mer 24 avril 2024 - 02:04

RITE FORESTIER : Ventes – un peu d’histoire

De tous temps, la forêt a été l’incarnation de la nature à l’état sauvage. Elle est l’espace de l’épreuve et de l’aventure pour un individu confronté aux forces nocturnes de la nature. Elle représente l’enjeu d’une épreuve funeste voire même initiatique.


La forêt est le théâtre des rencontres magiques, source de la plupart des contes, avec son peuplement d’animaux dangereux, d’êtres mystérieux, de géants assoiffés de sang et même de fées, qui engagent une épreuve physique avec l’homme, épreuve d’où celui-ci sortira vainqueur et initié ou perdant et mortifié. Elle représente l’enjeu d’une épreuve funeste voire même initiatique.

La forêt est un vivier inépuisable de symboles sur lesquels s’appuie la maçonnerie du bois. Pour nous dont les symboles dont issus de la pierre, il est surprenant de constater le parallélisme entre les deux symbolismes. La maçonnerie du bois, tout comme la maçonnerie de la pierre, se nourrit de ces symboles.
Imaginez-vous dans une clairière, à dix heures du matin, assis en rond sur des billots de bois, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, à écouter et débattre sur des thèmes philosophiques et existentiels. La belle mais factice voûte étoilée de nos temples devient réelle avec son lot de caprices.

Nous sommes dans un temple au rite forestier, et la tenue s’appelle une « VENTE ».
L’ambiance transpire les symboles forts par la composition du temple, la tenue vestimentaire des cousins, (Au lieu de s’appeler Frères, ils s’appellent Cousin), les outils, et le rôle tenu par chacun.

Le temple se trouve en pleine forêt, dans une petite clairière ronde, d’environ dix mètres de diamètre, avec un chemin d’accès volontairement laissé à l’état brut.
On est surpris dès l’arrivée par les combinaisons de formes géométriques, rond, carré, triangle, parfaitement orientées, qui tranchent avec l’implantation aléatoire des arbres et des buissons de la forêt.

A l’Est, comme dans une forge, une enclume est posée sur un billot de bois, avec un gros marteau posé dessus. Le Cousin Maître (leur Vénérable Maître) se tient derrière.
Au NE, NO, SE, et SO sont érigées quatre cabanes, constituées de trois perches attachées en partie supérieure symbolisant une structure de TIPI, comme les habitations indiennes.

Ces cabanes abritent quatre personnages appelés « Cabaniers » qui sont des symboles vivants.

La cabane N.E. est celle du Vigneron. Il est le symbole de l’hospitalité.
La cabane N.O. est celle de l’Ermite qui veille à la séparation du sacré et du profane.
La cabane S.E. est celle de la Mère Catault qui symbolise la terre et la propreté intérieure.
La cabane S.O. est celle de l’Ours qui symbolise la dangerosité de la forêt.

Des éléments inertes et des outils, spécifiques à chaque « Cabane » sont posés ou accrochés à la structure. Ils serviront au Cabaniers pour ses activités symboliques. A titre d’exemple on observe : Un bâton de pèlerin, une pomme, un broc d’eau, un flambeau etc. …Chacun de ces éléments prend un sens particulier lorsque le Cabaniers l’utilise.
Au centre un feu de bois est prêt pour l’allumage.
A l’extérieur, un sentier périmétral marque la limite entre le monde sacré et le monde profane.

Le décor étant planté, voyons comment se déroule une vente.
Lorsque les Cabaniers ont intégré leur cabane, que les bons cousins et les visiteurs (tous maçons, toutes obédiences confondues) sont assis sur les billots de bois (rassurez vous, chacun vient avec son coussin), le Vigneron procède à l’allumage du feu et l’Ermite ferme le temple en en faisant le tour par le sentier périmètral et dans le sens de rotation du soleil. La mère Catault peut maintenant consacrer le lieu en répandant de la terre vers le sud tout en invoquant « La Terre notre Mère ». Cette action est suivie par l’Ermite qui renverse de l’eau par terre en invoquant « L’eau du ciel, notre père ».

Il faut voir cela dans le sens Père fécondateur, sans aucune référence à dieu. Tout vient de la terre, mais chacun sait que la terre n’est pas fertile sans eau.
Le Vigneron se place ensuite devant le Cousin Maître pour la déclaration solennelle de la vente « LA RENOUÉE » en l’occurrence je vais vous la lire in extenso, elle en vaut la peine.

