Extrait de mon ouvrage La gestuelle maçonnique, Édition Ubik, 2021
Toute initiation est un cheminement de passages qui, pour symboliques qu’ils soient, se réalisent par un passage matériel que le rite va mettre en scène, la porte en est l’exemple.
Ouverture dans l’enceinte sacrée du temple, elle est à la fois élément de séparation et de protection face à l’extérieur et moyen de passage liminaire.
Du torii[1], précédant l’entrée des temples shintoïstes, au portique grec, des portes de pierre égyptiennes, dans les mastabas, improprement appelées fausses portes alors qu’elles sont des portes de vérité, au jubé des cathédrales, chacune de ces représentations est une invite à tenter un passage. Le symbole propose une incitation à changer de nature, à savoir : oser franchir le seuil et passer dans une nature inconnue, oser affronter un monde invisible non exempt de dangers.
«Janus est d’abord le dieu de toutes les portes : des portes publiques (jani), sous lesquelles passaient les routes, et des portes privées. Il a donc pour insignes la clé qui ouvre et ferme la porte, et la baguette (virga) dont les portiers se servent pour écarter tout ce qui ne doit pas franchir le seuil. Ses deux visages (Janus bifrons) lui permettent de surveiller le dehors et l’intérieur du logis, comme l’accès et la sortie des portes publiques» (Le dieu des portes et des passages : <truthlurker.over-blog.com/article-3847290.html#_ftnref1>).
Lors de la cérémonie d’initiation, le récipiendaire, sous le bandeau, entend le bruit de chaînes qui tombent avant que la porte ne lui soit ouverte. Ces chaînes sont les gardiennes du seuil. Devenu franc-maçon, il comprendra à quelle invite ce geste l’engage : à se libérer lui-même de ses chaînes, à s’émanciper. Si la liberté de conscience est aisée en loge, il faut aujourd’hui beaucoup de courage au prix de la vie (que certains ont donnée, ou plutôt qui leur fut prise) pour porter dans le monde profane le combat pour la liberté de conscience.
L’entrée de la basilique de la Nativité à Bethléem est une porte basse, pour interdire l’entrée des cavaliers mais aussi parce qu’il faut se faire petit pour entrer dans le mystère de Jésus : à partir de 9’ :
Les portes des églises sont placées selon des points cardinaux de l’édifice
– Celle du Nord, par laquelle on entre dans le temple, donne accès à la plénitude. Elle est parfois appelée celle des alchimistes. Elle filtre les métaux déposés devant elle pour être transmutés et préserve ainsi l’espace sacré de tout conditionnement. Elle révèle les origines et portait au Moyen âge des scènes de l’Ancien Testament. L’impétrant est passé par-là. L’ouverture est alors très basse, rappelant l’humilité et le courage nécessaires pour entamer le chemin comme pour le poursuivre.
– Celle du Midi est source d’éveil, de lumière révélée en action. Au Moyen Âge, elle portait des scènes du Nouveau Testament. Elle permet de voir et comprendre les mystères de la création.
– Celle d’Occident, entre les colonnes, récupère l’énergie accumulée dans le temple et charge d’énergie la communauté qui sort vers la salle du banquet. Le Verbe régénéré par l’Œuvre va pouvoir illuminer cette salle puis le monde extérieur à la fin du processus alchimique. Cette porte, souvent dite de la mort (elle portait au Moyen Âge des scènes de la résurrection des morts et du jugement dernier), permet de rejoindre l’Océan des origines d’où nous venons. Chaque initié y passe au jour de son décès, accueilli par la Veuve, pour affronter une ultime épreuve qui le fera soit retourner à l’indifférenciation, soit retourner à sa cause pour s’y fondre et participer de la lumière éternelle. C’est donc aussi la porte de la Veuve en tant que grande gestatrice, matrice de la vie, à la fois mère et mort (deux mots anagogiquement synonymes).
– L’incréé est derrière celle d’Orient. De là jaillit la lumière primordiale, d’une intensité si puissante qu’elle est insoutenable à la conscience humaine. Elle est l’ouverture du ciel que l’on déverrouille par les rituels pour rendre présent le divin. Il n’y a pas d’accès direct à l’Orient Éternel. Elle est infranchissable humainement. Elle ne peut laisser passer ce qui est né, ce qui est fini, ce qui est corporel. (Extrait à compléter sur la page : hiram-rite.fr/detail.php?idDoc=162&idCat=3).
