Qui imaginerait que la sollicitude participe du même champ sémantique que le cinéma, la citation, le récital et le souci ?
Et pourtant…
L’idée de base est la même, issue d’un sémantisme très ancien, *kei-ki, qui exprime le mouvement, ce qui fait bouger, quitte à troubler, voire bouleverser.
Ainsi le kinésithérapeute soigne par le mouvement et le cinéma(tographe) “écrit” le récit en images mouvantes.
Les Grecs conçurent, dès l’Antiquité, de très ingénieuses machines, un « cinéma » qui racontait une légende avec images animées et accompagnement sonore. Aucune intervention humaine. Par sa seule force, un poids de plomb accroché à une corde descendait à rythme régulier dans un cylindre ralenti par l’écoulement de sable. Un spectacle racontait Dionysos, faisant jaillir le feu, couler l’eau, le vin, au son des tambours, on y voyait les danses des Bacchantes. Un seul premier cordon mettait en mouvement ce théâtre par des jeux de très longs fils, de bobines, autour d’axes en mouvements rotatifs alternés. Selon une rigoureuse et astucieuse géométrie, dont les Grecs furent les promoteurs.
Le verbe latin *ciere, de même signification, se combine avec nombre de préfixes, in-, ex-, re-, solli-, sus-. On cite les mots pour le récit, le récital ou le récitatif, on excite les appétits,on incite à la méditation. En soulevant les idées, on suscite la réflexion, on ressuscite les corps. Et se profilent le trouble, le bouleversement auxquels n’est pas immanquablement affectée une nuance péjorative. Solliciter l’intérêt de quelqu’un marque une réciprocité féconde, parce que la sollicitude témoigne d’un élan de sincérité, de sympathie, voire de tendresse. Là est la signification profonde du souci, qui est lui aussi issu du latin *sollicitare.
J’ai le souci de toi, je suis soucieux de ton bien-être comme de ton malaise. Ma sollicitude n’induit-elle pas un équilibre dans la relation ? Nulle pitié ni condescendance, j’accepte que cette rencontre me dérange et me trouble, bouleverse mes certitudes. Je n’en renie pas les conséquences,délicieuses ou contrariantes, parce qu’elles ressuscitent en moi des pans d’identité inconnue, refoulée, encore inerte. Et cet inconfort m’interdit la fixité, l’immobilité stérilisante de mes certitudes ancrées.
La sollicitude n’est pas une pitié complaisante et satisfaite, une indiscrétion. C’est une vigilance, un questionnement en miroir.
Annick DROGOU
Il est des assonances de mots qui amusent les enfants, solitude, sollicitude, solitaire, solidaire. Il est des mots qu’il faudrait laisser résonner comme on entend le son du gong qui se prolonge : sollicitude. C’est un mot qu’on aimerait prononcer plus souvent et ne pas oublier, car il n’a pas d’équivalent. Non, la bienveillance, ce mot tant à la mode par la grâce des spiritualités orientales, n’a pas la force de la sollicitude, La bienveillance n’engage pas à grand-chose : on veille en bien quand par sollicitude on s’engage, on sort de soi, on ex-iste.
J’ai besoin de ta sollicitude, que tu aies souci de moi. Je ne te demande pas seulement l’impersonnelle solidarité. Je veux que tu répondes à mon appel, à ma sollicitation. Je demande ton affectueuse intervention. Merci de ta sollicitude, tu n’as pas été indifférent. Et quand je t’ai sollicité, tu m’as répondu.
Je sais ta réponse. Tu pourras me solliciter et je te répondrai. Rien de surplombant, tout de fraternel. Qu’est-ce qui nous requiert ce matin ? Par qui, par quoi sommes-nous sollicités ? Par notre commune humanité. Humanité, cet autre mot qui signifie infiniment plus que notre appartenance à l’espèce humaine et qui me dit que tu sauras faire preuve d’humanité, de cette humanitas qui nous fait pleinement humains, Ta sollicitude comme mouvement, cet élan réciproque, qui nous constituent frères et sœurs.