ven 19 avril 2024 - 19:04

Histoires de colonnes

Dans l’ancien manuscrit maçonnique Cooke (1400-1410), conservé à la Bibliothèque Britannique, on peut lire aux paragraphes 281-326 que toute la sagesse antédiluvienne était écrite sur deux grandes colonnes par les quatre enfants de Lamech.

Jabel était l’aîné et il inventa la géométrie, il possédait des troupeaux de moutons et ils eurent aux champs des agneaux, pour qui il fabriqua des abris de pierre et de bois. Son frère Jubal inventa l’art de la musique vocale et instrumentale. Le troisième frère Tubalcaïn inventa le travail de la forge, tel que cuivre, acier et fer, et leur sœur Naama inventa l’art du tissage.

Après le déluge de Noé, l’une des deux colonnes fut découverte par Pythagore et l’autre par Hermès le Philosophe, qui se consacrèrent à enseigner les textes qui y étaient gravés. On retrouve cette idée dans les questions-réponses du Dumfries de 1710 : Où le noble art ou science fut-il trouvé lorsqu’il fut perdu ? Il fut trouvé sur deux colonnes de pierre, l’une qui ne devait pas sombrer et l’autre qui ne devait pas brûler. Cette légende est inspirée des Antiquités judaïques livre 1, chap. 3 de Flavius Josèphe qui écrit : les Séthites furent les inventeurs de cette sorte de sagesse qui se rattache aux corps célestes et à leur ordonnance dans le ciel. Et pour que leurs découvertes ne fussent pas perdues avant d’être suffisamment connues…ils firent deux monuments (un de brique, un de marbre) et ils y inscrivirent leurs découvertes à l’intérieur pour l’humanité. Dans le manuscrit Grand Lodge nº1 (1583), seule subsiste la colonne d’Hermès, retrouvée par le Grand Hermarines (fait descendant de Sem)  qui fut plus tard appelé Hermès, le père de la sagesse». Notons que Pythagore ne figure plus en tant qu’interprète de l’autre colonne. Dans le manuscrit Dumfries nº 4 (1710) il apparaît également, comme «le grand Hermorian», qui fut appelé «le père de la sagesse» : lechampdesroseaux.fr/images/textes_fondateurs/Le Dumfries.pdf

Il y a 2600 ans, Assarhaddon, le roi d’Assyrie écrivait  «j’ai fait ériger des monuments dont les fondations recèlent des inscriptions gravées dans l’argile cuite  pour les temps futurs».

Dans le même ordre d’idée, c’est aussi ce que rapporte l’abbé Terrasson dans son livre Séthos 

: «on raconte que Mercure, premier roi de Thèbes, fit creuser aux environs de la ville des allées souterraines et tortueuses dont on voit encore les restes, et qu’on appelle les syringes. Il les avait remplies de colonnes carrées ou pyramidales dont toutes les faces étaient chargées des principes de toutes sortes de doctrines, mais en symboles afin que l’art même de l’écriture étant perdu, on pût les expliquer par conjecture et que s’il échappât quelques hommes, ils eussent du moins cette avance. On ajoute que Mercure lui-même avait reçu un semblable secours de quelques colonnes antérieures au déluge et dressées par les rois héros ou demi-dieux, ses prédécesseurs. Par la suite, les égyptiens avaient rangé dans la salle des mathématiques à Memphis des colonnes d’une coudée de haut, mais qui dans cette mesure avaient toutes les proportions des colonnes des syringes qui contenaient les principes de cette science. Les propriétés des nombres étaient gravées sur les premières, d’autant que leurs rapports étant sensibles par l’opération seule, ils servent d’éléments et de modèles à tous les rapports mathématiques.» (p. 62 et suivantes :books.google.fr/books?id=QexDAQAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f).

Ce sont ces inscriptions qui auraient inspirés Thalès et Pythagore.

