ven 26 avril 2024 - 08:04

Le Solstice d’hiver : un Janus, deux Jean

Le 21 décembre prochain, nous vivrons un événement astronomique extraordinaire ! Le soleil va s’arrêter ! C’est du moins ce que nous dit l’étymologie du mot « solstice » (du latin sol, pour soleil et stat pour arrêter). En fait, nous le savons, il paraîtra s’arrêter ce jour du solstice d’hiver – après la déclinaison de la lumière solaire – et nous connaîtrons un ensoleillement progressif ensuite, jusqu’au solstice d’été.

Ce 21 décembre, nous fêterons la Saint-Jean d’hiver (Jean l’Evangéliste) et le 21 juin 2022, la Saint-Jean d’été (Jean le Baptiste). Ainsi, il n’est pas inutile de rappeler qu’au REAA, les loges de Saint-Jean doivent leur appellation à deux Jean, qu’il faut distinguer. Qui sont-ils ?

 Jean le Baptiste et Jean l’Evangéliste.

 La Bible nous indique que Jean dit le Baptiste, était le fils de Zacharie et d’Elisabeth, elle-même cousine de Marie, mère de Jésus. Nous apprenons que Zacharie, inspiré par Dieu, a imposé le prénom de Jean à son fils. Notons que Jean vient de l’hébreu ancien Jeho annan, généralement traduit par « celui qui fait naître, qui donne la lumière », c’est à dire le soleil. Jean ou Jehan est ainsi synonyme « d’homme éclairé ».

Jean est appelé Jean le Baptiste, précisément, parce qu’il baptise. Non en versant quelques gouttes d’eau sur le front de l’initié ! Mais par immersion dans les eaux du Jourdain. Immersion signifie une mort symbolique par plongée du corps entier sous l’eau, dans le néant, puis redressement hors de l’eau, ce qui veut dire naissance à l’air et à la lumière. C’est le passage du profane au sacré. Ce rituel est pratiqué depuis très longtemps en Mésopotamie et en Egypte.

Baptiser, c’est nommer. Et donner un nom, c’est créer, c’est donner vie. Jean le Baptiste est ainsi l’initiant. Il baptise dans la plaine, il aplanit le corps avant de le relever. Il est en quelque sorte le niveau et le créateur de la verticalité potentielle, de l’homme debout, prêt à apprendre. Il devient le transmetteur, le passeur. Parmi de nombreux profanes, Jean le Baptiste, dit aussi Le Précurseur, rencontre et baptise Jésus. Il en fait ainsi un apprenti. Avant, malheureusement, d’être décapité sur ordre du romain Hérode Antipas, gouverneur de Galilée, qui n’apprécie pas ce rituel et sa symbolique.

Adulte devenu, formé au travail du bois et instruit à la synagogue, Jésus quitte la menuiserie paternelle pour voyager lui-même en Galilée et porter avec talent et conviction la bonne parole. Il instruit à son tour des disciples. Parmi eux, un autre Jean – fils de Zébédée et de Salomé, la sœur de Marie, mère de Jésus – ce Jean se distingue également, par ses dons oratoires. Cousin et, dit l’histoire, préféré de Jésus, qualifié par lui de « fils de la lumière », il devient tout naturellement Jean l’Evangéliste. Pécheur sur le lac de Tibériade, il nourrit de ses poissons Jésus et ses autres disciples, lesquels recueillent du pain autour d’eux. C’est le temps du compagnonnage. Du latin companem, qui partagent le pain.

Jean l’Evangéliste aime les hauteurs, où il prêche. Sur le mont Thabor, sur le mont des Oliviers ou sur le Golgotha. Par rapport à Jean le Baptiste qui est le niveau, Jean l’Evangéliste est la perpendiculaire. Il est le seul apôtre à assister à la crucifixion. Jean l’Evangéliste est là quand Jésus meurt sur le Golgotha, dans les ténèbres. Né au solstice d’Hiver, Jésus renaît à la Saint Jean d’hiver. Le cycle est achevé.

Jean l’Evangéliste ne plait pas non plus à l’occupant romain. Il est arrêté et déporté à Patmos, puis heureusement libéré, il devient évêque d’Ephèse. Il mourra à l’âge de 99 ans. Par l’intermédiaire de Jésus, existent donc des liens étroits entre les deux Jean. Ainsi horizontalité et verticalité rapprochées, on peut dire, pour faire image, qu’ils forment en maçonnerie, les deux branches de l’équerre.

Les fêtes solsticiales chrétiennes sont directement inspirées du symbolisme italique et romain. Elles renvoient en l’espèce au dieu Janus (lui-même d’inspiration indo-européenne, donc avant même le cadre biblique) aux deux visages opposés. Cette tête à deux faces adossées de son effigie, contrôle l’avant et l’après, le passé et le futur. Janus est le dieu bicéphale créateur, qualifié de « chronotator ». Il est décrété le maître du temps et de l’éternité. Janus, du latin janua, « qui ouvre la porte de la maison », (entre autres sens) ouvre aussi la porte de l’année, de la saison. Janus a ainsi donné son nom à Janvier, premier mois de l’année.

Considéré comme la divinité des « commencements » et des « fins » (semence et récolte), Janus regarde à la fois en direction de la phase ascendante et de la phase descendante du soleil. Il est le gardien des portes solsticiales ouvrant sur ces deux phases et détenteur de deux clés qui sont ses principaux attributs. La clé d’or ouvre ou ferme la voie ascendante vers la lumière (connaissance). La clé d’argent ouvre ou ferme la voie descendante vers l’obscurité (ignorance).

