jeu 21 novembre 2024 - 18:11

L’homme libre

« Un homme, une femme libre, dans une loge libre ».

Chaque maçon, chaque maçonne connaît ce bel adage d’Oswald Wirth.  La liberté, c’est  la promesse même de l’initiation à l’impétrant, à l’impétrante !

Dès lors, il s’agit de s’entendre sur les mots. Que veut dire « être libre » ? C’est d’abord et essentiellement pouvoir choisir. Or la vie nous permet bien peu de choix. Ni notre instant de naissance, notre sexe,  la couleur de nos yeux et de notre peau. Ni notre hérédité, notre  nom et notre religion. Issus des regards croisés, puis du désir de nos géniteurs, marqués par leur mode de vie, leur pensée, leur langage, nous osons, poussière d’étoiles et adultes devenus, parler de liberté !

Alors que chacune, chacun de nous est simplement un atome « agi » du cosmos, alors même que nous descendons au plus loin de l’explosion originelle et au plus près de notre vieux  compère le singe, nous prétendons être libres !

Impérativement soumis, depuis notre première couche-culotte, à nos pulsions conservatrices, alimentaires et sexuelles, qui fonctionnent à notre insu, nous crions aveuglément Liberté, en ajoutant  Egalité et Fraternité. Parler de liberté, constatons-le humblement, c’est surtout parler de son absence !

Que veut-on dire, en fait ? La liberté, c’est la possibilité de réaliser les actes qui nous gratifient, sans nous heurter au désir,  au projet de l’autre. Mais, pas de chance, l’acte gratifiant n’est pas un acte libre. L’action, généralement pulsée, est du domaine de l’inconscient, quand le discours, lui, qui se veut logique, est de l’ordre du conscient. C’est donc le discours, et lui seul, qui nous permet de croire au libre choix !

Le psychanalyste questionnera ici :  Comment un choix peut être libre, alors même que nous sommes inconscients des motifs de notre choix ?! En fait, la liberté, pour chacune, chacun de nous, c’est l’obéissance aux règles sociales. C’est à dire un apprentissage permanent.

Après le pourquoi, le comment. Comment être libre, quand on sait que tel un limonaire, ce que nous avons en mémoire, et que nous déroulons sans cesse, de la vie à la mort, ce sont les cartes perforées de nos relations aux autres. Nous sommes les autres, qui vivent en nous,  et leur résultat !

Comment être libre enfin, quant on sait qu’il n’est d’individu qu’en relation, et que, animal social, il ne peut vivre loin du troupeau. Curieuse destinée que celle de l’Homme, à la fois désireux de moutonner et de s’isoler ! A la fois indépendant par nature, et  dépendant par nécessité. A la fois fasciné et terrorisé par le groupe !

Cette liberté relative, pour ceux que l’on appelle les « gagnants », consistera seulement, à l’ombre de la vache collective, à être plus près de ses mamelles que de sa mâchoire !

Etre dépendant, c’est donc être soumis à une hiérarchie dominante – le principe même des obédiences et juridictions maçonniques ! – et tenter d’en obtenir la reconnaissance, dans le reflet trompeur du miroir social. Voir les dorures de son tablier dans l’œil de l’autre, on appelle çà la « cordonite » en maçonnerie ! C’est ce besoin d’être reconnu, et pourquoi ne pas le dire, cette nécessité viscérale d’être aimé, donc de flatter l’autre pour être gratifié, qui nous prive fondamentalement de liberté ! Par cette soumission, cette servitude volontaire, le dominé fabrique le dominant !

Nous sommes, dans notre programme génétique même, des êtres de soifs et de conquêtes. Partant, la liberté inaccessible devient heureusement l’idée qu’on s’en fait et se transforme en espoir, sans lequel la vie humaine serait intolérable. La liberté et son frère jumeau le bonheur, sont comme les Novotel la nuit sur l’autoroute. On voit une lumière bleue au loin et si, on loupe l’embranchement,  on ne parvient jamais à les atteindre ! Il arrive ainsi que la lumière, même maçonnique, nous éblouisse davantage qu’elle nous éclaire !

