ven 19 avril 2024 - 04:04

Le mot du mois : « RESPECT »

« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn », écrit Victor Hugo dans La Légende des siècles. Métaphoriquement, tout y est dit, ou presque, du respect.

Car on y repère le préfixe re- qui exprime la réciprocité, le retour sur soi, sur un chemin, sur un regard surtout.

De *spek-, sémantisme indo-européen qui signifie voir, regarder, le grec inverse les consonnes, *skeptomai, *skopeô, sans en modifier l’idée. Episcopal, le pouvoir de l’évêque, voire archiépiscopal sur l’archevêché. En seconde partie de nombreux mots, -scope permet le regard circulaire, périscope, gyroscope, il s’infiltre dans la cage thoracique, stéthoscope, traque le très petit, microscope, ou le très lointain, télescope. Du haut d’un rocher par exemple, *skopelos, donc un écueil. D’ailleurs, fouiller avec méfiance ne rend-il pas sceptique ?

Le latin, quant à lui, conserve l’ordre premier des consonnes, *specere, *spectare, *spectaculum. L’idée générale en est le spectacle sur l’espèce, la spécialité, sans forcément spécifier. Regard sur la belle apparence, même mensongère, du spécieux, sur le spectre, qui désigne la forme visible d’un mort qui réclame son dû de rituels de purification. Auspices divinatoires chez les Latins, dont les haruspices ont pour fonction d’observer et d’interpréter le vol des oiseaux.

Tout spécimen mérite observation, par son aspect. A l’oeil nu, ou encore grâce au *speculum, miroir médical ou plus métaphorique, qui autorise la spéculation, l’introspection, voire la circonspection.

Qu’attend-on de cette observation, cette inspection intime dans l’expectative d’une découverte inédite de soi ? Car mettre en autre perspective ses idées premières, ses présupposés, ouvre le champ d’une perspicacité au risque parfois d’un bouleversement inopiné, quand on joue impunément au prospecteur. En quête d’un autre horizon, d’une autre mine ? Pour quel trésor enfoui ? De quoi épicer une vie bien terne ? Gare au dépit de l’espérance déçue !

Ce qu’enseigne tout cheminement de vie, c’est qu’on n’échappe pas à l’Autre qui est à côté de soi, en face, derrière. Sauf à jouer à l’ermite en plein désert, aucun répit n’est loisible dans la cohabitation. Vivre suppose épier l’alentour, dans la bienveillance ou le soupçon, la suspicion du danger ou l’accueil chaleureux du partage. Ainsi autrui s’avère-t-il être un miroir – speculum toujours…!-, incontournable, bouleversant, irréversible. Autrui m’interdit la fuite, dès que je le vois, il m’observe en retour, appréciation mutuelle dans le re-spect au sens propre. Ainsi apprend-on à être respectable, digne d’être regardé. Le simple coup d’oeil dépasse déjà l’indifférence, la pitié ou le mépris en seront immédiatement sanctionnés en retour. Chaque regard induit la réciprocité et Caïn tente en vain d’échapper au miroir de sa culpabilité assassine.

Le respect nie définitivement la cécité.

Annick DROGOU

 

Respect, un mot qui tient debout tout seul. Rien à ajouter. À la rigueur, un qualificatif qui ne fait pas dans la nuance : total respect. C’est ainsi qu’à notre époque, on rend hommage à une action ou à un personnage. Comme par une interjection : total respect. Comme s’il n’y avait rien à commenter, comme si toute explication pouvait amoindrir l’hommage. Reconnaissance. En exprimant du respect, j’affirme ce que j’ai reconnu comme respectable.

Le respect suppose de l’admiration, de la considération, une nécessaire distance. Mais il n’est pas pour autant une passive soumission. Celui qui l’exprime fait preuve lui-même d’autorité en formulant ce jugement. Quiconque est capable de dire son respect à l’égard de quelqu’un ou de quelque chose, apporte la preuve qu’il en sait la nature, même confusément. Et quiconque a conscience de ce qu’est le respect, commence par se respecter soi-même. Comme un signe de civilisation, bien plus que de civilité.

Le respect est de l’ordre du sacré. Le sacrilège est son contraire. Respect pour ce qui nous touche et que l’on n’ose toucher. Sublime respect. Qu’est-ce que je respecte, et qui ? S’il induit une certaine distance, il ne supprime pas l’amour. Il est toujours une réponse. Je respecte ce qui m’est important, ce que je prends en considération, ce que j’aime et avec qui je crée une relation. Respect de mon frère que je sais sacré. Dans notre égale dignité et notre commune vulnérabilité.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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