Avec ces clés, Janus est le dieu des Portes.

– La porte des Hommes, associée au solstice d’été. Elle donne accès aux « petits mystères » qui consiste en une régénération psychique complète produisant « l’individu ». En cela, cette porte ouvre la voie à l’état humain et à ce qui en relève.

– La porte des Dieux, en relation avec le solstice d’hiver, permet l’accès aux « grands mystères » qui conduisent l’être de l’état humain à l’état supra-humain (spirituel). L’individu s’identifie ainsi à l’être total, résidence de « l’Un ».

Janus « patronnait » les corporations des métiers de l’antiquité   méditerranéenne (Collegia Fabrorum) et de Grande-Bretagne. Les constructeurs ne transmettaient leur art qu’aux disciples initiés aux « mystères ». La tradition antique de l’initiation a été transmise au monde chrétien et s’est prolongée au Moyen Age, dans les corporations de Compagnons bâtisseurs (tailleurs de pierre, verriers, sculpteurs, forgerons, charpentiers, menuisiers) qui prirent ensuite les deux Saint-Jean pour patrons.

La plupart des loges opératives tenaient leur assemblée le jour de la Saint-Jean d’été. En dehors de leur nom individuel, elles répondaient au terme générique de « Loges de Saint-Jean », nous l’avons dit. L’une des plus anciennes références connues sous ce patronage date de 1427 à York. Par ailleurs, la première pierre de l’abbaye de Westminster, a été posée par Henry VII, au solstice d’été le 24 juin 1502. A noter que le manuscrit Sloane (n°3329), publié aux environs de 1700, mentionne une loge de Saint-Jean, inaugurée aussi un 21 juin. Remarquons encore que la Grande Loge de Londres fut créée également le 24 juin 1717, jour de la Saint-Jean.

Avec les deux Jean, en un seul, c’est le passage d’un état à un autre, d’une année à une autre, cycle perpétuellement renouvelé. Qui dit cycle, dit cercle et centre. Rappelons au passage que le temple de Salomon, bâti judicieusement sur le mont Moriah (dans l’enceinte du Palais) au-dessus de Jérusalem, symbolise ce cycle annuel. Il constitue un point central offert à toutes les phases du parcours de la lumière solaire.

Cette notion de parcours peut être rapportée à notre vie maçonnique. Les deux Jean précités tracent notre itinéraire. Jean le Baptiste ouvre au profane la voie initiatique. Jean l’Evangéliste, en marque le terme. Avec l’escorte du divin pour ceux qui croient au ciel, ou, simplement, celle de la vie de l’esprit, pour ceux qui n’y croient pas. La Bible, sur l’autel de nos temples, nous offre à lire dans l’Evangile de Jean : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue », une parabole évoquant Jésus, en adéquation avec les phases ascendantes et descendantes du soleil.

Il est intéressant de remarquer que Janus symbolise toujours aujourd’hui les oppositions, entre autres toutes les contradictions et les ambiguïtés, les aspects positifs et négatifs d’un acte ou d’une chose. Il personnifie les couples d’opposés. L’introversion et l’extraversion. La méditation et l’action. L’intérieur et l’extérieur. Le haut et le bas. La montée et la descente. Le devant et le derrière. Le oui et le non. Il est le point de divergence et l’unité fondamentale.

Nous retrouvons lesdites oppositions avec l’été et l’hiver. De tous temps, les solstices ont été fêtés pour marquer les saisons. L’Eglise a fixé arbitrairement les fêtes des deux Saint-Jean à des dates proches des solstices. Elle a inscrit les fêtes païennes dans la symbolique chrétienne, avec le jour le plus court et le jour le plus long de l’année, sous nos latitudes tempérées. A la Saint-Jean d’été la lumière est à son maximum, le jour va commencer à décroître. La Saint-Jean d’Hiver venue, le jour va rallonger, la lumière va revenir, grâce à l’irruption du messie, dans le ciel chrétien.

Qui dit lumière, dit feu. Les deux symboles du feu terrestre et céleste se retrouvent dans les coutumes des deux Saint-Jean. La fête de la Saint Jean d’été est populaire et extérieure. Celle de la Saint-Jean d’hiver est intérieure, dans l’intimité du foyer.

Le bûcher de la Saint-Jean d’été n’est pas un amas de branchage. C’est une construction pyramidale étudiée. L’usage de chanter et danser en cercle autour du feu symbolise le mouvement de la « roue cosmique ».

Le bûcher de la Saint-Jean d’hiver, coupé dans un tronc d’arbre symbolise l’axe vertical du bucher de la Saint-Jean d’été. Comme lui, il représente en ligne directe, la liaison terre-ciel.

La coutume de laisser se consumer les deux bûchers jusqu’à extinction marque « la fin du voyage ». A la lumière visible, fait place la lumière invisible, celle intérieure caractérisant l’être, connecté au centre du monde.

L’évangile de Jean nous confirme que chacun de nous est un flambeau. Comme l’ont été les sages de tous les temps. Un grand tribun du 20ème siècle, Jean Jaurès, nous rappelle à sa façon la valeur symbolique des feux de la Saint-Jean :

 « La tradition, ce n’est pas transmettre des cendres, mais la flamme » !

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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