En hébreu, le mot porte, daleth (ת ל ד), montre avec ses lettres : l’ouverture avec daleth ד (lettre en forme d’équerre, qui indique la rectitude.), le cheminement avec lamed ל (signe altier qui se déroule vers le haut, lamed est l’envol de la connaissance par l’étude et l’enseignement qui ne sont jamais terminés) et l’aboutissement avec tav ת (d’après la kabbale, la lettre tav est composée de deux lettres, daleth ד et noun נ: elle aurait ainsi comme sens immédiat, la porte de la connaissance primordiale oubliée).
«Baissez-vous, la porte est basse» est une rituélie introduite en Franc-Maçonnerie en 1895.
Si le récipiendaire, aveuglé par le bandeau, se baisse pour passer, il y a alors une relation de qualité, de sujet à sujet, qui échange des informations constructives. Il n’est plus seul comme dans le cabinet de réflexion. En se baissant pour passer la porte basse, il rend sensible sa confiance sous forme d’un acte qui n’est pas obéissance mais entendement et compréhension. Il se met en relation avec une forme du monde qui l’environne ; il s’y adapte, il tient compte de ce qui lui est extérieur en se modifiant pour se conformer à une unité harmonique. Ainsi l’humilité vécue par l’impétrant n’est pas une humiliation, mais une épreuve de savoir-faire par une réponse de réalité adaptée à une parole qui ne commande pas mais qui recommande.
Cette notion de porte basse n’existe pas aux RER, RÉ, RY, RSE/RÉÉ.
Connaître la porte, c’est connaître le chemin. On ne sait ce qu’il y a derrière. Le Secret est donc un concept lié à elle. Mais elle détermine une direction et la nature de ce qui s’ouvre devant soi. Son nom révèle le sens de ce qu’il y a au-delà d’elle. L’intelligence du cœur est le seul moyen de la nommer. En Franc-Maçonnerie, celui que l’on est appelé à découvrir derrière la porte n’est rien d’autre que soi-même, c’est-à-dire l’être vrai. Les degrés sont des avancées dont l’attribution est une porte ouverte sur ce chemin pour une possibilité féconde d’appréhender la vie.
Au 3ème degré, trois ouvriers compagnons criminels tentent d’extorquer son secret à Hiram sans attendre de pouvoir le recevoir de manière régulière. Pour cela, ils se postent aux trois portes du Temple. Tous les rituels disent cela, mais ensuite le parcours du maître n’est plus le même selon les rites. Par exemple : le trajet commence, selon le REAA, au sud puisqu’il est écrit : «ayant terminé son inspection des travaux du jour, Hiram allait se retirer par la porte du Midi» puis il se dirige vers la porte d’occident. Mais au Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm comme au Rite Opératif de Salomon: “sa visite terminée, Hiram sortit de la Chambre du Milieu et se dirigea vers la porte d’Occident”, puis continua vers la porte du nord. Au style Emulation, ils [les mauvais compagnons] s’embusquèrent respectivement aux entrées ménagées à l’Est, au Nord et au Sud du Temple, où “notre Maître s’était retiré pour faire ses dévotions au Très Haut, ainsi qu’il y était accoutumé à l’heure de midi. Là est porté le premier coup, puis le Maître se dirige vers la porte du nord”. Au rite français philosophique : “Hiram, après avoir visité les travaux, dirigea ses pas vers la Porte Est où il y trouve le premier des Compagnons. Hiram chercha son salut dans la fuite et tenta de s’échapper par la Porte Sud”. Le trajet se finit toujours à l’Orient de la chambre funèbre mais c’est l’ouest sur la reproduction du Temple de Salomon qui est placé au sol sous forme de tapis. La narration du meurtre se rapporte donc à l’orientation du lieu mythique, le Temple de Salomon et non à celle la loge.
Pour ouvrir une porte, une clef peut être indispensable… à suivre dans un autre article
Illustration : à travers le miroir de Victor Korlinov
[1]. Portique érigé à l’entrée d’un sanctuaire shintoïste.