sam 12 octobre 2024 - 16:10

Le solstice et moi

  • Quelle drôle de tête ! Mais qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?
  • Oh, les choses arrivent sans qu’on le sache.
  • Pour les banalités, tu es bon ! Allez, raconte !
  • Eh bien, voilà. C’est le solstice.
  • Le solstice ?
  • Tu te rappelles le mois dernier ce qu’on a appelé l’été de la Saint-Martin et le proverbe rabâché en boucle par les radios, « été de la Saint-Martin, dure trois jours et un brin » ?
  • Oui, bien sûr, c’était en novembre quand l’été est revenu d’un coup. Il faisait un temps à caresser le cœur. J’avais été frappé par la couleur de l’herbe du jardin, elle avait reverdi. Peut-être qu’un œil exercé aurait trouvé le vert moins éclatant qu’au printemps, mais il n’était pas terne et les oiseaux piaillaient dans le mimosa. Quelques jours avant on avait cru que l’hiver était là, mais les températures avaient bondi et on pouvait à peine parler d’arrière-saison.
  • Oui, c’est tout à fait ça. Eh bien moi, voulant profiter de ce temps magnifique je m’étais allongé sur mon transat pour préparer l’hiver sous un bon soleil d’après-midi et, tu sais ce que c’est, quand le soleil te tape sur le visage tu fermes les yeux et, au bout de quelques minutes, la torpeur t’envahit et tu sombres dans un de ces sommeils qui, après, te font la nuit blanche. Mais bon, on se dit que ne pas dormir pour avoir dormi…
  • Oh oui, je connais ça !
  • Toujours est-il que j’ai fait un drôle de rêve. Figure-toi que je me suis retrouvé devant une espèce de Temple situé dans un lieu de nulle part. Aucun village alentour, ni clocher ni presbytère, rien d’autre qu’un bâtiment formant un carré long. J’en fis le tour et remarquai que les colonnes qui l’entouraient, au demeurant assez rapprochées, présentaient d’abord les six ordres d’architecture égyptiens, avec le Palmiforme, le Proto-dorique, le Lothiforme, le Papyriforme, le Campaniforme et le Hathorique, puis à leur suite les cinq ordres grecs bien connus des Compagnons de la Tradition : dorique, ionique, corinthien, toscan et composite. Le douzième espace était occupé par une porte surmontée d’un puissant linteau servant de base à un triangle isocèle qui comportait un œil en son centre et qui était entouré de gerbes de blé sculptées dans la pierre. La curiosité aidant, je fis ce que tu aurais fait à ma place, je poussai la porte. Au fond d’une grande salle éclairée par un soleil zénithal, je vis un feu de cheminée avec deux fauteuils. On aurait dit que j’étais attendu. Je m’avançai donc et m’assis.
  • Tu as raison, pourquoi se poser des questions quand on a les réponses ?
  • Devant ce feu, il faisait une chaleur de plein soleil. Je regardais les flammes danser et les troncs qui, curieusement, ne se consumaient pas. Avant que je puisse m’interroger sur cet étrange phénomène, j’ai entendu une porte s’ouvrir derrière moi et un drôle de bonhomme en sortir. Il vint s’asseoir à mon côté. Il était… Comment te le décrire ? C’est ça, il ressemblait au tableau d’Arcimboldo l’Automne. Il était habillé d’un tonneau éclaté qui lui arrivait jusqu’aux épaules et au-dessus il montrait un visage, ou plutôt une trogne faite de végétaux de toutes sortes : raisin, pommes, poires, mûre, châtaigne, courge, blé ou avoine, nèfle, pomme de terre, grenade, figue, melon, champignons des bois… J’étais sidéré et, je t’avoue, absolument muet.
  • Il y a de quoi. Et alors, c’est lui qui a parlé ?
  • Oui, derrière sa moustache épineuse, en bogue de châtaigne, il m’a dit : « Je m’appelle Affor et je suis chargé d’accueillir les visiteurs. Ils sont peu nombreux. Aujourd’hui, la vraie curiosité est rare. » Et devant mon air interrogateur, il a précisé : « La vraie curiosité, c’est celle qui fait progresser, pas celle qui fouine ». Après un silence il a ajouté : « Vous devez vous interroger sur mon apparence, eh bien sachez que je suis la plus belle saison de l’année, celle qui donne le blé d’Éleusis, la joie de Bacchus et qui voue un culte à Pomone la nymphe d’une merveilleuse beauté qui est la divinité des fruits. Moi, je les présente et c’est un grand honneur. » J’allais lui répondre lorsqu’il me dit en me tutoyant soudain : « Je vois dans ton âme qui tu es, tu fus et seras. Tu es digne d’être initié. Pose tes mains sur trois douelles de mon tonneau et répète après moi :

“Moi, enfant des saisons et du ciel étoilé, je promets d’honorer la nature dont je suis, elle qui me porte et me nourrit, d’en observer les lois selon la tradition immémoriale de nos ancêtres et d’en respecter les fils et les filles semblables à moi. Que l’Auteur du Temps et de ses cycles, de l’Espace et de sa beauté m’éclaire et m’accompagne. Tout ceci, je le promets sur mon Humanité.”

À peine avais-je fini de répéter le dernier mot qu’il disparut et fut remplacé par un personnage de bois mort en tout point semblable à l’Hiver d’Arcimboldo et qui me dit : “Va, Initié, porte l’esprit au monde”.

Lorsque je me suis réveillé, le froid était venu. Je grelottais. Je suis monté dans la salle de bains pour prendre une douche chaude. Et quand je me suis vu dans le miroir, j’avais le visage ridé comme une bûche de chêne et mes cheveux étaient devenus gris.

  • Étrange, oui, très étrange solstice…

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Jean François Maury
Jean François Maury
Agrégé d'Espagnol, concours externe (1969). Inspecteur d'Académie (depuis le 01/06/1977), hors-classe.Inspection Générale de l’Éducation Nationale. Parcours maçonnique sommaire : 5e Ordre du Rite Français, 33e Degré du REAA Initié à la GLNF en 1985 au Rite Français (R⸫L⸫ Charles d’Orléans N°250 à l’O⸫ d’Orléans). - 33e degré du R⸫E⸫A⸫A⸫ - Grand Orateur Provincial de 3 Provinces de la GLNF : Val-de-Loire, Grande Couronne, Paris. Rédacteur en Chef : Cahiers de Villard de Honnecourt ; Initiations Magazine ; Points de vue Initiatiques (P.V.I). conférences en France (Cercle Condorcet-Brossolette, Royaumont, Lyon, Lille, Grenoble, etc.) et à l’étranger (2 en Suisse invité par le Groupe de Recherche Alpina). Membre de la GLCS (Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité), Obédience Mixte, Laïque et Théiste qui travaille au REAA du 1er au 33e degrés, et qui se caractérise par son esprit de bienveillance.

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