  1. L’homme est à nos yeux partie inhérente de la nature, il n’est pas son Maître. Nous tentons de dégager ce qui est propre à concilier les hommes avec la Nature, la comprendre et à vivre en harmonie avec celle-ci.
  2. Nous réitérons notre volonté d’inscrire notre vente dans la « Résurgence des Rites Forestiers ». Néanmoins, ayant pris conscience des lacunes involontaires du « Rite Maçonnique Forestier des Modernes », nous recherchons et étudions les pratiques forestières anciennes ignorées des BBCC refondateurs et amendons les nôtres en conséquence.
  3. Nous transmettons l’Initiation dans son principe fondamental hérité de la Tradition.
  4. Nous inscrivons notre démarche initiatique dans tous les domaines du sensible et du vivant.
  5. Nous déclarons partager les valeurs de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. Nous promettons de les respecter et d’engager ceux qui nous rejoignent à les respecter eux-mêmes.
  6. Nous souscrivons aux valeurs d’hospitalité, de générosité et de solidarité des premiers Fendeurs comme exprimées par les sept Anciens Devoirs des Fendeurs.

    – J’ai été nu et vous m’avez habillé.

    – J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire

    – J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger

    – J’ai été en prison et vous m’avez libéré.

    – J’ai été malade et vous m’avez secouru.

    – J’ai eu froid et vous m’avez réchauffé.

    – J’ai été affligé et vous m’avez consolé

Viennent ensuite les BÛCHES et BÛCHETTES gérées par le Cousin Maître avec circulation de la parole autour du temple. Vous l’avez compris, les Bûches et les Bûchettes sont à rapprocher de nos Morceaux d’Architecture et de nos Planches symboliques.

Les sujets traités sont les mêmes que chez nous avec en principe un sujet d’actualité et un sujet qui touche au symbolisme.
Avant la clôture de la vente, tous les BBCC et les visiteurs font le tour du feu dans le sens de la rotation du soleil pour recevoir du Vigneron, un morceau de pain et un verre de vin.

QUEL MERVEILLEUX SYMBOLE !!!

Quel est l’origine de la Maçonnerie du Bois.
Comme pour la Maçonnerie de la Pierre, la naissance fut progressive et semble issue du compagnonnage donc de l’opératif. L’une comme l’autre en ont d’ailleurs gardé les outils comme symboles.

Avant l’arrivée du charbon, le bois avait une importance primordiale dans la vie et dans l’économie.

Le bois d’œuvre était le matériau des charpentiers, des menuisiers, des carrossiers, des tonneliers, et de la construction navale. Tous ces métiers représentaient l’utilisation noble du bois avec au sommet de la hiérarchie, « les Fendeurs ».
Le bois résiduel travaillé par les compagnons Charbonniers servait au chauffage, à la cuisson des aliments, au soutènement des galeries de mines, et à la métallurgie avec le charbon de bois indispensable aussi bien à l’élaboration qu’au forgeage des métaux. On utilisait également le charbon de bois pour la fabrication de la poudre noire, dite poudre à canon.

Bien avant le Moyen-âge on trouve déjà des traces d’organisations qui s’apparentent au compagnonnage aussi bien dans la filière bois que dans la celle de la pierre.
Au 14ème siècle, durant les troubles causés par la guerre d’indépendance de l’Écosse du temps de la Reine Isabelle, beaucoup de gens cherchaient dans les forêts refuge contre la tyrannie. Ils s’y occupèrent à la fabrication du charbon de bois et, s’introduisant dans les villages pour vendre leur produit, organisèrent des réseaux de partisans, « les acceptés ».
Ils habitaient, dans la forêt, des cabanes appelées Baraches de forme allongée et se donnèrent une constitution et des lois.
En France, au début du 16ème siècle, deux légendes, prétendues authentiques par leurs défenseurs, touchent François Premier :

La première : François Premier qui chassait aux frontières de son royaume, proche de l’Écosse, s’égara dans la forêt. Il demanda un abri dans une barache et fut bien reçu. Il fut initié, et s’institua le protecteur des bons cousins charbonniers.
La seconde : François Premier aurait été initié en Val de Loire. Toujours lors d’une partie de chasse il se réfugia pour se reposer, dans une cabane de charbonnier. S’étant assis sur le billot présidentiel du Père Maître, il s’en fit chasser sèchement du geste et de la parole : « Charbonnier est maître chez soi ! » d’où serait né le proverbe bien connu. Ensuite lors des Ventes, saluts et honneurs furent portés à François Premier.