Le symbole de colonnes jumelles a été, depuis des temps immémoriaux, le gardien de portes vers des lieux sacrés et des royaumes mystérieux. Les colonnes marquent le passage vers l’inconnu, vers l’autre monde ; même le film King Kong y fait référence. Sous Nabuchodonosor, les chaldéens les brisèrent ainsi que le reste de l’œuvre d’Hiram (2Rois 25.13). Le métal des morceaux brisés fut transporté à Babylone (Jérémie 27,19). L’insistance de plusieurs textes relatifs à ces colonnes atteste l’importance qu’elles ont par rapport au temple. Elles sont le commencement, l’entrée, les relais, la porte à franchir, par lesquels et à travers lesquels l’intelligence peut avoir une vision, bien que partielle, du Dieu des Hébreux. Elles marquent l’inaccessible pour le non-initié. Elles sont les clés de la porte du Royaume.

Selon la version de Platon, le royaume perdu d’Atlantide se situait au-delà des colonnes d’Hercule ; symboliquement, dépasser les colonnes d’Hercule peut signifier quitter l’impureté du monde matériel pour accéder au royaume supérieur de l’illumination.

John S. M. Ward rapporte que deux colonnes, Tat et Tattu, mentionnées dans les anciens papyrus du Livre des morts en Égypte, semblent avoir comme signification «en force» et «établir fermement».

Dans le récit Crata repoa (En 1770, deux Allemands, von Köppen et von Hymmen, publient le Crata Repoa, suite de textes initiatiques se déroulant en Égypte), l’initiation des prêtres égyptiens (on appelait prêtre tout initié) on plaçait le pastoris (le récipiendaire) entre deux colonnes carrées, nommées Betilies, au moment où on ôtait le bandeau de dessus ses yeux. Le neocoris (l’initié du deuxième grade) était chargé de laver les colonnes, p.32 : linitiation.eu/telechargement/L-Initiation-v28-n10-1895-juillet.pdf.

Les colonnes Yakin et Boaz furent d’abord fondues à Saredatha (ville de l’ancienne Galilée dans la tribu de Gad), probablement en utilisant la méthode de la  «cire perdue» développée par les Assyriens à l’âge du bronze, probablement vers 1200 avant notre ère, pendant le règne du roi Shalmanesar. À cette époque, la méthode de moulage à la «cire perdue» était bien connue des artisans tyriens. Le poids de chaque colonne a été estimé à 27 tonnes ! (Lire le très intéressant article relatant les diverses phases de l’élaboration des colonnes : Salomon’s Temple, the bronze castings of jachin and Boaz pillars par W. Bro.Harvey L ovewell : freemasons-freemasonry.com/pillar_solomon_temple.html.

Elles furent nommées Jakin et Boaz(1Rois 7,21)  au moment de leur érection devant le Temple ; J et B sont le complément l’une de l’autre et sont indissociablement liées.

Les colonnes du Temple de Salomon avaient, entre autres propriétés, celle de bénéficier d’une excellente acoustique parce que fabriquées en airain : en effet, l’airain devient une caisse de résonance aux basses fréquences qui sont audibles par l’oreille humaine. Un effet d’écho était amplifié du fait que les deux colonnes, proches l’une de l’autre, se transmettaient leurs vibrations jusqu’à amplitude maximum. Seuls le Grand Prêtre, les prêtres désignés, le Chef des armées et le président du Grand Sanhédrin étaient admis dans l’enceinte du Temple. Ainsi, les colonnes, en tant qu’amplificateur sonore, leur auraient permis de s’adresser au peuple amassé sur le parvis ou dans la vallée de Josaphat où il se tenait.

Représentant la branche royale et la branche sacerdotale des Hébreux, elles étaient désignées par les noms de mishpat (Justice, droit, rectitude ; attributs de Dieu ou de l’homme) et Tsédeq (justice ; ce qui est moralement, éthiquement droit) avant d’être nommées par Salomon Jakin et Boaz. On a retrouvé dans l’iconographie assyrienne antérieure, un Dieu-soleil flanqué de chaque côté par deux dieux mineurs appelés Mishpat et Tsédek. Quand les deux pouvoirs gouvernaient avec Sagesse, un arc-en-ciel s’installait au-dessus des deux colonnes et la paix (shlomo en hébreu) en la personne de Salomon régnait sur le peuple.