Au vrai, c’est notre sensibilité qui commande notre raisonnement  et non l’inverse. Nous croyons, prétentieux que nous sommes, que notre logique nous gouverne et pilote nos actions, alors que ce sont nos sentiments, et eux seuls qui sont aux commandes. Mais déduire que la liberté – et en l’occurrence notre libre-arbitre – n’existent pas, ne doit pas nous désespérer et  précipiter dans le fleuve le plus proche! Au contraire, ce constat nous fait accéder à un autre niveau, celui de la tolérance, et mieux même, à la bienveillance. Ne plus être obsédé par les chimères de la liberté,  c’est  d’un seul coup, accepter l’autre, cet autre « moi » !

S’il est facile, bien à l’aise  dans la loge douillette, de surfer sur la vague des mots – pour moi le premier d’ailleurs – la pratique extérieure des bons principes est un autre sport. Parce que entre les mots et la chose, il y a pour sûr un océan. Le mot « liberté » n’a jamais libéré personne et le mot « bonheur » ne rend pas spontanément heureux !

Combien de crimes quotidiens sont commis au nom de la liberté. Combien d’otages souffrent, pour que d’autres hommes se disent libres ?!

Alors comment, avec un inné qui nous constituent prisonniers  de nos gènes et les acquis et conditionnements souvent fâcheux de notre enfance, devenir un HOMME LIBRE, au vrai sens du mot. Autrement dit,  en jouant sur les mots, comment devenir un être singulier au présent, avec un passé pluriel ?!

Notre liberté physique est d’être seul dans notre peau, avec toutefois l’angoisse que cette unicité peut entraîner. Nous naissons seul, nous mourrons seul. Partant, pendant notre temps de vie, que faire, devant ces autres « moi », dont les mêmes désirs s’opposent aux nôtres et qui sont ainsi avec nous, les acteurs du rapport « dominant-dominé », caractéristique de tout groupe. Que faire, sinon fuir ! Certes, il y a diverses formes de fuite : l’alcool,  la drogue, la clochardisation, la folie, le suicide.  Ou bien le retrait dans les Causses ou sur une ile déserte. Ou encore la démission de son travail. Une mauvaise idée de liberté en ces temps de chômage !

L’autre liberté, psychique celle-là, le cadeau cosmique, ne serait-ce pas la fuite dans l’imaginaire ?! Soit, l’évasion dans les plaisirs de la pensée – de l’art à la philosophie, de la poésie à la créativité – pour résister à la pression sociale. A condition, bien sûr, de déboucher en toute sécurité, sur le « gouvernement » et la réalisation de soi.

Sublimer, c’est s’échapper certes. Les confréries initiatiques permettent cette aventure de l’esprit. A partir de sa riche mythologie, la franc-maçonnerie bien comprise – lorsque cordon n’est pas confondu avec galon – devient un magnifique moyen de gratification dudit imaginaire. Mais si l’exercice de ses rites est manipulé par une hiérarchie de dominance – avec des dissensions concurrentielles et les entraves qui en découlent – la loge est transformée en prison ! L’inhibition  d’action commande alors, à nouveau, la fuite salutaire.

Le médecin et philosophe Henri Laborit, qui a beaucoup travaillé sur les hiérarchies de dominance, nous rappelle que la culture du silex taillé reliait l’homme primitif au cosmos. Les pratiquants de l’Art Royal  que nous sommes, sont ainsi invités, en taillant notre pierre, à lever souvent les yeux vers la voûte céleste. Pour maintenir cette reliance, en nous enfuyant  dans les étoiles !

Au moment de conclure cette courte réflexion sur l’homme libre dans une loge libre, il me revient à l’esprit que celle-ci est encore dénommée « loge sauvage » par certaines instances obédientielles. Elle en dit long sur l’esprit hégémonique qui les habite ! Avec humour              ( en garder le sens est précieux !) l’imagination et l’univers de Jean de la Fontaine, nous pouvons transposer la situation, en mettant en scène deux lapins, l’un précisément « sauvage », l’autre « obédientiel ». Le premier en liberté se moquant de la dépendance du second ! Qu’il me soit permis d’oser ces quatrains malicieux, en forçant le trait, mais sans méchanceté aucune, à la manière du fabuliste. Pour transformer un instant deux francs-maçons en gentils lagomorphes. A chacun son vécu de la franc-maçonnerie !

