Dans un article précédent nous avons vu qu’une démarche inhabituelle avait mené Hahnemann à L’Homéopathie. Il en ressortait qu’en allant en quelque sorte à contre sens du bon sens –tester des médicaments sur un être en bonne santé– cela pouvait enfanter quelque chose de constructif et non pas forcément aller dans le mur.
Mais qu’est-ce que le bon sens ? Ce que pense la majorité ? Ce que l’on nous enseigne comme étant un bon moyen d’être en harmonie avec ce qui nous entoure ?
Pour poser franchement la question voyons l’anecdote suivante.
2 personnes discutent d’une transaction commerciale. L’une d’elle s’exclame « mais enfin tu ne peux pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ». Et l’autre goguenard lui répond : « ah bon ! Et à quoi ça sert de tuer l’ours si t’as pas déjà vendu la peau ? »…
Qui des 2, fait preuve de plus de « bon sens » ?
Wittgenstein, mathématicien et philosophe, dépasse la question en suggérant que c’est le résultat qui importe, en fonction de ce que l’on recherche ! « Le but de la philosophie dit-il, est de venir en aide à la mouche pour sortir de la bouteille à mouches. »
Une bouteille à mouches est une bouteille conçue optiquement pour qu’une mouche à l’intérieur, qui regarde vers le goulot, ait l’impression d’une large ouverture et lorsqu’elle regarde vers le goulot elle ait l’impression d’une fermeture… Bien évidemment pour sortir elle va se diriger vers ce qu’elle perçoit comme une ouverture et va donc se cogner à chaque fois sur le fond.
Heinz Von Foerster, grand admirateur de Wittgenstein et grand pragmatique s’il en est, a tiré de ce concept la recommandation suivante : «Agis toujours de façon à augmenter le nombre de choix possibles ! Si une action (qui découle en général du bon sens) ne marche pas, essaye n’importe quoi d’autre ! ».
Von Foerster décédé en 92, est un scientifique et esprit brillant, bien que peu connu du grand public. Il est unanimement reconnu par le milieu des neuro-physiologistes, des cybernéticiens, par tous les adeptes de la transdisciplinarité et des sciences cognitives. Wittgenstein était un ami très cher et très proche de ses parents.
En d’autres mots donc, la mouche, à un moment ou à un autre de sa quête devrait se dire : «Allez, soyons fous (ou folle) ! Puisque je n’y arrive pas, essayons autre chose que ce qui me semble être l’ouverture »
On l’aura compris : les questions les plus saugrenues sont les bienvenues puisqu’elles multiplient les choix. Certaines de ces questions sont d’ailleurs restées célèbres.
Einstein, qui a pondu ce que l’on sait, y est arrivé par des questions qui nous semblent aujourd’hui encore plutôt saugrenues : « Est-ce que si je tombais en chute libre avec une boule de métal dans la main, je continuerai à sentir son poids ? (On raconte qu’un ouvrier du bâtiment était tombé du 6e étage, heureusement pour lui, sur un gros tas de sable meuble et s’en était tiré avec quelques contusions. Pendant qu’il était à l’hôpital en observation, Einstein avait couru le voir pour lui demander : monsieur, est-ce que quand vous tombiez vous ressentiez votre poids ? L’ouvrier, encore mort de trouille n’avait rien compris)
Tout en restant dans la métaphore de la bouteille à mouches, on se rend compte que parfois l’on s’y laisse enfermer, pensant pouvoir garder notre autonomie, et parfois pire, sans s’en douter le moins du monde, jusqu’au jour où…
Lorsqu’on évoque la laïcité, et nous en savons quelque chose chaque année, la préoccupation globale reste de savoir, si le clérical a empiété ou non sur les plates-bandes de la chose publique ? En d’autres mots si la séparation est toujours effective ?
Mais il y a une question qui à ma connaissance reste à aborder : « qu’en est-il de notre esprit et de notre façon de penser, modelés par des siècles de mainmise sur notre quotidien ? »
Est-ce qu’après 1905 l’empreinte de ce discours clérical, sirupeux et soporifique, velouté et tranquillisant, développé pendant toutes ces années pour désamorcer les questions gênantes, qui ne manquaient pas de la part des croyants… ce discours donc, ne nous fait-il pas croire, encore aujourd’hui qu’il est discourtois de poser des questions dérangeantes voire carrément insolent ?
Il peut exister des bouteilles à mouches très dorées.
Darwin on le sait, a porté un coup sérieux au schéma de la création en publiant son «Origine Des Espèces». Jusqu’à il y a encore une cinquantaine d’années, personne n’osait faire, ne serait-ce que quelques remarques sur les 2 piliers de la théorie darwinienne à savoir l’évolution et la sélection naturelle.
À peine osait-on parler de néo darwinisme de crainte d’être excommunié par la communauté scientifique qui ne voulait surtout pas offrir d’arguments aux cléricaux.
Le mot Origine est assez surprenant puisqu’on ne sait toujours pas, qui de l’œuf ou de la poule ! Certains farceurs (p-ê pas tant que ça) disent que c’est la poule, puisqu’il faut quelqu’un pour couver l’œuf… mais la question demeure.
