mar 03 décembre 2024 - 06:12

ANTIMAÇONNISME : Franc-maçonnerie et mafia, quatre règles pour éviter les pièges

De notre confrère italien editorialedomani.it Par JOHN DICKIE

Le Blog Mafia continue sur Domani, sur une idée d’Attilio Bolzoni, éditée par l’association Cosa tua. Vous pouvez le suivre sur cette page . Chaque mois un macro-thème, détaillé avec un nouveau contenu par jour en collaboration avec l’association Cosa tua. Cette série est consacrée à Trame , le festival du livre sur la mafia de Lamezia Terme, avec 15 articles sur les thèmes au centre des rencontres du Festival.

Il existe une affinité généalogique entre la franc-maçonnerie et la mafia. Les mafias, comme l’ont montré les historiens les plus autorisés sur le sujet, sont le résultat de cette combinaison de complot, de violence révolutionnaire et de sociétés secrètes para-maçonniques qui caractérisaient le Risorgimento dans le Royaume des Deux-Siciles. Les mafias et l’État italien naissent donc ensemble.

Plus récemment, c’est à partir des années 1970 qu’on a parlé de liens entre francs-maçons et membres de la mafia. Pensez à un superbe franc-maçon comme Stefano Bontate, qui faisait la navette entre les raffineries d’héroïne et les salons de l’élite palermitaine. Aujourd’hui l’accent est mis sur la Calabre où le processus de Gotha a révélé les pouvoirs occultes qui ont gouverné pendant des années les affaires de la région et dicté une ligne stratégique à la ‘Ndrangheta. Les francs-maçons-‘ndrangheta ont été arrêtés et condamnés ; certains d’entre eux ont collaboré avec la justice et ont été jugés crédibles.

Des cas comme celui-ci, ainsi que l’histoire inoubliable de P2, signifient que dans aucun pays au monde la franc-maçonnerie ne suscite plus d’inquiétude qu’en Italie.

Pourtant, bien que la franc-maçonnerie soit enveloppée dans l’ombre, il y a très peu de vérités confirmées devant les tribunaux. Autant que je sache, par exemple, il n’y a pas d’écoutes téléphoniques des réunions des Loges dans lesquelles, selon beaucoup, des alliances inavouables entre gangsters et membres de l’establishment seraient ourdies. Malgré l’extraordinaire efficacité des forces de police italiennes lorsqu’il s’agit de placer des bugs, sur Youtube il n’y a pas de vidéos de francs-maçons comparables à celles montrant les patrons siciliens occupés à reconstituer la Cosa Nostra Dome (Opération Perseo 2008), ou les patrons calabrais qui se rassemblent pour la fête de la Madonna di Polsi (Opération Crime 2009).

Pourquoi ne sommes-nous jamais capables de voir clairement ? Peut-être parce que la franc-maçonnerie est si intelligente et si puissante qu’elle défie toute enquête ? Je ne crois pas. Il me semble plutôt que la raison réside, ici plus qu’ailleurs, dans notre méconnaissance du phénomène franc-maçon.  

Mes recherches – j’ai passé cinq ans à enquêter sur l’histoire de la franc-maçonnerie à travers le monde – m’ont convaincu que le lien mafia-franc-maçonnerie (qui existe sans aucun doute) est une affaire extrêmement emmêlée, peut-être plus complexe que dans toutes les autres relations tissées par la mafia avec l’extérieur. Dans aucun autre secteur, nous ne courons le même risque de suivre de fausses pistes, de tomber dans des complots et de lancer des accusations infondées contre des personnes respectables (et il y a beaucoup de francs-maçons respectables en Italie). N’oublions pas que c’est Giovanni Falcone qui nous a mis en garde contre la recherche du mythique Grand Vieil Homme, le marionnettiste qui rassemble tous les fils entre ses mains. Rappelons-nous aussi que les mafias ont toujours su très bien détourner notre attention vers d’autres ennemis plus puissants, mais par coïncidence toujours insaisissable. Le populisme, quand il chasse le bouc émissaire, est toujours une mauvaise politique, et la mauvaise politique est alliée à la pègre. Pour toutes ces raisons il faut s’obstiner à distinguer, à comprendre où commence et où finit le pourri. Nous devons prêter attention aux preuves, en laissant de côté les hypothèses les plus imaginatives et les plus faciles. 

