la notion des Dieux vengeurs, ni de la justice indignée, se jettent sur elle et la massacrent, infligeant par ce crime à leur patrie le plus grand sacrilège et une honte ineffaçable.”

Selon Gibbon, Hypatie est jetée au bas des marches d’une église: “Ils découpèrent son corps avec des écailles d’huitres et ainsi mutilée on la jeta au feu. De l’argent donné à propos arrêta l’enquête juridique qui suivit ce forfait, mais le meurtre d’Hypatie a laissé une souillure ineffaçable sur le caractère et la religion de Cyrille d’Alexandrie.”

La disparition d’Hypatie marque t-elle la fin de l’hellénisme?

L’accusation du meurtre d’Hypatie contre Cyrille ne fait aucun doute pour les historiens. Damascius dans son œuvre la Vie d’Isidore, évoque le mobile de la jalousie. Si on ne peut atteindre le talent, il est souhaitable de s’en débarrasser par choix politique.

Certains avancent l’idée qu’en anéantissant Hypatie, Cyrille escomptait aussi anéantir la culture hellénique. Comme il s’est trompé! L’esprit hellène ne cessera jamais de briller même après le meurtre d’Hypatie. D’autres érudits et d’autres femmes transmettront le flambeaux dont Damascius, Aedesia, Olypiodore, Sôsiâtra. Cette dernière associera même le platonisme mystique à la théurgie.

L’aura d’Hypatie se fait silencieuse après la destruction des Temples. Et après les premières exactions catholiques qui se déverseront dans toute l’Europe. Ces dernières plongeront le monde dans une période d’obscurantisme religieux. Mais de Tolland à Voltaire, jusqu’aux chercheurs d’aujourd’hui, Hypatie incarne à la fois un symbole de liberté contre la pensée dominante, le pouvoir d’aller au bout de soi-même. Au bout de son Idéal. Ainsi, Et contre toute attente, les féministes en font aujourd’hui un symbole de liberté sexuelle (Hypatie est morte vierge selon sa volonté).

Puisse notre époque nous préserver du retour de la superstition et du suprématisme cultuel !

Pour aller plus loin:

Livre: Hypatie d’Alexandrie de Maria Dzielska aux éditions Antoinette Fouque. Retrouvez ma chronique sur Instagram: christellemanant

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Christelle Manant
Christelle Manant
Christelle Manant est consultante en rédaction web SEO. Elle est également auteure d’un livre « la lumière brille dans les ténèbres… » paru aux éditions Maïa, qui relate le parcours de 3 personnages en quête de paix et dans lequel chacun se vautre dans les 7 péchés capitaux tout en cheminant entre Rennes le Château et la Calabre, en compagnie du génial Dante Alighieri (la divine comédie), jusqu’au point de solitude, où chacun doit apprendre à vivre avec sa part d’ombre et sa part de ténèbres. Par ailleurs, elle a suivi l’enseignement du regretté Jacques Bouveresse sur « la nécessité et la contingence chez Leibniz » et s'est tourné vers la sémiotique et l’ontologie du pragmatisme peircien avec Claudine Tiercelin (Collège de France) en 2021.

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