Un lapin de garenne, heureux dans sa forêt, 

Téléphone au cousin, le lapin domestique

« Allo mon frèrami, t’es toujours aux arrêts,

Que deviens-tu blotti, dans ta cage monastique ? »

« Je prie le bon GADLU, j’attends ma récompense

Relié par le cordon à chacun sa marotte,

Ma quête est chaque jour, qu’on me garnisse la panse

Tu connais mon plaisir, je suis fan’ de carottes ! »

« Eh bien dit le garenne, moi je vis au soleil

Je déjeune d’herbes folles, je coure dans les buissons

J’ai reçu du GADLU, un suprême conseil

Ce n’est qu’au pied des mûres, que l’on voit le maçon ! »

Et c’est là où je loge, libre !

                                                    Gilbert GARIBAL

1 COMMENTAIRE

  1. être libre est une condition même pour entrer en FM sous condition d’y ajouter “et de bonnes mœurs”.
    Dans le contexte du Royaume d’Angleterre, au début du XVIIIe siècle, «être libre» était en fait très précis et lié :
     aux Liberties des Cités face à la Couronne, notamment de la Cité de Londres, écrite dès 16 juin1215 dans la Magna Carta,
     aux privilèges des guildes (Liveries aujourd’hui, et toujours en usage) d’affranchir des hommes pour en faire des freemen dans les Cités et Bourgs, c’est-à-dire de plus être sujet de sa Majesté le roi.
     aux Charges attribués aux Freemen élevés au statut de Liverymen, chargés de réglementer les affaires de la Cité ou du Bourg (édicter de nouvelles lois et taxes locales, régler des actes de Justice).
    Pour être un freeman, deux possibilités principales étaient offertes :
     obtenir rédemption par achat et après 7 années d’apprentissage minimum obligatoire auprès d’un Freeman,
     obtenir rédemption par achat (mais plus cher bien sûr).
    Être Freeman permettait de monter une affaire et d’être autorisé à travailler dans la Cité ou le Bourg, plus une zone d’exclusivité et réglementée de quelques miles autour (de 1 à 8 miles selon la Guilde/Livery). Il s’agissait d’une règle de Corporations dont ils se portaient également garant de la qualité des produits et services (surveiller par les Maîtres et Surveillants des Liveries). Il y avait un aspect protectionniste des marchés économiques et des savoir-faire, puisqu’il était interdit dans les Liveries d’embaucher des apprentis qui n’étaient pas fils de freeman (pas d’étrangers, pas d’esclaves). Dans le plus ancien texte connu des Devoirs anglais, le Manuscrit Regius (ou Halliwell), daté de la fin du XIVe siècle, il y est clairement spécifié que «le maître doit bien veiller à ne pas prendre de serf comme apprenti, ni à en engager un par obstination, car le seigneur à qui le serf est lié peut venir le chercher où qu’il se trouve». Il y est encore dit que «l’apprenti doit être bien né, de naissance légitime». Ainsi, ces constitutions laissaient clairement entendre qu’il fallait être fils de freeman. James Anderson l’était d’ailleurs, puisque fils d’un Maître verrier d’une Loge de la Cité d’Aberdeen (il fut d’ailleurs Maître de Loge et a reconstitué le Livre des Marques des membres de la loge).
    Les tout premiers textes de la maçonnerie opérative il était écrit : «né libre et de bonnes humeurs» qui devient «libre et de bon renom» ensuite, et pour insister sur les valeurs morales, est devenu «libre et de bonnes mœurs».
    À la première fête solsticiale d’hiver qui suivit la fondation du Grand Orient, le 27 décembre 1773, un discours sur le caractère et le rôle de la Franc-maçonnerie fut prononcé par le F. Henrion de Pensey. On remarquera ce qu’il dit des «bonnes mœurs» : «Les [bonnes] mœurs, aussi bien que les lois, sont les colonnes sur lesquelles repose la prospérité des empires. Avec des mœurs on se passerait de lois. Sans les mœurs, les plus sages règlements sont inefficaces.»
    Aux exigences des bonnes mœurs citoyennes, la Franc-maçonnerie ajoute des exigences qui lui sont propres parmi lesquelles l’esprit du lien fraternel. À la morale coutumière, la Franc-maçonnerie associe une morale transcendantale, un idéal moral développé dans les catéchismes devenus mémentos et dans les rituels à travers questions et réponses. Ainsi viendront, suivant les grades, des propositions d’élévation morale.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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