En Italie et en Allemagne, au début du 16ème, les forêts se peuplèrent également de résistants opposés à la tyrannie des princes. Ces groupes à caractère politique s’unissent aux sociétés charbonnières. On peut y voir les origines du Carbonarisme.
Ces premiers Carbonaris avaient déjà pour se reconnaître entre eux : des signes, des mots, et des gestes. Leur gouvernement était un triumvirat élu pour trois années et présidant trois venditas, l’une législative, l’autre administrative et la troisième judiciaire. La vendita judiciaire était appelée « Alta Vendita » ou Grande Loge.
Le premier document officiel connu date du premier mai 1673. Il émane de Nicolas COLBERT évêque d’Auxerre qui menace d’excommunication les charbonniers et fendeurs, au motif qu’ils prêtent serment au cour de certaines cérémonies profanes. L’année suivante il réitère sa menace, en condamnant une « Société de Forgerons et de Charbonniers » au motif qu’ils font le serment de ne jamais révéler à qui que se soit le secret de leur métier.
Les forgerons et les charbonniers qui se considéraient comme des cousins de part leurs rapports de travail, se donnèrent entre eux le titre de « Bons Cousins ».

C’est au milieu du 18ème siècle qu’apparaissent les premiers rituels. (à titre de rappel : La constitution d’Anderson fut publiée en 1723)

– Début du 18ème : Rituel compagnonnique de l’Ordre des Fendeurs.

– 1747 : Rituel du grade de Fendeur ou de Bûcheron.

– 1747 : Rituel de la société des fendeurs du Chevalier de Beauchaîne. (Nous en reparlerons)

– 1751 : Rituel des bons compagnons fendeurs de la vente de Mâcon.

– 1770 : Rituel de l’Ordre de la fenderie dit du Grand Alexandre de la confiance.

– 1780 : Rituel du 22ème degré de Prince du Liban ou Chevalier Royal-Hache.

– 1790 : Rituel des Compagnons-Fendeurs de Bois

– 1795 : Rituel des Bons cousins Charbonniers de la Vente de la Forêt du Jura.

– 1807 : Rituel de la Carbonaria italienne.

– 1812 : Rituel des Compagnons Fendeurs-Charbonniers des Forêts du Roi d’Arras.

– 1820 : Rituel de la Charbonnerie française.

– 1834 : Rituel de la Vente de la Haute-Marne.

Leur analyse permet de se faire une idée de l’évolution rituelle. Le premier est l’aboutissement de traditions plusieurs fois séculaires, et tous les autres en découlent. Opératif et spéculatif y sont entremêlés sans oublier la religion qui y garde toujours sa place.

Revenons sur le Chevalier de Beauchaîne que l’on peut qualifier de mauvais Anderson de la Franc-Maçonnerie du bois. C’était un usurpateur comparable à Saint-Maurice « L’initiateur » qui conférait en une seule séance et pour six franc, tous les grades maçonniques dans sa loge du cabaret de la rue Saint-Victor, à l’enseigne du Soleil d’Or.

Beauchaîne se donnait le titre de Père-Maître et non de Cousin-maître, et organisait les réunions au « Chantier du Globe et de la Gloire ». C’était l’occasion de s’encanailler. En tenue de paysans et chaussés de sabots ils s’offraient une bonne pinte de prétendue gaîté populaire.
Pendant ce temps et souffrant de ces initiatives mondaines, les vrais forestiers continuaient à vivre dangereusement avec le soutien de leur rituel. Les opératifs bougent, les faux-spéculatifs s’amusent. Il convient toutefois d’apporter une nuance. Les Charbonniers bénéficiaient cependant d’un soutien occulte mais important des gouvernants car ils étaient le maillon indispensable à toute guerre.

Je m’explique.
L’artillerie utilisait des boulets que les armées étaient incapables de transporter en totalité, tant leur masse était grande. Tous les faibles moyens de transport étaient principalement affectés à la poudre et à l’armement. La seule solution consistait à les fabriquer sur place et pour fabriquer un boulet il faut de la ferraille récupérée sur place et du charbon de bois. Le génie était capable d’installer une fonderie en moins de 24 heures. Même les troupes de Napoléon étaient obligées de s’attirer les bonnes grâces des charbonniers qui avaient l’avantage d’être une corporation organisée.
Grégoire XVI et ensuite Pie IX dénoncèrent les liens entre la Franc-Maçonnerie et les Carbonaris « Haute Vente » qui soit disant, fomentaient un complot dans le but d’infiltrer l’église catholique.
Au XIX ème Siècle, trois types de ventes charbonnières vont coexister :

