ven 19 avril 2024 - 03:04

Gloire au Travail ? Mon œil ! Du boulot du consommateur

Je suis en train de vivre une période de grands changements, qui implique la pire transition qui soit : un changement de banque ! Alors, il existerait une loi qui simplifierait la transition bancaire, qui permettrait de transposer automatiquement les prélèvements automatiques d’un compte vers l’autre, ce qui simplifierait grandement la vie du client de la banque. Bernique ! Depuis trois mois, juste le quart du boulot a été fait par mon ancienne banque. J’ai donc passé une journée à vérifier tous mes mandats SEPA et faire les modifications. Et le pire : mon ancienne banque me facture le travail que j’ai fait à leur place…

Dans le même ordre d’idée, ma mutuelle, qui assure aussi mon crédit immobilier n’a pris en compte ni mon changement d’adresse ni ma domiciliation bancaire … depuis trois mois ! Malgré le prétendu travail de la banque et le mien en doublon, j’ai dû refaire le nécessaire par téléphone, car ce n’est pas possible de le faire depuis mon profil (sur lequel je n’ai accès qu’à la mutuelle, pas à l’assurance… Sinon, c’est le dossier bleu pour le formulaire jaune pour obtenir le laisser-passer A38). A se demander à quoi servent mes cotisations. Visiblement pas à payer du personnel compétent, j’ai l’impression.

A y bien observer, nous accomplissons de plus en plus de tâches que d’autres devraient accomplir à notre place : par exemple, nous conseillons sur les sites de vente en ligne en lieu et place de vendeurs patentés. De même, nous sommes les propres acteurs de nos déplacements quand nous nous procurons des titres de transport ou organisons nos voyages etc. Et attention à ne pas avoir de problème, parce que personne ne sera en mesure de nous aider. Mais les frais de service nous seront facturés quand même.

De la même manière, dans les restaurants d’entreprise que je fréquente, il nous est désormais imposé de vider nous-mêmes nos assiettes dans les poubelles, pour faciliter le travail de la plonge… Et pourtant, les frais d’admission ont augmenté, ce qui signifie mathématiquement une baisse de rapport/qualité prix, mais aussi la facturation d’un service inexistant. Le client/usager/consommateur y perd beaucoup, à devoir faire le travail pour lequel il paie, parfois sans s’en rendre compte. Et j’attends le moment où on me demandera de faire la cuisine et de payer pour ça !

Cette tendance de plus en plus forte d’inclure l’usager final dans le processus de production et de vente a été étudiée par la sociologue Marie-Anne Dujarier dans son ouvrage Le travail du consommateur . Le coût de production du bien ou du service est considérablement réduit par l’action du consommateur, qui est invité à travailler gratuitement. Il contribue ainsi à la valeur ajoutée. Mais si le consommateur crée de la valeur, celle-ci est immédiatement captée par l’entreprise, qui ne la redistribue bien évidemment pas. Il faut vivre avec son temps ! Et par conséquent, si le coût de production est absorbé par le travail du consommateur, il en résulte que le professionnel risque de perdre sa place, son travail étant jugé trop coûteux par l’entreprise… Le phénomène est un peu différent de l’uberisation, mais s’inscrit bien dans la tendance du moment : la maximisation de la marge par la réduction des coûts de production. Le problème qui se pose est la valeur finale du bien ou du service.

Mais en Loge, me direz-vous, comment cela se passe-t-il ? Dans la mesure où nous ne produisons rien de marchand (voire rien tout court), il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’un travail du consommateur. De plus, les rôles et tâches des officiers étant bien définis, chaque officier doit se borner à sa tâche, et rien d’autre. Ainsi, l’Orateur n’a pas à veiller à la disponibilité du matériel, celle-ci étant du ressort du Maître des Cérémonies. De même, l’Expert ou le Secrétaire n’ont rien à faire dans l’instruction des Apprentis ou des Compagnons, qui est l’apanage des Frères Surveillants. D’ailleurs, il serait désastreux que les Apprentis et Compagnons aient à s’instruire eux-mêmes.
Il existe par ailleurs un autre outil qui permet d’éviter que chacun ne fasse le travail d’un autre, tout en permettant de garantir la sérénité des échanges : la triangulation de la parole. Ainsi, il est plus apaisant de demander au Vénérable d’intimer à un Frère de se taire plutôt que de lâcher un bien profane « La ferme ! » au Frère concerné. En fait, maintenir l’ordre est l’un des travaux dévolus au Vénérable Maître. Personne donc ne doit se substituer à qui ce que soit en Loge. Vouloir faire le contraire serait une faute et un facteur de chaos. En Loge, tout est fait pour être ordonné, « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Ce qui maintient l’ordre est justement cette bonne connaissance de la place et du rôle de chacun, dans cette belle mécanique. Or, dans le monde profane, avec cette tendance à mélanger les rôles et attribuer des places à n’importe qui, on n’aboutira au fond qu’à n’importe quoi. Essayez de savoir à partir d’avis de clients si le modèle de four que vous voulez acheter a bien le même châssis que votre ancien four et rentrera bien dans votre cuisine intégrée, vous m’en direz des nouvelles !

Gloire au travail ? Si je dois en tant que client ou consommateur accomplir un travail qui n’est pas le mien et donc le voler à autrui, si je dois accomplir la tâche pour laquelle j’ai pourtant payé le service, je n’y vois rien de glorieux. Juste un peu de frustration à faire un travail qui n’est pas le mien et un peu de tristesse à me dire que ces tâches que j’accomplis enrichiront quelqu’un sans qu’il n’y ait de redistribution réelle.

Sur ce, je vous laisse, je dois terminer de faire les changements de RIB dans mes mandats de prélèvement et demander à ma banque combien m’aura coûté d’avoir fait le travail que je lui avais demandé…

Je vous embrasse.

Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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