sam 20 avril 2024 - 06:04

Le mot du mois : OXYMORE

Le mot est strictement grec, composé de deux racines, *oxus, ce qui pique, ce qui est pointu. L’oxyde par exemple. Ou l’oxygène ainsi nommé par Lavoisier en 1777. Ou le paroxysme qui est une excitation hors de toute mesure. Et *môros désigne le sot, stupide, hébété, nigaud.

Tel le clown qui dérange par son apparente folie, la maladresse de ses gestes, la bêtise de ses réactions. Le fou du roi, par exemple, s’attire sciemment le rire et la dérision par les singeries qui définissent sa fonction aux pieds du monarque. Copie déformée du maître, il porte le bonnet bicolore à pointes alourdies  de clochettes, quand la tête du roi est ceinte de la couronne, et sa marotte figure le sceptre. Il répète mécaniquement les paroles royales, pour en montrer ainsi l’inanité ou l’autoritarisme.

Lucien de Samosate, grammairien grec de la fin du IIe siècle de notre ère, invente le morosophe, le fou-sage, et Érasme au XVIe siècle s’en empare à son tour, dans son Éloge de la folie. Le sage fou détient un savoir qui accorde aussi parfois la prééminence de la folie sur la raison. Non pas une folie d’aliéné privé de sens, mais un nécessaire décalage en regard de l’orthodoxie réductrice, propre à réveiller l’imagination assoupie, à susciter un sens inédit par des accointances inattendues.

On gagnerait à s’approprier ce formidable outil de dérangement, qui éviterait l’autosatisfaction ou le simplisme des réponses toutes faites. Sans en abuser, bien sûr, au risque de l’édulcorer. En le maniant de concert avec le paradoxe, par exemple, parce que tous deux suscitent des collisions mentales et imaginatives propres à dégager un sens inédit.

Le dessinateur et poète Sempé s’interroge naïvement : « Sincère amitié, est-ce un oxymore ou un pléonasme ? »

Et si on extrapolait : fraternité sincère ?…

Annick DROGOU

Ah l’obscure clarté ! cette douce violence faite à la logique, l’alliance improbable d’un nom et d’un qualificatif que le bon sens voudrait opposer. L’oxymore pour abolir ou plutôt surpasser les contraires tout en les soulignant, sans les gommer, en prenant l’épaisseur de chaque mot et en le plaçant là, dans une proximité qui n’élimine rien, comme sur deux plateaux d’une balance qui crée un nouvel équilibre. L’oxymore est un aimant paradoxal : tout ce que notre physique des mots voudrait éloigner dans un rejet naturel des contraires, il l’attire pour accoler, cimenter une nouvelle réalité plus solide que les apparentes oppositions. L’oxymore serait-il un premier pas vers l’ésotérisme, vers le secret du signifié ? Silence retentissant…

Et nos vies comme des oxymores que nous apprenons pas à pas à déchiffrer et à accepter. Unité complexe qui nous conduit à découvrir une toujours plus riche simplicité. Comme une puissante humilité. Il faut aimer l’oxymore, ce pavé mosaïque de la parole. L’oxymore comme un équilibre en permanente tension. Le proche et le lointain, également présents. Présence qui abolit la distance et la consacre. Je suis, tu es, mon frère, ma sœur, ce semblable étranger dans les liens qui nous libèrent.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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