  1. Les charbonniers uniquement de métier
  2. Les charbonniers de métier qui ont accepté avec eux des membres extérieurs, des spéculatifs. On y retrouve ainsi des notables, des militaires. Ils pratiquent un rituel très chrétien. Un sous-groupe de cette représentation constituera un 4° grade de la F…M… . La démonstration est donné par l’ouvrage de Cauchard d’Hermilly ‘’ Des Carbonari et des Fendeurs Charbonniers ‘’ datant de 1822 et dont l’action se déroule à Arras.
  3. Les charbonniers uniquement spéculatifs, très politisés, avec une ossature de société secrète, anti royaliste, napoléonienne, puis anti napoléonienne, et même anarchiste, dont le Marquis De Lafayette sera le Père Maître. Elle intriguera en France pendant une cinquantaine d’années, elle est peut-être la mère de la seconde république en 1848. Elle va aider le mouvement de l’indépendance de l’Italie en influençant la création de la ‘’Carbonaria’’. Ses idées se propageront en Espagne, au Portugal, au Brésil. Elle pèsera sur le mouvement laïc en Turquie en ayant un ascendant auprès des confréries Soufis. Même la Perse (Iran) sera contaminée par ses idées, particulièrement ’’ la Société de la Fraternité ‘’ dont les armes sont deux petites haches entrecroisées soutenant un bol. Cette charbonnerie fera beaucoup de tort aux autres charbonneries, qui se fonderont au cours du XIX siècle dans la F…M… . Néanmoins, on peut affirmer que la philosophie de cette charbonnerie aidera l’un de ses membres, Proudhon à développer ses thèses sur les enjeux mutualistes : aider le voyageur, aider la veuve, aider les orphelins, aider les victimes d’accidents comme les incendies de maison par exemple. Les notions de mutualisme, voire de S.S. d’assurance, étaient nées. D’ailleurs, Briot créa la société d’assurance « le Phénix » en s’inspirant fortement de l’organisation des BBCC.

Au XXème siècle, la Franc-Maçonnerie du bois semble éteinte malgré quelques frémissements sans portée significative. C’est un lillois « René-Jacques MARTIN », qui le premier réorganisa une vente ‘’ le Chantier de la Grande Forêt des Gaules’’, dont l’objet était la restauration de l’initiation forestière et la protection de la forêt, avec comme texte de référence ‘’ Ragon et Brengues’’. René-Jacques Martin ne fit pas ou peu de travail sur les rituels et avec sa mort le mouvement s’éteignit. En 1983 quelques bulletins parurent sur « l’Ordre des Cousins Forestiers Rétablis’’, avant de disparaître. Ce n’est qu’en 1993, à la suite de plusieurs années de recherches, un groupe de F… M…participe, avec un mouvement druidique à la résurgence du ‘’Rite Forestier dit des Modernes’’, en activant une première loge appelée ‘’ les Forestiers d’Avalon ‘’ qui se transformera ensuite en première vente forestière donnant naissance à d’autres ventes, une dizaine à ce jour.
La Vente que j’ai eue l’occasion de visiter à trois reprises, s’appelle « LA RENOUÉE ». Elle travaille au rite forestier des Anciens et est animée par le Cousin-Maître « Luc CROIZE » Franc-Maçon du Grand Orient de France et présent ce midi sur nos colonnes.

Voici comment Luc définit sa Vente.

La Renouée avec son rite Forestier des anciens s’affirme comme étant une société initiatique à part entière, donc sans attache avec la Franc maçonnerie.
En refusant de se figer, son rite est évolutif. Il fuit tout dogmatisme. Il intègre dans la mesure du possible, l’héritage des anciens Forestiers.


Il ne se réclame ni du Druidisme, ni du Prophète des Forêts, ni du Panthéisme de John Toland, ni de l’Église Panthéiste Chrétienne, ni de l’Église d’Antioche, ni d’aucune tradition religieuse ou magique.


Il est simplement respectueux de la mémoire des Celtes, comme il se doit à l’égard de lointains ancêtres qui ont occupé les mêmes forêts.


Avant le « J’ai dits » je voudrais profiter de votre attention pour vous inciter à vivre une vente, vous ne le regretterez pas, c’est une belle et enrichissante cérémonie qui vous embarque dans une réflexion existentielle tout en vous replongeant dans la nature.

Cousin maître th b, j’ai buché,
(Vénérable Maître, j’ai dit.)

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