jeu 28 mars 2024 - 19:03

Rechigner par temps maussades

L’humeur ambiante est au maussade, tout y contribue…

Le moral baisse en inverse proportion du niveau des mers, les méchantes courbes sont à la hausse entraînant dans leur sillage les agressivités diverses.

Maussades nous voici donc. Inaptes à goûter la saveur des choses,. Tout nous semble insipide et la sagesse nous déserte. Maussades, parce que les savoirs prouvent leur limites, surtout quand les savants autoproclamés et autres prétendus sachants nous abreuvent de diktats aléatoires autant que volatils.

Alors on rechigne à… Au sens propre, on grimace, en grinçant des dents.

Dans les anciens parlers germaniques, *kînan signifiait tordre la bouche, s’ouvrir, éclater. *kinnus désignait la joue, la mâchoire. On y voit par ailleurs un lien avec le pluriel latin *genae qui désigne les joues, dont est issu le verbe ricaner.

Tout est affaire de dents, dans la quenotte et le chicot : certains peuples du Soudan vont jusqu’à arracher les quatre incisives du bas à chacun, homme et femme. Le sourire illumine alors une grande béance…

Le verbe rechigner est ancien, dès le XIIe siècle dans les chansons de geste et les romans bretons de Chrétien de Troyes, chaque fois que le chevalier ne peut se retenir de manifester sa mauvaise humeur, sa répugnance.

La palette de la désapprobation est toujours imagée par des manifestations du visage.

On rechigne et la déformation même involontaire des lèvres trahit le sentiment, jusqu’à montrer les dents. Dans l’Antiquité, le héros mourant, à qui la volonté et la maîtrise de soi échappent totalement dans l’acmé de sa souffrance, va entrouvrir les lèvres dans un rictus révélateur. Tel le géant Antée, invincible tant qu’il peut toucher la Terre sa mère, et qu’Héraklès étouffe à mort en le soulevant dans son agonie, pour lui interdire le contact salvateur avec Gaïa. Une coupe à boire du Ve siècle av. JC montre ainsi le rictus de souffrance de celui qui rechigne à mourir.

Montrer les dents est signe de refus, d’agressivité et de menace, parce que la peur y est associée. Tels sont les chiens lorsqu’ils se sentent en danger.

L’impassibilité est synonyme de maîtrise de soi, physique ou morale.

A la différence de nos sociétés contemporaines où tout se manifeste avec ostentation.

On boude. Le mot s’autorise du gaulois *bedo, qui signifie le sot, le niais, ainsi que de l’onomatopée *bod qui image la chose boursouflée, enflure physique ou épaisseur intellectuelle. Bedonnant et boudeur… Quitte à se renfrogner dans son boudoir, où on pourra pester sans témoin.

On renâcle. En d’autres termes sémantiques, on souffle violemment par les naseaux pour affirmer sa protestation.

Encore une histoire de nez, on se renfrogne. Le parler gaulois désigne par trugna le groin, le museau, que le gros buveur montre congestionné et rougeaud. Avec une variante frogna, la narine, que l’on retrousse en se renfrognant.

On grogne. La racine très ancienne du mot l’associe au bruitage du porc et de son groin *grunium. Ainsi on grogne, grommelle, gronde.

On renaude comme le renard en maraude. On tique comme le cheval qui manifeste son inconfort.

On râle, on ronchonne, on maugrée, on rouspète.

On fronce les sourcils en devenant sourcilleux.

Du mot, on passe de plus en plus fréquemment au poing, sans vergogne, tant les circonstances semblent répugnantes.

C’est la faute à la météo, à l’écolo dans un monde pas logique, au virus en constante vadrouille, aux démagogos aux aguets. La liste en passe, et des pires. Avis de tempêtes pour saison maussade.

Et pourtant, tant d’instants savoureux à dénicher…

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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