Dans les enseignements de la Kabbale, Jakin et Boaz représentent les deux piliers de l’arbre des Séphiroth.

Les deux colonnes du Temple de Salomon ont pu être considérées par des archéologues britanniques comme élément de levier pour actionner la montée et la descente de l’Arche d’Alliance située dans le Saint des saints afin de la dissimuler aux regards interdits.

La Papesse du Tarot est assise entre les deux piliers. Des deux colonnes, l’une est rouge et l’autre bleue. La première correspond au Feu (Ardeur vitale dévorante, activité mâle, Soufre des Alchimistes) ; la seconde se rapporte à l’Air (souffle qui alimente la vie, sensibilité féminine, Mercure des Sages).

La colonne J à droite du nord-est indique l’emplacement de l’horizon où le soleil se lève au solstice d’été; et la colonne B, sur la gauche au sud-est, indique l’emplacement de l’horizon où le soleil se lève le jour du solstice d’hiver, le jour le plus court.

Il est dit que l’union des deux colonnes en génère une troisième, au milieu, qui représente l’homme et l’humanité. La combinaison des deux forces opposées produit le pilier central, l’homme parfait.

Pour ces raisons, Jakin et Boaz sont systématiquement représentées sur des monuments, des édifices et des documents maçonniques. On peut aussi interpréter qu’avec Jakin, symbole de la sagesse (hochmah), la seconde Sephira, et Boaz, celui de l’intelligence (binah), le temple, situé entre les deux, serait considéré comme kéther, la couronne, le Père-Mère.

Pour certains compagnonnages (F. Icher, Sur le chemin des Compagnons), deux colonnes, Védréra (colonne de vie) et Macaboé (colonne de la douleur), auraient été édifiées par Maître Jacques lui même, sur le chantier du Temple de Salomon. Chacune d’elles était composée de seize faces et représentait une partie de l’histoire sainte, depuis la création du monde jusqu’à la construction du Temple.

Le caractère anthropomorphique de la colonne trouve également sa confirmation dans le recours, dès l’antiquité grecque, au corps humain en lieu et place du fût de la colonne. C’est le cas à l’Érechthéion à Athènes, où les caryatides supportent des chapiteaux ioniques, comme ce sera plus tard le cas dans le recours aux atlantes, supportant des architraves en lieu et place des colonnes. Notons cependant que cette substitution est l’expression même de la privation de liberté : les caryatides sont des esclaves et, comme les atlantes, leur servilité est exprimée par le poids de l’édifice qu’elles ont à supporter. A l’inverse, pour que la colonne soit l’expression de l’ «homme debout», de l’homme libre en somme, il faut la libérer de l’architrave qu’elle supporte habituellement. C’est le cas des colonnes commémoratives que l’on dispose, dès l’antiquité, dans l’espace public, en l’honneur d’une divinité, d’un événement ou d’une personnalité remarquable : academia.edu/5184244/.

À l’entrée du temple maçonnique, deux colonnes sont placées à droite et à gauche, au nord et au sud, différenciées par les lettres J et B. Elles sont surmontées l’une par trois grenades, de sept rangs de chaînes et l’autre par une mappemonde. La connaissance du nom de ces colonnes est l’un des plus anciens secrets maçonniques, puisqu’il est attesté dès le XVIIe siècle.

Si vous êtes intéressés par pénétrer à l’intérieur de la gangue sémantique des noms donnés par le roi Salomon aux deux colonnes du Temple de Jérusalem, pour une rencontre entre ce qui est sous la chair de leurs lettres hébraïques et le français qui essaie d’en donner sens en-deçà même des mots, je vous invite à découvrir le regard que j’ai porté sur les fameuses colonnes du Temple. https://mega.nz/file/5Gg2gR6R#SOtuLTKXBowjHkPxy3mTVi5v-bB71vwAMM8UyXQ1zas

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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