Stephen Gould, paléontologue génial et peu orthodoxe, décédé il y a quelques années, reste quasiment le seul avec 2 de ses compères, à avoir osé s’être posé publiquement les bonnes questions et à avoir osé en 72, corriger ouvertement les 2 principaux résultats du maître : Évolution et Sélection Naturelle.
Selon Darwin le phénomène de l’évolution est graduel et continu. Gould découvrit que les fossiles que Darwin avait pris pour des artefacts et dont l’observation l’avait mené à cette conclusion, montraient tout simplement une absence d’activité dans l’évolution et qu’en fait cette dernière se faisait par à-coups brusques, avec de très longs plateaux de stabilité, et non graduellement. Les détails sont à lire dans L’Équilibre Ponctué… pavé de 900 pg en poche,.
Concernant la sélection naturelle qui favoriserait les plus aptes, Gould rappelle que les dinosaures ont disparu tout comme d’ailleurs les mammouths alors que les petits lézards et autres caméléons sont toujours là.
Gould estime que ce sont les degrés de souplesse du matériel génétique non apparents, qui décident de l’adaptabilité de telle ou telle espèce au changement.
Darwin pense-t-on, aurait été fortement séduit et influencé par l’idée de la sélection des plus aptes, par la doctrine économique très en vogue à son époque, qui prônait que l’espèce humaine augmentant plus rapidement que les ressources alimentaires, seuls les plus aptes survivraient.
Nouvelle question : est-ce que considérer une théorie ou un principe, comme un dogme, ne revient pas à se laisser enfermer dans une bouteille à mouches ? L’équilibre ponctué de Gould est paru en 72. Pourtant lorsqu’on parle d’évolution et de sélection on évoque uniquement Darwin ? Manque de culture générale des journalistes ?
Descartes, suite au fameux « rationalisme » d’Aristote recommandait dans son célèbre discours de « diviser chacune des difficultés examinées, en autant de parcelles simples qu’il se pourrait pour les mieux résoudre ».
Mais est-ce qu’en se limitant à l’étude des parcelles on ne perd pas de vue la forêt ?
Depuis l’avènement de la chimie organique on sait que plusieurs substances chimiques, très différentes l’une de l’autre sont pourtant composées des mêmes atomes et dans la même proportion.
Il s’avère que c’est la façon dont sont liés ces atomes entre eux, qui rend les composés différents. Le tout n’est donc pas seulement la somme comptable des éléments Le tout c’est aussi prendre en compte les relations internes et réciproques. C’est ce que Von Bertalanffy biologiste, fondateur de la Systémique a appelé un système, lors des années 30 à 50
Le tout possède donc des qualités que n’ont pas ses composants pris un à un. La structure interne prend toute son importance par le fait des relations réciproques entre les composants.
Entre ces composants il n’est donc plus possible de considérer une influence à sens unique mais des influences réciproques. En d’autres mots nous ne sommes plus dans la causalité linéaire (dans un seul sens) mais dans une causalité circulaire ou chaque élément de l’entité influence l’autre et est influencé à son tour.
Quel exemple de système plus parlant que le corps humain, composé de sous-systèmes s’influençant mutuellement.
Ce corps humain fonctionne selon une causalité circulaire. Un stress perturbera le fonctionnement du tube digestif qui provoquera à son tour, la formation de calculs biliaires. Ôter ces calculs (causalité linéaire) n’est pas adapté au processus de leur formation (causalité circulaire). Ce sont les effets du stress qu’il faut traiter (contraction temporaire de certains sphincters qui génèrent secondairement la stagnation de la bile et la formation de calculs).
Or la pharmacopée fonctionne peut-on dire, d’une façon linéaire. Face à une hausse de tension elle cherchera à la faire baisser. De même pour une hausse du taux de sucre dans le sang.
Ce qui nous ramène à la question posée à la fin de l’exposé sur l’homéopathie. La trouvaille d’Hahnemann (ou du médecin écossais) aussi géniale soit-elle, peut-elle avoir son maximum de bienfait si elle est appliquée selon une causalité linéaire, selon la même causalité appliquée par la pharmacopée classique, alors que l’organisme humain fonctionne selon une causalité circulaire ?
Ce n’est pas parce qu’un outil est génial que son utilisateur devient par magie, lui aussi génial s’il n’accorde pas une réflexion adéquate à la façon de l’utiliser, en d’autres mots dirions-nous, nous maçons, s’il ne taille pas sa pierre.
Au final il semble plutôt bénéfique de poser encore et encore, des questions, même les plus saugrenues, (surtout les plus saugrenues) ! Pas d’inquiétude ! Nous sommes en bonne compagnie comme j’ai essayé de le montrer ce soir. En posant tout le temps des questions on peut espérer finir par parfois poser les bonnes questions et qu’est-ce poser les bonnes questions sinon tailler sa pierre
https://www.objetsdhier.com/gobe-mouche-1392
Chère Soeur Solange Je te remercie infiniment de ce lien qui m’a permis de voir en vrai (enfin) ce qu’est une bouteille à mouches. C’était surtout le concept qui avait retenu mon attention. Il s’avère souvent utile de mettre une image sur un concept. Bravo ! je ne connaissais pas ce site qui se trouve, un des rares à vraiment être pédagogique. Encore merci à toi ! Haim Cohen
Pour bien comprendre ce qu’est une bouteille à mouche :