Pour cela, j’ai rassemblé quatre règles fondamentales pour lire l’actualité sur le binôme mafia-franc-maçonnerie avec prudence et intelligence.

1) Demandez toujours « Mais qu’est-ce que la franc-maçonnerie est exactement ? » 

La franc-maçonnerie, en tant que telle, n’existe pas. La franc-maçonnerie n’est pas une organisation unique, un réseau unique. C’est un monde confus et ingouvernable. Il existe différentes obédiences et traditions qui ne s’entendent pas bien les unes avec les autres. En effet, il s’agit souvent de relations empoisonnées. Il n’y a pas de marque maçonnique officielle et unitaire. Les rites et les règles de la vie maçonnique sont continuellement copiés pour inventer des loges de toutes sortes et à toutes fins possibles. Quiconque invoque la « franc-maçonnerie » sans autre précision ne fait que démontrer son ignorance.

2) Attention, car le mot ‘Franc-maçonnerie’ (comme le mot ‘mafia’) est aussi une métaphore.

Il représente la clientèle, les réseaux d’affaires louches, les lobbies cachés. Même la mafia utilise le terme dans ce sens métaphorique, qui a souvent peu ou rien à voir avec les francs-maçons en chair et en os.

3) Ne croyez pas ce que nous entendons très souvent sur les serments maçonniques.

L’idée la plus répandue est la suivante : la franc-maçonnerie est toujours un risque pour la société car, pour en faire partie, il faut prêter un serment terrifiant. Quiconque est lié par ce serment, dit-on, est obligé de toujours couvrir les épaules des frères francs-maçons, de protéger leurs secrets, sous peine d’une mort atroce. Mais ce n’est pas vrai. C’est dénaturer complètement le sens des serments, les sortir de leur contexte liturgique et symbolique. Le résultat est absurde, car ce serait dire que les catholiques mangent de la chair humaine et boivent du sang humain pendant la messe

Les rites maçonniques semblent étranges et macabres au profane. Mais c’est aussi le cas des traditions de toutes les religions que nous ne connaissons pas de l’intérieur. Il faut dire aussi que dans les grandes obédiences maçonniques les néophytes jurent aussi d’être d’honnêtes citoyens. Il ne faut pas supposer que les francs-maçons sont toujours des hommes d’affaires vulgaires.

4) Ne faites pas trop attention à ce que disent les dirigeants de la franc-maçonnerie. 

Dans son petit monde, chaque Grand Maître est un politicien. Et les accusations vagues et aveugles qui sont souvent lancées dans les journaux et autres forums contre la « franc-maçonnerie » jouent son jeu. Elles lui servent à se poser en protecteur de la fraternité contre les préjugés ignorants, à dénoncer une « chasse aux sorcières », et à se souvenir du régime fasciste qui, au nom de la lutte contre le crime, a interdit la franc-maçonnerie en 1925. Ainsi le Grand Maître renforce le consensus dont il jouit parmi ses frères, et n’a aucune incitation à entreprendre une tâche bien plus importante : celle de prendre au sérieux le danger des mafias, leur capacité à s’insinuer dans le monde maçonnique comme dans tout autre secteur de la société, des entreprises à l’Église, de l’administration publique aux associations anti-mafia. Un dialogue entre sourds,

John Dickie enseigne l’histoire italienne à l’University College de Londres. Il est l’auteur de « Francs-maçons. Histoire mondiale de la franc-maçonnerie », à paraître à Laterza. Il n’est pas franc-maçon.

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